Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management.
Après un premier trimestre qui s’achève sur une impression plutôt chaotique, notre publication s’intéresse cette semaine à trois nouveaux défis auxquels les marchés pourraient être confrontés au cours du trimestre qui débute. Pour autant, notre commentaire ne prétend pas être exhaustif.
La hausse de la taxe sur la consommation au Japon
Le thème que les marchés vont examiner de près au second trimestre sera l’impact économique de l’augmentation de la taxe sur la consommation au Japon, portée le 1er avril de 5 % à 8 %.
Cette progression représente une forme de resserrement budgétaire, indispensable à plus long terme, étant donné l’endettement public abyssal du Japon et son déficit budgétaire qui se maintient autour de 10 %.
Elle suscite cependant une forte inquiétude, étant susceptible de faire avorter la reprise économique. Si le gouvernement tente de compenser la hausse de cette taxe par des mesures de stimulation budgétaire ailleurs, le déterminant de marché le plus immédiat sera toute nouvelle action de politique monétaire menée par la Banque du Japon (BoJ).
Le calendrier d’une nouvelle action de la BoJ a suscité chez les commentateurs davantage de débats que la question d’une intensification de son action. La BoJ semblant assez satisfaite du progrès jusqu’à présent réalisé vers la réalisation de son objectif d’inflation de 2 %, les anticipations par le marché d’un nouvel assouplissement monétaire se sont décalées sur le troisième trimestre au lieu du deuxième.
Nous estimons cependant que la réaction de la BoJ pourrait faire apparaître une forte sensibilité à l’évolution des statistiques, encore que les chiffres de la semaine dernière faisant état d’un niveau relativement satisfaisant d’inflation et de chômage rendent moins plausible l’imminence d’une action de politique monétaire.
Quels pourraient être alors les facteurs susceptibles de déclencher un nouvel assouplissement monétaire à court terme ?
Il pourrait tout d’abord s’agir d’un accès de faiblesse durable du marché des actions, le Nikkei restant inférieur à 14.000, chiffre souvent cité comme un seuil de déclenchement déterminant.
Un autre facteur d’intervention pourrait être toute détérioration des prévisions d’inflation. A cet égard, l’enquête de Tankan qui sera publiée cette semaine fera l’objet d’une lecture attentive. Cependant, à défaut de facteurs de déclenchement susceptibles de stimuler davantage l’assouplissement de la politique monétaire, d’autres moyens d’action sont-ils accessibles à la BoJ ?
Si la poursuite des achats d’obligations l’an prochain pourrait être interprétée comme une forme de scepticisme de la part de la Banque centrale sur sa capacité à atteindre sa cible d’inflation de 2 % en respectant son calendrier initial, elle pourrait aussi renforcer la confiance des acteurs du marché. Nous pourrions peut-être l’interpréter comme une autre forme de forward guidance.
Probabilité d’une récession russe et son impact sur l’Europe
Si une analyse approfondie de la situation générée par la crise en Ukraine et en Russie dépasse le cadre de notre article, il semble de plus en plus probable que l’économie russe va basculer en récession cette année.
La simple combinaison de sanctions économiques limitées et de la menace d’une nouvelle escalade a suffi à provoquer des sorties de capitaux, un recul du marché des actions et une chute du rouble.
L’économie russe représentant environ 3 % du PIB mondial exprimé en USD (niveau comparable à celui du Brésil), en l’absence d’une nouvelle escalade, l’impact d’une récession russe sur l’économie mondiale devrait être limité.
La région la plus exposée à tout affaiblissement de l’économie russe est clairement l’Union Européenne dont la reprise économique est, au mieux, modeste.
Néanmoins, les analyses de son impact sur la croissance potentielle indiquent qu’il faudrait une très sévère récession russe pour entamer réellement les perspectives de croissance européennes, au moins directement.
Et si la véritable menace que fait peser sur l’économie européenne une récession russe même modeste était en réalité le choc déflationniste qu’elle pourrait entraîner ?
La faiblesse inquiétante des niveaux d’inflation en Europe pourrait faire peser sur la région le risque de basculer dans une véritable déflation, dans une telle éventualité.
Si l’orientation des prix de l’énergie constitue un élément déterminant en cas de détérioration de la situation, elle constituera naturellement une nouvelle source d’inquiétude pour les investisseurs au cours du second trimestre.
Du fait du changement de tonalité en gestation chez la Banque Centrale Européenne, ceci pourrait être l’une des gouttes d’eau dont l’accumulation est susceptible de provoquer un nouvel assouplissement de la politique monétaire.
Déception sur les prévisions de croissance des bénéfices
Nous estimons depuis un certain temps que le renforcement de la croissance des bénéfices devrait s’imposer comme le facteur de performance clé du marché des actions aux Etats-Unis et en Europe en 2014.
L’an dernier, dans ces deux zones géographiques, la progression des valorisations a été le principal facteur de performance avec une hausse de 28 % du ratio P/E (cours/bénéfices) tendanciel pour les indices MSCI US et MSCI Europe expliquant 93 % de la progression des actions aux Etats-Unis et 154 % de celle enregistrée par les actions européennes (alors que les bénéfices ont encore de nouveau reculé).
Les raisons d’anticiper une hausse de la croissance des bénéfices cette année sont simples. Du fait de la relation habituelle entre croissance des bénéfices et croissance économique, une accélération de la croissance économique aux Etats-Unis et une reprise économique en Europe devraient se traduire également par une progression des bénéfices.
Cependant, nous aurions déjà dû anticiper un redressement plus convaincant de la croissance des bénéfices. Jusqu’à présent, les révisions de bénéfices (nombre des révisions à la hausse par rapport aux révisions à la baisse) n’ont pas réussi à se redresser et les prévisions de croissance des bénéfices du consensus ont continué à reculer.
Pour 2013, nous avions anticipé à titre de scénario de base une croissance des bénéfices par action proche de 10 % pour les Etats-Unis et de -3 % pour l’Europe. Il semble que nos anticipations seront déjouées de quelques points de pourcentage dans chaque cas : le consensus bottom-up (désormais suffisamment précis, même si les chiffres définitifs ne sont pas encore disponibles) s’approche actuellement d’une croissance de respectivement 6 % et -5 %.
De même, pour 2014, les prévisions de croissance du consensus continuent de reculer pour se situer à 8,3 % pour les Etats-Unis et 10,4 % pour l’Europe, contre respectivement 14 % et 18 % pour notre scénario de base.
Fait intéressant, les marges aux Etats-Unis — thème crucial qui alimente les inquiétudes sur les bénéfices — sont réellement un domaine dans lequel l’amélioration est déjà visible.
Les marges des entreprises non financières aux Etats-Unis ont en effet progressé à 7,9 % en février contre 7,3 % un an auparavant — pas très éloignées des précédents sommets proches de 8,3 %. Par contraste, l’Europe n’a pas encore atteint le niveau plancher de ses marges.
Si l’écart entre nos anticipations et celles du consensus s’est élargi, nous continuons à suspecter une trop grande prudence des analystes motivée par la déception sans cesse renouvelée de ces dernières années.
Comme la croissance économique continue à se renforcer cette année, les analystes sont susceptibles de “courir” après leurs prévisions.
Cependant, dans le même temps, la patience des investisseurs pourrait être mise à l’épreuve : les résultats du premier trimestre aux Etats-Unis devraient être affectés par l’épisode de mauvais temps hivernal extrême qu’ils ont enduré, quant aux modèles d’évolution des bénéfices en Europe, ceux-ci ne prévoient un début réel du redressement qu’au cours du second trimestre (dont les chiffres ne seront publiés qu’au cours du troisième trimestre).
L’attente de l’inversion de tendance pourrait se traduire par une nervosité croissante des investisseurs.