Mario Draghi a une fois de plus créé la surprise à un moment où on ne l’attendait guère. S’exprimant vendredi dernier lors du symposium de Jackson Hole, le président de la Banque centrale européenne a « jeté un pavé dans la mare » comme l’explique l’économiste Véronique Riches-Flores de RF Research : « Aveu d’échec de la stratégie de sortie de crise et d’inquiétudes croissantes à l’égard des perspectives économiques de la zone euro et de la déflation, le discours du président de la BCE est de nature à préparer un tournant de la politique économique en zone euro. »
Alors que la plupart des mesures de soutien à l’économie annoncées le 5 juin dernier n’ont pas encore été mises en œuvre, le marché s’est emballé lundi, l’indice S&P 500 ayant passé la barre des 2.000 points. Pourtant, dans le même temps, le 10 ans allemand a retrouvé un plus bas de 0,95% déjà atteint le 15 août, tandis que le 10 ans espagnol tombait à 2,26% (soit 12 points de base en-deçà du 10 ans américain, qui traite à 2,38%).
Une analyse partagée en partie par Guillaume Menuet, économiste chez Citi : « Nous pensons que la matérialisation de risques entraînant une révision en baisse du PIB va conduire la BCE à lancer un programme d’assouplissement quantitatif (« QE ») dans les mois, la persistance d’un important output gap [écart entre croissance réelle et croissance potentielle, NDLR] augmentant la probabilité que l’inflation reste bien en-deçà de l’objectif [de la BCE] pour une période de temps étendue. »
Une telle annonce, dont la probabilité est chiffrée actuellement à 15% par le consensus des économistes, pourrait porter sur un montant de 1.000 milliards d’euros d’après Citi. L’objectif serait de faciliter les conditions d’accès au crédit, de stopper la baisse des anticipations d’inflation et de permettre une réduction de l’output gap.
La situation presse : l’inflation en zone euro devrait chuter à 0,2% en août et septembre (contre 0,5% en juin), selon Credit Suisse. Les tensions géopolitiques entre l’Ukraine et la Russie pèsent sur le sentiment des entreprises, même si les enquêtes et indicateurs avancés sont cohérents, selon la banque suisse, avec une croissance du PIB de la zone euro comprise entre 1% et 1,5% cette année.
Tous les économistes ne pensent pas que la BCE se hâtera. Chez Exane BNP Paribas, Astrid Schilo estime que la banque centrale attendre d’évaluer l’impact de son opération de financement à long terme ciblé (« T-LTRO ») avant de se décider à lancer un programme d’achat d’actifs. « Toutefois, si la reprise économique ne parvient pas à se concrétiser dans les prochains mois, ce qui aurait un impact sur les anticipations d’inflation à 5 ans, nous pensons que la BCE serait en mesure d’annoncer davantage de soutien », écrit-elle dans une note datée du 26 août. L’économiste table sur une opération de l’ordre de 300 milliards d’euros dans cette hypothèse.
Les économistes de Credit Suisse partagent cette analyse : « la croissance est trop faible pour convaincre les marchés de la soutenabilité de la reprise, mais pas assez pour conduire la BCE à agir de manière plus significative. »