Face à un environnement de marché plus volatil et une liquidité réduite, les investisseurs doivent se montrer très sélectifs dans l’univers du crédit, ont estimé mardi 8 septembre trois experts de la classe d’actifs invités à la conférence annuelle de Morningstar à Paris.
La table ronde dédiée aux obligations a rassemblé trois experts des marchés du crédit : Julien Eberhardt, Gérant chez Invesco Perpetual, Philippe Noyard, Responsable de la Gestion High Yield et Arbitrage Crédit chez Candriam, et Anne Velot, responsable de la gestion obligataire crédit Europe chez AXA IM.
Performance décevante du crédit « investment grade » depuis début 2015
Alors que les obligations privées en euros signaient l’une des meilleures performances en 2014, avec un gain de 8,4% pour l’indice Barclays Euro Agg Corps, elles sont en territoire légèrement négatif sur les 8 premiers mois de 2015.
Selon Anne Velot, ce revirement s’explique par un volume d’émissions supérieur à la demande des investisseurs, ainsi que par les inquiétudes sur la crise grecque et le ralentissement de la croissance globale.
Elle a néanmoins rappelé que les performances des années 2009, 2012 et 2014 étaient en soi exceptionnelles par rapport à la moyenne de long terme de cette classe d’actifs, et qu’on assiste aujourd’hui plutôt à une normalisation.
Paradoxalement, dans un environnement plutôt « risk-off », le crédit « high yield » s’est un peu mieux comporté. Selon Philippe Noyard, il a été tiré en partie par la bonne performance des marchés actions sur la première partie de l’année, mais il y a eu de très grandes disparités entre les émetteurs individuels.
La sélectivité est de mise
Toujours selon Philippe Noyard, dans ce contexte difficile, les valorisations raisonnables sont plutôt à chercher du côté des plus petits émetteurs, à l’instar de R&R Ice Cream au Royaume-Uni, dont le modèle économique semble moins risqué que celui de certaines grandes entreprises.
Dans les fonds AXA gérés par l’équipe d’Anne Velot, les secteurs moins cycliques sont à l’honneur, à l’image de l’immobilier, avec l’apparition de nombreux nouveaux émetteurs tels que Deutsche Annington et Icade. Elle privilégie également le secteur des transports, mettant en avant le désengagement de l’Etat dans les sociétés aéroportuaires qui conduit ces dernières à se financer de plus en plus sur les marchés.
Sur les secteurs plus cycliques, certains émetteurs tels que Glencore restent attractifs selon elle, compte tenu d’une prime de risque excessive alors que la qualité fondamentale du bilan reste acceptable. Anne Velot a en revanche attiré l’attention des investisseurs sur la vague d’émetteurs Nord-Américains qui ont récemment envahi le marché de la dette en euros pour bénéficier des taux d’intérêt moins élevés.
Ces émissions opportunistes n’ont pas été très bien absorbées par le marché et leurs performances ont déçu pour la plupart, à l’instar de Berkshire Hathaway par exemple.
Des primes attractives sur les nouvelles obligations financières subordonnées
Interrogé sur les opportunités dans le secteur financier en Europe, Julien Eberhardt a rappelé que la réglementation de plus en plus contraignante depuis la crise financière a forcé les banques à assainir leurs bilans. Alors que la profitabilité des émetteurs financiers s’améliore, les investisseurs peuvent bénéficier de nouveaux instruments de dette, moins prioritaires dans l’ordre de remboursement des créances, mais avec des rendements plus intéressants.
Ces instruments appelés « CoCos » (contingent convertible bonds) présentent néanmoins plusieurs risques. Premièrement, si la solvabilité de l’émetteur descend sous un certain niveau, les obligations se transforment en actions (avec généralement des pertes pour l’investisseur). D’autre part, ces obligations n’ont pas de maturité fixe pour le remboursement du capital : elles sont, de facto, « perpétuelles ». Enfin, le versement des coupons est entièrement à la discrétion de l’émetteur qui peut les suspendre si sa profitabilité se dégrade (au même titre qu’il peut suspendre le paiement des dividendes sur une action).
Selon Julien Eberhardt, il est donc indispensable de disposer de ressources analytiques adéquates pour faire le tri dans cet univers très technique et saisir ces opportunités.
Un fort engouement pour les « hybrides »
Longtemps l’apanage du secteur financier, les obligations subordonnées apparaissent aussi depuis quelques années dans d’autres secteurs, tels que les utilities, comme l’a rappelé Anne Velot.
La plupart des entreprises qui émettent ces titres « hybrides » ont des fondamentaux très solides selon elle. En revanche, l’intérêt de ces émissions provient en partie de la manière dont elles sont comptabilisées par les agences de notation. Elles pourraient donc souffrir en cas de changement de méthodologie de ces dernières.
A cela s’ajoutent les risques liés aux clauses spécifiques des « covenants » (ces contrats qui régissent les obligations de l’émetteur par rapport à ses créditeurs), a indiqué Philippe Noyard. Une analyse poussée des caractéristiques techniques de chaque émission est donc indispensable avant d’investir, selon lui.
Liquidité dégradée
Les trois intervenants ont fait le constat d’une liquidité aujourd’hui amoindrie sur le marché du crédit européen. Ce marché de gré à gré dépend structurellement des intermédiaires et « market-makers », dont les inventaires sont bien moins importants qu’avant la crise de 2008.
Pour anticiper les risques d’un assèchement brutal de la liquidité, les équipes obligataires d’Invesco ont décidé de mettre en place un niveau minimal de « cash » pour l’ensemble des fonds de la gamme, mais exclut pour l’instant de faire appel à des produits dérivés tels que les « credit default swaps », jugés trop complexes et risqués.
Philippe Noyard a en revanche indiqué faire une utilisation accrue de ces instruments dérivés, qu’il estime être plus liquides que les obligations sous-jacentes dans les périodes de turbulence. D’autre part, Anne Velot a rappelé que les acteurs du marché du crédit ont eux aussi évolué, transformant la structure des échanges.
De nombreux investisseurs institutionnels tels que les assureurs achètent aujourd’hui des obligations « investment grade » pour le long terme, et tournent peu leurs portefeuilles.
A l’inverse, les titres plus risqués tels que le « high yield » et les hybrides sont achetés par des investisseurs plus actifs. La liquidité et les volumes échangés peuvent donc paradoxalement être plus favorables sur ces instruments plus risqués. Elle a également insisté sur l’importance de dédier, au sein des sociétés de gestion, des ressources conséquentes au « trading », un métier de plus en plus complexe.