Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Thushka Maharaj, stratégiste Multi-Asset Solutions au sein de l'équipe de gestion de J.P.Morgan Asset Management.
Au début de l’année, les investisseurs multi-actifs ont considéré la divergence des politiques monétaires des banques centrales comme un thème d’une importance cruciale. Celui-ci a pris de l’ampleur mais pas toujours dans le sens anticipé.
Au début de l’année, l’opinion du marché (que nous partagions) était que la divergence entre banques centrales serait provoquée par un biais restrictif chez la Réserve fédérale (FED) et une politique d’assouplissement plus ou moins marquée chez les autres banques centrales. Au lieu de cela, la divergence a été en grande partie provoquée par le penchant excessif des banques centrales en faveur des politiques accommodantes.
En effet, le caractère accommodant des politiques suivies par les banques centrales a constitué l’une des surprises les plus importantes de 2015 : un programme de QE de la BCE (Banque centrale européenne) plus important que prévu, la dévaluation surprise menée par la Banque populaire de Chine (PBoC), l’abandon par la Banque nationale suisse (SNB) de l’ancrage du franc suisse à l’euro ainsi que des taux largement négatifs, la focalisation opiniâtre de la Banque d’Angleterre (BoE) sur les tendances désinflationnistes et même, il faut en convenir, les postures fluctuantes de la Réserve fédérale qui a constamment différé les hausses de taux tout au long de l’année.
Cette année a révélé la puissance du canal des parités de change dans un contexte de croissance mondiale faible et inégale. Le mois de décembre pourrait se révéler différent et inaugurer une période de divergence active entre les politiques monétaires. Non seulement le FOMC prépare le terrain en vue de la première hausse de taux depuis plus de neuf ans, mais la BCE envisage d’abaisser son taux directeur encore plus loin en territoire négatif.
Décembre: un test crucial
Si le T3 s’est caractérisé par la volatilité des actions et des matières premières, il semble que le T4 sera dominé par la divergence entre les politiques monétaires (Graphique 1). La BCE a commencé à remettre sur la table une baisse de taux, indiquant ainsi de façon très nette qu’elle pourrait entrer dans une nouvelle phase d’assouplissement monétaire lors de sa prochaine réunion de décembre.
Une semaine plus tard, le FOMC s’est manifesté en suggérant que décembre serait la date la plus propice à une hausse des taux fed funds. Nous prévoyons que la probabilité accrue d’une action de la Réserve fédérale et la prééminence renforcée des statistiques économiques vont dominer la fixation des prix des actifs au cours du quatrième trimestre.
Cette année a montré la difficulté pour une banque centrale d’assumer la responsabilité de remonter ses taux d’intérêt lorsque toutes les autres banques centrales assouplissent leur politique monétaire. Jusqu’à présent, même la toute puissante Réserve fédérale n’a pas réussi à sortir de ce piège. Mais les choses vont-elles changer ?
Nous le pensons. Au cours de la réunion d’octobre, la référence explicite du FOMC à la “prochaine réunion” et le commentaire de la Présidente de la Réserve fédérale Janet Yellen qui a suivi à propos du mois de décembre (décrit comme une “possibilité réelle”) nous indiquent que la simple poursuite du rythme actuel des statistiques devrait persuader la Réserve fédérale d’augmenter ses taux. Le marché adhère à cette idée.
Pour la première fois cette année, au cours du mois précédent une réunion de la Réserve fédérale, la prise en compte par le marché dans les cours d’une hausse de taux progresse et dépasse 50%. L’intégration dans les cours par le marché d’une hausse au cours de la réunion de décembre a progressé de 30% avant la réunion d’octobre à 75% actuellement. La robustesse des statistiques de l’emploi du mois d’octobre renforce notre hypothèse d’une hausse en décembre.
Nous prévoyons que la FED sera réconfortée par la stabilisation des statistiques des marchés émergents, la détente des conditions financières au niveau mondial depuis septembre et la stabilisation relative des marchés d’actions locaux malgré l’orientation de la rhétorique de la FED vers un durcissement de sa politique.
A l’inverse, la BCE s’est une fois de plus montrée étonnamment accommodante. Malgré une amélioration régulière des statistiques économiques, la persistance d’un faible niveau d’inflation et l’appréciation de sa monnaie déclenchent des signaux d’alarme chez la BCE.
Un nouvel assouplissement pourrait être une police d’assurance, compte tenu de l’exposition de l’Europe aux marchés émergents ; ou, plus probablement, la banque centrale découvre les mérites d’un assouplissement pro-cyclique pour réduire les risques d’une stagnation prolongée et s’assurer que l’économie atteint sa vitesse de libération.
La BCE met au défi la limite des taux zéro
La récente hausse des taux réels inquiète la BCE et le commentaire selon lequel celle-ci “travaille et évalue” tous les “outils disponibles” en combattant le resserrement des conditions monétaires favorisé par la faiblesse de l’inflation suggère qu’elle pourrait pousser son taux de dépôt plus loin en territoire négatif.
Cette évolution de la fonction de réaction est un défi lancé à l’idée d’un plancher et à la limite du taux zéro pour les taux directeurs.
Le Président de la BCE - Mario Draghi - a montré son orientation proactive et sa volonté d’innover aux frontières de la politique monétaire. Nous n’anticipons pas de changement de sa part en décembre.
En fait, la BCE cite explicitement les autres banques centrales régionales dont les taux directeurs sont bien plus négatifs (par exemple, la Suède à – 0,35 % et le Danemark à - 0,75 %). Même s’il est difficile pour les taux d’être largement négatifs alors que les liquidités restent une alternative viable, la BCE signale qu’il existe une marge de manoeuvre pour aller plus loin en territoire négatif.
Une telle évolution aurait certainement des implications pour les banques centrales voisines (comme nous l’avons constaté avec le dernier rapport sur l’inflation de la Banque d’Angleterre et l’accroissement du QE de la Banque centrale de Suède). Mais les décisions de la BCE pourraient affecter également la FED.
Si la BCE contribue à renforcer le dollar US et à resserrer trop fortement les conditions financières aux États-Unis, elle pourrait affecter la politique de la FED. Nous estimons que ce sera le cas, mais le positionnement de la BCE devrait avoir un impact plus important sur la vision du taux terminal de la FED plutôt que sur le calendrier de la première hausse de taux.
En effet, les précédents historiques montrent que les cycles d’assouplissement ont été considérés positivement par la FED dans la mesure où l’impulsion donnée par la BCE réduit la nécessité pour la FED de rester excessivement accommodante.
Comme la BCE assume un rôle accru en qualité de banque centrale accommodante d’envergure mondiale, la FED devrait bénéficier d’une marge de manoeuvre pour se concentrer sur son propre mandat interne.
Implications
La divergence active entre les politiques monétaires devrait être – et a été – ressentie plus fortement sur les spreads de taux à l’extrémité courte de la courbe et sur les devises.
Nous estimons que la fermeté du dollar US est pour l’essentiel derrière nous et qu’elle se reflète déjà dans les taux (Graphique 2) et les parités de change ; mais, jusqu’au début du cycle de resserrement de la FED et tant que la BCE n’aura pas indiqué où se situe le plancher des taux directeurs européens, nous prévoyons que ce thème de la divergence continuera à être prégnant.
Le principal facteur déterminant de la poursuite de la robustesse du dollar par rapport à la période actuelle sera la façon dont évolue l’intégration dans les cours par le marché du taux final de la FED et les risques de récession aux États-Unis.
Pour le moment, nous ne décelons qu’un faible risque de récession aux États-Unis et avons une prévision plus élevée du taux directeur final aux États-Unis, ce qui plaide en faveur d’une poursuite de la robustesse du dollar US.
La faiblesse des risques de récession plaide pour les actifs se prêtant au portage, comme le high yield, et pour un modeste biais favorable au risque à moyen terme.
En termes d’actifs risqués, le QE pro-cyclique de la BCE accompagné d’une monnaie faible ou en phase d’affaiblissement apporte une stimulation complémentaire à la croissance en zone euro et devrait être favorable aux marchés d’actions domestiques.
Pour les autres régions, les actions de la FED au T4 vont dominer la performance des actifs. Nous restons positifs sur les actions des marchés développés par rapport à leurs homologues des marchés émergents