Après plusieurs années porteuses, le marché obligataire de la zone euro a connu en août et septembre 2015 un mouvement de décollecte (17,6 mds EUR et 16,3 mds EUR respectivement) d’une magnitude plus observée depuis la crise de 2008.
En cause, un regain d’aversion pour le risque dû aux inquiétudes autour du ralentissement économique en Chine, tandis que le rendement des obligations d’entreprise reste trop faible, selon de nombreux investisseurs, pour compenser ce risque.
Dans ce contexte, de nombreux gérants s’inquiètent de l’impact qu’une période de décollecte massive pourrait avoir sur leurs portefeuilles. En effet, depuis plusieurs années, les grandes banques d’investissement ont réduit drastiquement leurs activités d’intermédiation financière, ce qui a amenuisé la liquidité du marché secondaire et augmenté les coûts de transaction. De nombreux gérants ont dû réfléchir à des solutions qui permettraient à leurs fonds de traverser une période d’assèchement de la liquidité sans pour autant être forcés de vendre au rabais une partie de leurs actifs.
Laisser monter le « cash »
La solution la plus simple à disposition des gérants est simplement de laisser monter la part de liquidités dans le portefeuille, en cédant des titres détenus actuellement ou en choisissant de ne pas réinvestir sur les marchés, au fur et à mesure que les obligations arrivent à maturité. Ainsi, on constate que les fonds investis sur les segments obligataires réputés les moins liquides, tels que les obligations de qualité spéculative, ont eu tendance à accroître leur part de liquidités (22.3% en moyenne pour les fonds de la catégorie Morningstar Obligations EUR Haut Rendement à fin septembre 2015 contre 12% à la même époque en 2012).
Même constat pour les fonds investis dans des proportions importantes sur la dette des pays émergents. Ainsi, le gérant du fonds Templeton Emerging Markets Bond, Michael Hasenstab, n’a pas hésité à monter la part de liquidités à 28.3% (à fin Août 2015). Le maintien d’une poche de liquidités conséquente permet de faire face à d’éventuels rachats, mais au risque de sous-performer tant que les marchés restent orientés à la hausse. Cela peut donc se révéler contre-productif, tant le « market timing » est un exercice hasardeux.
Utiliser les produits dérivés
Certains gérants ont pris le parti d’augmenter la part des produits dérivés en portefeuille, qu’ils considèrent pour certains plus liquides que les obligations. Par exemple, le gérant du fonds PIMCO GIS Global Investment Grade Credit, Mark Kiesel, a choisi d’obtenir une partie de son exposition au marché du crédit en vendant à découvert des « credit default swaps » sur indices obligataires, et en conservant une poche de « cash » et de titres d’Etat à courte échéance, très liquides. Le résultat de cette opération est une exposition synthétique à un panier d’obligations privées. Ces techniques complexes exposent les fonds à un risque de contrepartie sur les produits dérivés, mais aussi au risque que ces produits se comportent différemment des sous-jacents qu’ils sont censés répliquer lorsque les marchés sont chahutés. Une équipe de gestion s’aventurant sur ce type de stratégie doit, pour la mener à bien, bénéficier d’une solide expertise dans ce domaine et notamment de ressources solides dédiées à la négociation de ces instruments.
Mettre en place des lignes de crédit
Plusieurs sociétés de gestion ont annoncé au cours des derniers mois une solution supplémentaire pour faire face à d’éventuels rachats sur les fonds : la négociation de lignes de crédit auprès d’établissements bancaires.
Ces mécanismes varient en fonction des sociétés. Ainsi, fin octobre 2015, Amundi a annoncé la mise en place d’une ligne de crédit globale de 1,75 md EUR au niveau de la société de gestion, qui ne serait utilisée que dans des circonstances exceptionnelles. Sous réserve que ces lignes de crédit ne soient activées que de manière ponctuelle, sans se substituer aux contrôles de « bon sens » sur la liquidité des portefeuilles, elles ne sont pas, à nos yeux, une source de risque immédiat pour leurs porteurs.
En revanche, certaines sociétés ont aussi choisi de permettre à certains fonds de s’endetter individuellement : c’est le cas du fonds Allianz Euro High Yield qui depuis le 31 juillet 2015 peut avoir recours à des emprunts d’espèces dans la limite de 10% de ses actifs. Ce mécanisme permet certes aux investisseurs sortants de récupérer plus facilement leurs avoirs, mais engendre un effet de levier indirect pour les investisseurs restants, qui pourrait amplifier les pertes de ces derniers à plus long terme.
Aux Etats-Unis, où ces mécanismes existent de plus longue date, l’expérience pour les investisseurs a parfois été douloureuse. En 2008, certains fonds « high yield » qui avaient subi des rachats importants ont été amenés à activer leurs lignes de crédit pour générer de la liquidité à court terme, ce qui a amplifié leurs pertes, à l’instar du fonds Northeast Investors Trust (NTHEX) qui a perdu -37.3% (en USD) sur l’année.
Ce mécanisme est aussi utilisé par certains fonds de prêts bancaires (emprunts titrisés appelés « bank loans » en anglais) pour générer de la liquidité en attendant la vente d’un actif, qui peut prendre plusieurs jours. Certains fonds de « loans » ont ainsi temporairement puisé dans leurs lignes de crédit pendant la correction du 3e trimestre 2014 aux Etats-Unis.
« Swing pricing »
Une autre solution consiste simplement à décourager les sorties de capitaux sur un fonds donné en augmentant le coût du rachat de parts pour les investisseurs. Dans sa forme la plus simple, ceci consiste à prélever des frais de rachat (qui peuvent aller jusqu’à quelques points de pourcentage) dès qu’un investisseur souhaite sortir du fonds.
Un autre mécanisme est le «swing pricing ». Si les rachats dépassent un certain seuil, le « swing pricing » ajuste la valeur liquidative vers le bas pour refléter les coûts de transaction engendrés par la vente de titres pour fournir de la liquidité aux investisseurs sortants.
Ce mécanisme est déjà en vigueur dans plusieurs pays européens, y compris en France où l’AMF l’a autorisé en 2014 et où il est utilisé aujourd’hui par plusieurs sociétés telles que Rothschild Gestion, State Street Global Advisors et Natixis Asset Management. Aux Etats-Unis, son utilisation éventuelle fait l’objet d’un vif débat. Le « swing pricing » peut néanmoins être un bon moyen de protéger les intérêts des investisseurs de long terme à condition que sa formule de calcul soit équitable et transparente, et que la société de gestion se montre irréprochable dans la gestion des conflits d’intérêts entre les différents porteurs qui peuvent en découler.
Conclusion
Aucune des pistes évoquées ci-dessus ne saurait suffire à garantir la liquidité d’un portefeuille, d’autant plus qu’il est difficile d’anticiper la magnitude d’une crise de liquidité avant que celle-ci ne se déclenche réellement.
Selon nous, de bonnes pratiques pour une société de gestion consistent à prendre en compte les problèmes de liquidité en amont, à reconnaître les éventuels conflits d’intérêt liés à chacun de ces mécanismes et de prendre des mesures adéquates pour les éviter.
Cela passe également par une gestion responsable de la gamme de fonds, sans prolifération de produits sur des thématiques à la mode ou des segments de « niche », qui sont souvent difficiles à utiliser et plus vulnérables à un retournement du sentiment des investisseurs.
Enfin, une bonne manière d’anticiper les problèmes de capacité est de fixer une taille raisonnable au-delà de laquelle les fonds seront fermés aux nouveaux investisseurs, afin de préserver l’intégrité de la stratégie et les intérêts des porteurs existants.