Dans leur recherche du rendement, cette année encore les investisseurs aboutiront entre autres supports à la dette émergente souveraine et privée (la dette émergente ou EMD). Les taux d’intérêt dans les pays développés n'ont fait que décroître ces dernières années. Ils ne peuvent désormais que remonter, même s'ils peuvent être maintenus artificiellement bas dans un premier temps afin de stimuler l’économie. Pour obtenir un rendement acceptable, les investisseurs doivent donc chercher ailleurs. Dans un tel contexte, les obligations souveraines et privées des pays émergents attendent les investisseurs. Ces pays et ces entreprises ont besoin de croissance et de financements.
Tour du monde
Investir dans la dette émergente, c'est un peu comme voyager. Ce n'est pas par ce qu'un vol pour n'importe quel coin du monde est aujourd'hui facile d'accès et peu cher qu'il faut absolument prendre un avion. Tout comme un voyageur va éviter les régions peu sûres, ou bien ou les visas sont problématiques, l'investisseur obligataire va rencontrer des obstacles. L'accès aux marchés locaux du crédit dans les pays émergents n'est pas toujours facile. Il peut y avoir des restrictions sur les capitaux étrangers, des taxes ou d'autres obstacles légaux ou réglementaires l’empêchant d'investir.
« La route vers l'investissement obligataire émergent est minée », met en garde William Ledward, Senior Vice Président et gérant au sein de l'équipe obligataire chez Franklin Templeton. “Mais cette classe d'actifs reste très prometteuse », ajoute-t-il.
Un voyage s'impose au pays de la dette émergente souveraine et privée avec William Ledward, comme guide touristique … réservée.
Quatre parfums
La dette émergente est disponible en quatre parfums : en obligations souveraines et privées, en monnaie locale ou en devise forte. Ce qui prouve que ce type de dette offre de grandes possibilités de diversification. Le choix des pays, des sociétés, des devises et du type de courbe des taux est assez large. Mais c'est ce qui rend aussi l'investissement complexe, selon Ledward. Il pense que pour un investisseur particulier en dette émergente mieux vaut compter sur un gérant et sur son équipe d'analystes. « Il est extrêmement difficile pour un investisseur particulier de faire ses propres recherches », souligne-t-il.
La dette souveraine en devise forte est la catégorie la plus mature. Initialement, les émissions d'obligations d’État des pays émergents devaient être réalisées en dollars, afin de gagner la confiance des investisseurs. Puis au fil des années, les investisseurs se sont sentis plus rassurés avec des positions obligataires dans les pays émergents. Du coup, alors que la perception du risque évoluait, les gouvernements de ces pays ont été en mesure d'émettre de la dette en monnaie locale. L'attrait de cette dette émergente en monnaie locale réside dans ses rendements relativement élevés et dans les possibilités de gains sur les devises.
D'après Ledward, il est assez difficile d'investir dans nombre de pays émergents. La Chine et l'Inde ne sont pas facilement accessibles aux investisseurs obligataires étrangers. Et le Brésil prélève un « impôt à la source» qui doit être payé d'avance, « ce qui revient à réaliser un investissement avec une perte initiale de 6 %. Une telle mesure a été prise par le Brésil, car ce pays craignait qu'une forte demande sur le Real ne tire le taux de change de sa devise vers le haut. On a aussi observé une forte volatilité l'an dernier à cause de la dépréciation de certaines devises ».
Les devises émergentes restent exposées à la volatilité à cause de l'alternance de périodes d'aversion au risque et d'appétit pour le risque (« risk on - risk off ») des investisseurs, ce qui débouche sur un soudain afflux d'offre ou de demande sur une monnaie locale.
De plus, les politiques économiques des pays émergents sont fondamentalement orientées vers l’exportation. Elles ont dès lors besoin de taux de change compétitifs. Les investisseurs doivent par conséquent garder à l'esprit que les gouvernement de ces pays n'hésitent pas à avoir recours à des politiques spécifiques pour endiguer la hausse de leur monnaie.
Ledward s'est aussi rendu compte qu'il n'est pas toujours facile de quitter un pays en tant qu'investisseur. « Cela nous a pris un an pour sortir du Malawi », indique-t-il sans plus de détail. « L’Égypte est aussi un pays en proie aux incertitudes. La Banque centrale égyptienne ne veut pas que vous convertissiez vos obligations égyptiennes en livres locales en dollars. Vous ne connaissez donc pas le taux de change auquel vous pourrez quitter ce pays. Quelquefois, vous êtes coincé dans un pays : vous ne pouvez que réinvestir dans ce pays ».
Le marché des obligations gouvernementales en devises fortes est, dans cette mesure, bien plus facile d'accès et de sortie. « Le marché a été très haussier, mais les rendements ont fortement baissé ces dernières années », explique Ledward. « L'indice JPM Emerging Market Bond se situe actuellement à 4,64, ce qui est au dessus du plus bas de 4,33 du début janvier, mais il y a un an il était à 5,6 ».
Terrain miné
Aux cotés des obligations souveraines en devises locales, la dette privée en devise locale est la plus récente catégorie que l'on peut retenir. « La dette des entreprises a un attrait particulier car elle constitue une protection naturelle contre les fluctuations de change, ces économies étant souvent dépendantes des exportations », souligne Ledward.
En dépit des faillites et de la volatilité, le spécialiste obligataire considère qu'il ne faut pas négliger les obligations des entreprises des pays émergents et qu'il y a des affaires à réaliser. « Mais il faut rester vigilant. La gouvernance des entreprises reste une préoccupation, et certaines sociétés sont dirigées par des escrocs. De plus, le terrain est couvert de mines qui peuvent exploser. Mieux vaut donc avoir de petites positions pour limiter les dégâts ».
Ledward a vu une mine exploser dans son portefeuille l'an dernier. « Nous avons perdu beaucoup d'argent et cela n'était pas plaisant. Mais la mine ne nous a pas tué. Et fort heureusement, elle n'a pas davantage anéanti la performance annuelle », explique-t-il, sans préciser la société concernée.
Cemex est un bon exemple d'achat à bon compte, selon Ledward. Ce producteur mexicain de ciment disposait du statut d'une société de la catégorie investissement, mais il est tombé dans le camp des « anges déchus », relégués à la catégorie spéculative. Cemex a toujours ignoré le marché obligataire, et après différents investissements malheureux, il a perdu sa solvabilité et ne pouvait plus s'adresser aux banques. Pourtant, Ledward considère que les activités sous-jacentes sont bonnes. « Quand tout est noir, il est temps d'acheter. Nous avons bénéficié du pessimisme entourant Cemex ».
Une catégorie intéressante au sein de la dette d'entreprises, selon Ledward, est ce qu'il appelle « les obligations quasi-gouvernementales ». Il s'agit d'obligations émises par les entreprises privées cotées dans lesquelles le gouvernement est plus ou moins impliqué. Ce sont souvent des sociétés pétrolières ou gazières, comme Gazprom et Petrobras, ou bien des compagnies nationales de chemin de fer.
Effet de mode
Le marché obligataire émergent bénéficie d'un véritable engouement de la part des investisseurs, même si Ledward pense qu'il y a aussi un effet de mode. « La Serbie a émis un seul emprunt, mais il y a toujours de nouvelles tranches arrivant sur le marché. La Zambie voulait émettre un emprunt d’État à 5,25 %, mais le rendement était bien trop faible compte tenu du risque encouru. Chaque pays essaie d'obtenir sa part du gâteau », explique-t-il. Ledward voit aussi des aberrations du coté des entreprises, non pas en termes de couple rendement/risque, mais en termes de devises. « Une compagnie d'électricité zambienne voulait emprunter en dollars, mais son activité et ses comptes étaient libellés en devise locale. Une telle entreprise ne devrait pas chercher à emprunter en devise forte, mais simplement en devise locale ».
Comme guide touristique, Ledward a oublié de nous montrer les plus beaux endroits du pays. « Je me rends bien compte, qu'à certains égards, j'ai critiqué ma propre classe d'actifs », concède-t-il. Mais pour le long terme, il reste clairement positif sur la dette émergente. « Quoi qu'il en soit, les rendements ne seront plus ce qu'ils étaient. On ne reverra pas les 17 % de 2012 de si tôt ».
William Ledward va s'exprimer sur la dette émergente lors de la conférence Morningstar Investment Conference Europe. Sa présentation est intitulée : « Marchés de la dette émergente : une classe d'actifs plus que prometteuse ».