Cet article a été initialement publié dans l'édition de juin 2013 de Morningstar Professional, le magazine de Morningstar France à destination des investisseurs.
Les matières premières ont enregistré des performances très intéressantes au cours des 30 dernières années, constituant un outil de diversification intéressant, plutôt bien identifié par les grands asset managers anglo-saxons. Comment analysez-vous la performance décevante sur la plupart des matières premières ?
Frédéric Lasserre, Président-Fondateur de Belaco Capital : Sur un siècle, la tendance de long terme sur les matières premières reflète plutôt une baisse des cours tant en termes réels que nominaux. En réalité, la hausse des cours a commencé au début des années 2000, d’abord sur le pétrole puis sur les métaux industriels et plus récemment sur les produits agricoles. C’est cette hausse brutale que l’on a qualifiée de « super-cycle » car on avait alors le sentiment que les cours des matières premières allaient devoir augmenter de façon durable pour pallier des années de sous-investissement précisément lié à 30 ans de prix faibles et donc de rentabilité quasi-nulle pour les producteurs. Plus qu’un choc de rareté des ressources, c’est à un choc de pénurie de capacités de production auquel nous avons assisté dès lors que la demande mondiale s’est remise à croître avec l’émergence des BRICS.
Cette hausse impressionnante des cours a constitué un signal suffisant pour déclencher un nouveau cycle d’investissement qui produit depuis 2 ou 3 ans ses premiers effets avec une hausse des capacités de production. Malheureusement, cette offre arrive sur le marché au moment où la demande a ralenti fortement en raison de la crise économique et financière qui perdure depuis 2008. Les stocks remontent sur toutes les matières premières à l’exception des produits agricoles pour lesquels d’une part, la demande est par nature la moins sensible à la conjoncture économique et d’autre part, le cycle d’investissement n’est pas encore arrivé à son terme puisque la hausse des cours a été beaucoup plus tardive.
Jean-Pierre Petit, Président des Cahiers Verts de l’Economie : La période 2001-2011 a été effectivement très positive pour les matières premières, à la faveur de toute une série de circonstances favorables ; croissance très forte (mal anticipée) de la demande des pays émergents, sous-investissement antérieur en raison des prix durant la décennie antérieure, baisse du dollar, baisse des taux réels, financiarisation,…. C’est ce qui a justifié le thème du « super-cycle » des matières premières. La littérature a d’ailleurs identifié plusieurs super-cycles des matières premières depuis la fin XIXème siècle. Les périodes de hausses structurelles des prix réels ne sont pas éternelles; le cycle haussier le plus long pour le prix réel des matières premières hors pétrole a été de 23 ans (1894-1917)
Nous pensons que la plupart des facteurs haussiers des années 2000 est plutôt derrière nous. Au cours des 2 dernières années, il y a eu une prise de conscience progressive que la croissance de la Chine serait plus faible qu’au cours de la décennie 2000 (10,4%), avec surtout une réduction tendancielle du taux d’investissement et du poids de la construction dans ce pays. Or, la Chine représente encore aujourd’hui 45% de la consommation des métaux industriels, 12% du pétrole et 24% de l’or. En 2000, les chiffres correspondants étaient respectivement 15, 4,5 et 6%. Au-delà de la Chine, la croissance des pays riches restera faible. Ajoutons que l’investissement en capacités a aussi redémarré depuis les années 2000 et le dollar a récemment arrêté de baisser. Rappelons également que l’élasticité de la croissance de la demande de pétrole à la croissance économique baisse, en particulier aux Etats-Unis où l’on observe une stagnation de la consommation depuis 3 ans. N’oublions pas que l’élasticité de court terme au prix est faible mais que l’élasticité de long terme est plus importante grâce à l’ajustement des comportements (par exemple voitures plus petites, baisse de la distance parcourue sur les routes).
Au-delà du « super-cycle », acheter des matières premières à long terme revient à parier contre l’innovation technologique et la capacité d’adaptation du capitalisme. Il est vrai que la poursuite de l’urbanisation et du développement des infrastructures dans l’ensemble du monde émergent ainsi que la forte dynamique démographique qui persistera en Inde et en Afrique devraient soutenir la croissance des biens fortement consommateurs de matières premières. Mais cette thématique est désormais, me semble –t-il, bien intégrée.
Cette correction récente constitue-t-elle une opportunité d’investissement ? Quelles matières peuvent être considérées comme sous-évaluées/surévaluées ?
Frédéric Lasserre : Je pense en effet que la correction actuelle offre des points d’entrée attractifs sur beaucoup de matières premières. La question est moins sur le niveau des cours que sur le timing. Pour assister à la deuxième phase de hausse du « super-cycle », il faut d’évidence que la demande retrouve un sentier de croissance soutenue. Cela renvoie donc directement au scénario macro-économique. Si 2013 semble déjà joué, nous pensons que 2014 devrait marquer le retour des Etats-Unis à leur potentiel de croissance ce qui devrait aider la Chine à gérer sa transition vers une économie plus équilibrée entre croissance externe et croissance interne. L’Europe connaîtra une reprise avec le décalage habituel de son cycle conjoncturel de 2 à 4 trimestres.
Je pense que les meilleures opportunités de retour sur les matières premières seront sur le pétrole et les produits de chauffage (gasoil et fuel domestique) pour l’énergie, sur le cuivre et le plomb pour les métaux industriels et sur les grains, blé surtout et ensuite soja. L’or devra attendre de savoir si la reprise se fera avec ou sans inflation pour retrouver le chemin de la hausse. Ma conviction est qu’entre la difficulté des banques centrales à retirer la surabondance de liquidités et l’opportunité de dévaloriser les dettes publiques comme privées en termes nominaux, il y aura un consensus tacite pour laisser l’inflation remonter. Je serai donc acheteur d’or dans le courant du second semestre si les cours restent près des niveaux actuels.
Jean-Pierre Petit : L’une des particularités des matières premières comme actif d’investissement est précisément la difficulté qu’il y a de les valoriser correctement, du fait de leur absence de rendement. Les prix réels restent aujourd’hui au-dessus de leur moyenne de très long terme. Si l’on prend le pétrole, les forces sont plutôt baissières: la croissance de la Chine déçoit un peu, les stocks sont élevés, la hausse de la demande du Japon liée à l’arrêt des centrales nucléaires est plutôt derrière nous et l’offre iranienne est sur une tendance haussière. D’un point de vue fondamental, l’offre est structurellement en hausse avec les développements technologiques liés aux investissements du cycle passé (fracture hydraulique, forage horizontal).
D’une manière plus générale, n’oublions pas qu’il y a des forces de rappel « naturelles » pour les prix des matières premières. Un prix trop élevé et/ou qui s’élève trop rapidement n’est pas supportable pour l’économie. Parier sur un prix durablement trop fort n’est pas raisonnable.
Quels éléments (fondamentaux, flux de fonds, banques centrales, facteurs exogènes comme le risque politique) sont aujourd’hui déterminants pour comprendre l’évolution des matières premières comme classe d’actif au cours des prochains trimestres ?
Frédéric Lasserre : Ils le sont tous ! La vraie difficulté vient du fait qu’ils ne le sont pas tous au même moment. Quand les cours du pétrole ont commencé à augmenter en 2003, seuls les fondamentaux comptaient pour comprendre et prévoir leur évolution. Cela a commencé par un choc géopolitique (intervention américaine en Irak) puis a continué par une baisse importante des stocks, une tension sur la production de brut et des taux d’utilisation des raffineries que l’on avait plus vus depuis la fin des années 60. Cette hausse a légitimement attiré de nombreux investisseurs et ce sont alors les flux d’investissement qui ont dominé l’évolution des cours. Les cours progressaient beaucoup plus vite que les fondamentaux ne le justifiaient ce qui a laissé penser qu’une bulle spéculative était en train de se former.
Avec la crise financière, entre 2008 et 2010, les deux types de facteurs se sont équilibrés. Ralentissement économique et réallocation des portefeuilles à l’échelle mondiale ont conduit à une forte correction suivie d’un phénomène de rebond. Enfin, entre 2011 et 2012, à l’instar des autres classes d’actifs, les matières premières ont été ballotées au gré du fameux « risk-on/risk-off ». Un processus de pur arbitrage entre actifs dits « non-risqués » (pour ce que cela a pu signifier durant cette période !) et actifs risqués. Ces arbitrages se faisaient au gré tantôt des craintes de risque systémique, faillites bancaires, défaut sur des dettes souveraines, tantôt des annonces de politiques monétaires ou budgétaires. Nous étions donc loin des fondamentaux des matières premières.
Depuis le début de l’année, nos indicateurs montrent que les cours sont redevenus sensibles quasi-exclusivement aux fondamentaux. C’est bien ce qui explique la disparition de la corrélation entre les matières premières et les actions qui avait été présentée par certains comme un corollaire irréversible de la « financiarisation des matières premières ». Malheureusement, cette dé-corrélation s’est faite au détriment de la performance des matières premières qui n’ont pas du tout bénéficié des dernières décisions d’injection de liquidités, tant par la Fed que par la BoJ. C’est peut-être un bien car une hausse des cours qui aurait été alimentée exclusivement par un recyclage de liquidités de banques centrales ne m’inspirerait pas grande confiance quant à sa pérennité.
Jean-Pierre Petit : A court terme, pour les matières premières non stockables, c’est le flux de demande à des fins d’utilisation productive qui joue. Pour les matières stockables, les comportements spéculatifs font varier le prix au jour le jour et les stocks s’ajustent selon la demande réelle.
Pour le reste, les matières premières sont sensibles au momentum cyclique, à la valeur du dollar et aux politiques monétaires. Le rôle des banques centrales est important car un taux court faible réduit le coût d’opportunité de détention des matières premières. Toute hausse des taux ou durcissement relatif des politiques monétaires devrait peser sur les matières premières, si les conditions économiques ne s’améliorent pas substantiellement. Le risque politique joue (surtout sur les matières premières énergétiques) en raison du caractère inélastique de la demande à court terme ; mais la hausse du prix fait pression sur la demande, d’où un ralentissement du cycle, puis des prix.
Pour un investisseur qui se fixe un horizon d’investissement long, qu’apportent les matières premières en termes de diversification des portefeuilles ?
Frédéric Lasserre : Elles apportent plus que de simples études de corrélation ou d’approches en termes de Markovitz ne le suggèrent. La corrélation sur longue période est et reste faible. Mais elle peut passer par des niveaux assez élevés pendant des périodes économiques atypiques telles que nous avons connues en 2011 et 2012. L’approche doit bien être menée sous l’angle de la diversification des « moteurs de performance », c’est-à-dire en regardant à quels types de facteurs on s’expose avec des matières premières et si ces facteurs sont déjà présents dans un portefeuille classiquement balancé entre actions et obligations.
Avec les matières premières, on est bien entendu exposé à la croissance économique mais en fonction des matières premières, on peut choisir de s’exposer à la croissance d’une zone géographique spécifique mais aussi d’une composante précise de sa croissance. Par exemple, le premier facteur influençant les cours du cuivre est aujourd’hui les dépenses d’infrastructure et les mises en chantier en Chine. On peut à l’inverse être immune à la croissance économique mondiale avec les produits agricoles. Leur premier facteur et quasi-unique à court terme reste de loin la météorologie. Aucune autre classe d’actifs n’offre la possibilité de s’exposer à la météorologie aussi bien nord-américaine que sud-américaine, asiatique ou européenne en fonction des produits retenus.
Le pétrole offre un mix unique entre croissance économique (chinoise et américaine mais aucune sensibilité à la croissance européenne), géopolitique et climat. Certains assureurs le retiennent même comme un instrument de couverture de certains risques climatiques tels que la saison des ouragans dans le Golfe du Mexique ou de certains risques géologiques. Enfin, l’or a un statut complètement à part avec cette propriété unique d’être le seul actif en dernier recours sans aucun risque de défaut puisqu’il n’est émis par aucun Etat mais en revanche admis par tous comme moyen de paiement.
Jean-Pierre Petit : Les matières premières constituent une classe d'actifs autonome dans la mesure où elles sont historiquement faiblement, voire négativement, corrélées aux autres actifs et où leur performance ne peut être reproduite par une combinaison linéaire d'autres actifs. Il faut néanmoins nuancer ce point dans la mesure où les corrélations des matières premières cycliques avec les actifs financiers risqués se sont renforcées au cours des 10 dernières années, tout particulièrement durant les phases de stress.
Les matières premières couvrent également mieux un risque d’inflation élevée. Les facteurs influençant les performances des matières premières dépendent de l'évolution des cours bien sûr, mais aussi de phénomènes plus spécifiques comme la courbe des prix à terme et l'évolution du dollar (puisqu’elles sont cotées dans la monnaie américaine). Les risques sous-jacents aux matières premières sont aussi assez spécifiques comme le climat (surtout pour les matières premières agricoles), les facteurs géopolitiques ou environnementaux. Elles performent également différemment des autres actifs suivant l'état du cycle économique.
Notons aussi que les matières premières ne constituent pas une classe d’actifs homogène et que chaque catégorie (énergie, métaux industriels, produits agricoles, métaux précieux) et sous-catégorie a ses propres déterminants.
Y avait-il selon vous une bulle sur l’or. La correction récente est-elle annonciatrice d’une correction future sur les marchés obligataires ? Les marchés actions ?
Frédéric Lasserre : Il est impossible de parler de bulle sur un actif comme l’or. Une bulle se définit comme un écart de prix persistant et injustifiable avec la « valeur fondamentale » (la fair value) d’un actif. Si l’or a bien des fondamentaux en tant que matière première, c’est-à-dire dans ses usages physiques (bijouterie, électronique, dentisterie), ce ne sont pas eux qui fondent son prix. Sa valeur vient évidemment de son statut si particulier de valeur refuge admis sous toutes les époques, toutes les cultures et toutes les périodes, surtout les plus troublées, comme une alternative à la monnaie. Donc les investisseurs accumulent de l’or lorsqu’ils craignent pour leurs avoirs libellés dans d’autres monnaies. Par suite, cette perception du risque fait partie intégrante des « fondamentaux » de l’or. Pour dire qu’il y avait une bulle, il faudrait donc montrer que la perception du risque des investisseurs n’était pas aussi forte que ne le laissait penser la hausse des cours de l’or.
La correction récente n’est pas annonciatrice d’un crash obligataire en tant que telle mais cette correction indique clairement que les investisseurs constatent que les taux longs américains commencent à remonter et anticipent que les taux court réels ne vont pas tarder à redevenir positifs. Or, ils ont tous en tête le crash obligataire de 1994 où la Fed n’a pas su sortir de sa politique à taux zéro sans prévenir le crash. C’est pourquoi la Fed aujourd’hui « télégraphie » au marché chaque étape de la sortie. La décision de sortie est actée et tous les investisseurs doivent commencer à intégrer cette décision dans leurs allocations de portefeuilles. La Fed est maintenant en train d’indiquer le timing de sortie. Ce sera dans le courant du second semestre. Plus tôt ou plus tard est une information de deuxième ordre. La Fed laisse planer le doute pour que tous les investisseurs se préparent maintenant et n’attendent pas la dernière minute. L’or a été l’un des premiers marchés à intégrer ce message. Les marchés actions font encore un peu de résistance mais il faut dire que la BoJ est venue troubler le message pour les gérants actions. Pour l’or, pas d’ambiguïté, les injections japonaises signifient surtout une remontée du dollar ce qui doit se traduire mécaniquement par un ajustement de la parité OR/USD.
Jean-Pierre Petit : Personne ne sait valoriser correctement l’or. Les déterminants sont plutôt mal orientés: taux réels déjà au plus bas, inflation en baisse au niveau mondial et dans les pays émergents, dollar ferme, baisse du risque souverain et bancaire, comportement moins favorable des banques centrales émergentes,…
Depuis 10 ans, le prix de l’or a cru beaucoup plus vite que celui des biens de consommation tels que mesurés par l’indice des prix à la consommation américain.
Toutefois, il existe une justification à la plus forte croissance de l’or car son stock est relativement limité (faible production). Si les agents épargnaient une proportion fixe de leurs revenus en or, la croissance à long terme des prix serait identique à celle du PIB nominal (à stock fixe). Or, on constate que le prix de l’or par rapport au niveau initial de 1970 est plus de deux fois supérieur de ce point de vue. En prenant une mesure conservatrice, on constate que le ratio est encore au-dessus de sa moyenne depuis 40 ans sachant d’autant plus que le stock croit au rythme de 1,5% par an. L’or relatif aux dividendes du S&P apparait actuellement encore cher si l’on tient compte de la tendance haussière longue. De même, lorsque l’on compare l’or aux autres matières premières, on constate que le ratio est dans sa borne haute observée depuis 40 ans. L’ensemble des mesures suggèrent donc un cours de l’or encore largement élevé en relatif.
La baisse de l’or peut signifier aujourd’hui une amélioration tendancielle de l’économie mondiale et une baisse du risque systémique et une hausse des taux courts réels anticipés. A priori cela serait plutôt concordant avec une hausse tendancielle des actions et des taux longs. Mais encore une fois, l’or obéit à une dynamique propre pas nécessairement liée aux marchés actions et de taux. Ainsi l’or a connu des performances positives au cours de l’avant-dernier marché actions haussier (2003-2007).
La politique américaine en faveur des gaz de schiste constitue-t-elle selon vous une vraie rupture géostratégique ou une évolution conjoncturelle mineure ? Quels enseignements doivent en tirer les dirigeants politiques en Europe ?
Frédéric Lasserre : La politique américaine en faveur des gaz et plus encore des pétroles de schistes est une vraie révolution qui aura des impacts géostratégiques majeurs tant au niveau des pays producteurs que des pays consommateurs donc dans toutes les régions du monde. Sur un horizon de 10 à 15 ans, les Etats-Unis vont devenir exportateurs nets de gaz liquéfié et de pétrole, concurrençant ainsi directement leurs fournisseurs et alliés historiques. Quand on se souvient des motivations de l’administration Bush à intervenir en Irak, on mesure bien les enjeux que le basculement d’une situation de dépendance énergétique à une situation d’indépendance va soulever. Non seulement les Etats-Unis ne seront plus tributaires de zones chroniquement instables où ils doivent encore aujourd’hui, bon gré mal gré, assurer un minimum de stabilité, mais selon leur capacité d’exportation, ils vont également permettre à certains de leurs alliés stratégiques de se fournir auprès d’eux plutôt que de fournisseurs disons « moins fiables ».
Les dirigeants européens doivent donc appréhender la portée de leur décision d’investir ou non dans les hydrocarbures de schistes à l’aulne de ces enjeux géostratégiques. Dès aujourd’hui, les enjeux économiques sont déjà structurants. Le gaz européen coûte en moyenne 3 fois plus cher que le gaz américain. Cela se traduit par un supplément de facture énergétique de EUR 130 MDS par an pour les entreprises européennes. Dans certains secteurs à forte intensité énergétique, cette distorsion concurrentielle n’est tout simplement pas tenable. Elle commence à se traduire par des délocalisations. Le respect de l’environnement et le principe de précaution sont deux piliers indiscutables et inaliénables des politiques énergétiques de l’Union Européenne. Il faut s’en féliciter. En revanche, ne pas autoriser des projets pilotes qui ont justement pour but d’améliorer les techniques ne paraît pas défendable.
Personne ne s’étonne de la vitesse à laquelle la production américaine de gaz a progressé depuis 5 ans (+24%) et de pétrole depuis 3 ans (+20%). C’est tout simplement parce que l’existence des gaz et pétroles de schistes est connue depuis les années 60 et que des projets expérimentaux ont été menés et entretenus pour améliorer les techniques depuis 30 ans. Ce qui a fait décoller les gaz et pétroles de schistes aux Etats-Unis, ce n’est pas la technologie qui était connue depuis longtemps mais les prix. Dès qu’ils ont eu atteint les coûts marginaux et donné le sentiment aux producteurs qu’ils y resteraient pour de nombreuses années, l’industrie américaine a déployé cette technologie et est passée en un temps record à une production de masse.
Jean-Pierre Petit : C’est bien sûr une véritable rupture. Les avantages sont multiples ; créations d’emplois et dynamique de l’investissement dans ces secteurs, baisse du coût de l’énergie au profit des entreprises et des ménages (avec un prix du gaz environ 4 fois moins cher qu’en Europe et les effets induits sur les prix relatifs de l’électricité), relocalisation de nombreuses entreprises manufacturières, baisse du taux de dépendance énergétique, amélioration du solde extérieur et moindre vulnérabilité aux pays à risque.
Cette évolution correspond aux évolutions normales de l’économie de marché internationale. Le coût élevé de l’énergie a poussé l’innovation à la hausse. Pour l’Europe, le message est très clair : la R&D paie et l’excès de principe de précaution est nuisible.