Paroles d’experts : les actions européennes

Trois gérants expérimentés, avec un style de gestion affirmé, ont partagé leurs vues sur cette classe d’actifs qui a bénéficié de l’engouement des investisseurs.

Arthur Mennechet 10.09.2015
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Pour la sixième édition de la Conférence Morningstar, l’équipe de recherche avait invité le 8 septembre 2015 trois gérants aguerris sur cet univers d’investissement : Régis Bégué, directeur de la gestion actions chez Lazard Frères Gestion, gérant du fonds Lazard Objectif Alpha Euro (noté « Bronze » par les Analystes Morningstar), Ingrid Trawinski, co-directeur de la gestion chez Metropole Gestion et co-responsable du fonds Metropole Sélection (noté « Silver »), ainsi qu’Isaac Chebar, gérant du fonds DNCA Value Europe (noté « Bronze »).

 

Valorisation du marché des actions européennes

Avec une période estivale mouvementée, les secousses liées au marché chinois ont refroidi l’enthousiasme des investisseurs sur les marchés européens, qui avaient pourtant bien progressé depuis le début de l’année. Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger sur la progression du PER et du niveau actuel de valorisation des actions européennes.

Pour Ingrid Trawinski, le marché sous-estime le levier opérationnel des sociétés européennes. Elle considère que leurs marges devraient progresser, les entreprises récoltant les fruits de leurs restructurations, notamment la baisse de leurs coûts fixes. Dans un contexte de reprise économique sur leur marché domestique, elles bénéficieraient par ailleurs d’un effet de change EUR/USD favorable et de la baisse du prix des matières premières. En multiples d’EBITDA et de chiffre d’affaires, les valorisations des actions européennes lui paraissent donc encore attractives.

Isaac Chebar partage ce constat mais considère qu’il ne s’agit pas que d’une question de réduction de la masse salariale, mais également d’une amélioration des processus de production dans les entreprises européennes. Pour lui, le potentiel de marge bénéficiaire est donc supérieur à celui qu’il était en 2007. Il considère que certaines sociétés sont dans une logique de rationalisation de leur portefeuille d’activités, comme par exemple les valeurs des télécoms, et identifie une décote sur les valeurs domestiques depuis 3 ans. Pour Chebar, l’amélioration des marges n’est pas forcément intégrée dans les multiples boursiers traditionnels tels que le PER.

Du côté de Lazard, Régis Bégué estime que la reprise économique est enclenchée depuis 2009, malgré un coup d’arrêt temporaire en 2011. Pour lui, les actions européennes sont globalement sous-évaluées et leurs marges ne peuvent que progresser, puisqu’elles sont inférieures aux moyennes de cycle. Il voit en particulier un levier opérationnel fort sur les valeurs cycliques européennes, avec un effet à retardement de la baisse du prix des matières premières sur les bénéfices.

 

Télécoms

Les télécoms ont été l’un des secteurs qui a le plus agité la sphère économique ces dernières années, mais aussi l’un de ceux qui a le mieux progressé en bourse en 2014 et depuis le début de l’année.

Le fonds DNCA Value Europe, géré par Isaac Chebar, y était exposé à hauteur de 10,6% contre 9% pour la catégorie à fin juin 2015. Pour le gérant, il reste du potentiel sur ce secteur, puisqu’il voit le marché européen en retard par rapport à son homologue américain en termes de qualité du réseau. Il pense que les opérateurs européens vont  continuer à réduire leurs coûts, et que l’intérêt croissant des clients pour la qualité au détriment du seul prix pourrait améliorer les marges et, in fine, les bénéfices des opérateurs.

L’équipe de Metropole Gestion est elle aussi optimiste sur les perspectives du secteur en Europe, avec un pari de longue date initié dans le fonds Metropole Sélection pendant l’été 2012. Depuis, elle considère que les opérateurs télécoms pourraient bénéficier d’une règlementation moins axée sur la concurrence et le bénéfice des consommateurs.  Compte tenu de ce catalyseur, d’une valorisation jugée attractive et d’une bonne capacité à verser des dividendes, l’équipe conserve d’importants paris sur ce secteur.

De son côté, Régis Bégué a en revanche réduit le poids des opérateurs télécoms dans son fonds Lazard Objectif Alpha Euro, en vendant Iliad et Orange pour des raisons de valorisation. Bégué estime que la consolidation du secteur en France n’est pas encore enclenchée, avec un risque de détérioration des marges.

 

Matériaux de base et énergie

Les secteurs de l’énergie et des matériaux de base ont quant à eux nettement sous-performé l’indice MSCI Europe en 2014 et continuent d’être délaissés par les investisseurs en 2015.

Pour Régis Bégué, il faut faire une distinction entre le pétrole, l’énergie et les matières premières. Sur le pétrole, il considère que le marché est entré dans une phase structurelle d’excès d’offre par rapport à la demande, avec un prix du pétrole durablement bas pour les majors. Dans l’énergie, certains investissements d’infrastructures ont été coupés, ce qui pourrait conduire à un problème de production d’électricité en Allemagne, avec des conséquences négatives sur la production industrielle allemande selon lui. Les matières premières ont, quant à elles, souffert de la baisse de la demande chinoise, mais Bégué considère que la situation est plus conjoncturelle et pourrait se renverser en cas de rebond des pays émergents. Pour lui, certains secteurs liés au prix des matières premières et de l’énergie sont actuellement très décotés.

Chez Metropole, Ingrid Trawinski et son équipe ont initié un retour sur le secteur pétrolier au second trimestre 2015 avec l’achat de BP et Shell, deux majors qu’elles considèrent excessivement sous-évaluées même dans l’environnement de prix du pétrole bas. Dans celui-ci, les deux sociétés continueraient à générer, selon l’analyse de Metropole, suffisamment de cash pour honorer le paiement de leur dividende sans pour autant mettre en péril leur notation « investment grade ».

Du côté de DNCA, Isaac Chebar reconnaît que le secteur pétrolier dans son ensemble est délaissé par le marché mais il ne croît pas à la fin de l’énergie fossile à moyen terme. Il conserve quelques valeurs pétrolières, en attendant des jours meilleurs pour le prix du baril. Il minimise à ce titre la pression à la baisse provoquée par les producteurs de gaz de schiste, considérant que ces derniers ne génèrent pas assez de flux de trésorerie pour financer leur production à moyen et long terme.

 

Financières et risque pays

Les secousses du mois d’août liées à la Chine ont relégué au second plan les inquiétudes sur la Grèce. Celles-ci ont pourtant rappelé que le risque pays en zone euro n’avait pas totalement disparu. Cela est d’autant plus vrai pour certaines institutions financières, souvent très liées à la santé économique de leur marché domestique.

Parmi les trois gérants invités, Régis Bégué a été historiquement le plus téméraire sur ce secteur, même dans le creux de marché de 2011. A ce titre, il reste convaincu du potentiel de revalorisation de certaines banques françaises, italiennes et espagnoles, mais devient sceptique quant à celui des banques allemandes. De son point de vue, l’impact de la réglementation sur les valeurs financières a été plus important que celui du risque pays. Cependant, avec une rentabilité des capitaux propres en berne et des éventuelles augmentations de capital, le gérant pense que le secteur est encore risqué et a en conséquence récemment réduit son exposition.

Pour Isaac Chebar, le risque pays pour les institutions financières européennes est actuellement circonscrit, car celles-ci sont de plus en plus pan-européennes. Il pense par ailleurs que l’action du régulateur a atteint ses limites et que ce dernier restera pragmatique, en favorisant l’augmentation du crédit pour soutenir la croissance économique en Europe. Pour lui, il existe aujourd’hui une décote importante sur les banques focalisées sur leur marché domestique.

Ingrid Trawinski table également sur la fin de la vague réglementaire affectant les banques européennes mais elle n’anticipe pas pour autant à un retour de la rentabilité des capitaux propres à des niveaux d’avant crise. Dans ce contexte, l’équipe de Metropole préfère les banques dont le bilan est jugé solide et reste vigilante sur leur exposition géographique, en privilégiant notamment les établissements de crédit en Italie.

MOTS-CLEFS
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Valeurs citées dans l'article

NomValeurVariation (%)Notation Morningstar
DNCA Value Europe C320,02 EUR0,45Rating
Lazard Alpha Euro SRI I622,65 EUR0,30Rating
Oddo BHF Metropole Selection A770,77 EUR0,08Rating

A propos de l'auteur

Arthur Mennechet

Arthur Mennechet  Fund Analyst, Morningstar France