Voici la première partie d'un article consacré à l'industrie pharmaceutique réalisé par Damien Conover, responsab le de la recherche actions secteur santé.
Vous ne vous en rendrez pas compte en observant les cours des valeurs, mais plusieurs éléments positifs affectent l’industrie pharmaceutique. C’est vrai, aux Etats-Unis la réforme du système de santé et la progression des déremboursements en Europe vont modifier le modèle économique des laboratoires pharmaceutiques. Mais ce changement ne va pas menacer leurs profits à long terme. Sur les 10 ans à venir, nous estimons que le coût de la réforme sur les profits de cette industrie sera quasiment compensé par les nouveaux bénéfices que l’industrie en tirera. L’industrie pharmaceutique reste un superbe secteur.
Dans le même temps, alors que les ventes se tassent aux Etats-Unis et en Europe et que les brevets tombent dans le domaine public, les laboratoires évoluent et visent des secteurs de croissance prometteurs : ils ciblent des pathologies de niche et les marchés émergents. Les ressources en recherche et développement, qui naguère étaient essentiellement dédiées aux maladies primaires dans les économies matures, sont redéployées vers des marchés émergents sous-équipés et à la croissance rapide, et vers des «médicaments orphelins» révolutionnaires qui traitent les maladies rares.
Quand les investisseurs arrêteront de se lamenter sur les effets de la réforme du système de santé et commenceront à s’intéresser aux opportunités offertes par le marché au niveau mondial, les valeurs pas chères se feront de plus en plus rares. D’ici là, il y a des affaires à ne pas manquer sur les groupes pharmaceutiques les mieux positionnés pour le futur.
Douche froide pour l’industrie
Sur les dix prochaines années, nous estimons que la réforme coûtera à l’industrie 100 milliards de dollars rien qu’aux Etats-Unis. Les coûts les plus importants ont trois origines. Dès cette année, les groupes pharmaceutiques devront acquitter une taxe annuelle assise sur leur part de marché dans les programmes de santé gouvernementaux tels que Medicare (assurance santé pour les seniors) et Medicaid (assurance maladie pour les faibles revenus). Ces taxes financeront partiellement les programmes gouvernementaux liés aux médicaments et pèseront un total de 28 milliards de dollars sur 10 ans.
Deuxièmement, les exonérations partielles pour les bénéficiaires de Medicaid passeront de 15,1 à 23,1 %; ce qui coûtera à l’industrie pharmaceutique un peu plus de 2 milliards de dollars par an, selon le Bureau du budget du Congrès. Troisièmement, le secteur sera sollicité pour «boucher le trou» annuel de la part D de Medicare. Dès lors qu’un patient a dépensé 2.700 dollars en médicaments, il doit payer le tarif plein jusqu’à hauteur de 6.154 dollars, avant qu’une nouvelle couverture ne soit possible. Le coût pour l’industrie pour combler ce manque à gagner est d’environ 35 milliards de dollars sur 10 ans, selon le Comité des finances du Sénat.
La réforme va pourtant générer 76 milliards de dollars de bénéfices supplémentaires pour l’industrie pharmaceutique sur la décennie à venir. Bien que nous anticipions une hausse de 14 % des assurés aux Etats-Unis d’ici 2019, nous n’attendons qu’une croissance de 5 % des ventes de médicaments aux Etats-Unis. La plupart des nouveaux assurés seront jeunes, par conséquent nous pensons que cette population plutôt en bonne santé ne dépensera en médicaments qu’une partie de ce que paient les assurés actuels. Par ailleurs, les personnes non couvertes dépensent d’ores et déjà un pourcentage important (70 %) de ce que dépensent les assurés, selon les travaux de la Commission Kaiser. Cela limite donc le potentiel de hausse des dépenses pour cette industrie. Globalement, l’impact sur l’industrie pharmaceutique est donc neutre : l’effet net est négatif de 24 milliards de dollars sur la décennie à venir.
Pour une industrie qui devrait réaliser des profits proches de 1.500 milliards de dollars sur la période considérée, la réforme ne bouleverse pas vraiment les perspectives.
L’année dernière, les investisseurs n’ont pas partagé notre point de vue. Mais ils n’avaient pas une vision claire de la totalité de la question. Les investisseurs ont massacré les valeurs pharmaceutiques à certaines périodes (un grand nombre plongeant de 15 à 18 % au cours du 2nd trimestre 2010), alors que les coûts directs de la réforme étaient intégrés dans les bilans et les perspectives annoncées. Pour nombre de grands groupes, en particulier pour Eli Lilly, les charges ont été légèrement supérieures à nos attentes. Mais en ligne avec nos anticipations concernant une érosion du bénéfice par action, jusqu’à 5 % par an. Cet effet négatif ne pèsera sur les résultats que durant les premières années de la réforme, lorsque les coûts sont élevés, alors que les avantages liés aux nouveaux assurés ne se seront pas encore matérialisés.
Les investisseurs devraient pourtant adopter une vision à long terme, prenant en compte les fondamentaux et les opportunités de cette industrie. D’ici 2014, nous estimons que les volumes générés par l’accroissement du nombre d’assurés limiteront l’impact de la réforme sur les coûts. En 2019, nous pensons que ces mesures augmenteront le bénéfice par action des valeurs du secteur de 1 %. A cause du poids de la pharmacie dans leur portefeuille d’activité, Bristol-Myers et Eli Lilly devraient accuser les plus gros impacts sur leurs bénéfices.
En 2011, les deux groupes verront leur bénéfice par action reculer d’un peu plus de 5 %. Mais lorsque les effets de la réforme deviendront positifs pour l’industrie, les deux groupes en tireront le meilleur parti, avec une croissance des BPA d’un peu plus de 2% dans la deuxième partie de la décennie.
Cet article a été initialement publié dans le magazine Morningstar Professional mars 2011.