La performance des titres value peut étonner. Ces sociétés ont tendance à être moins rentables que les valeurs de croissance et à se traiter avec une forte décote dans presque n’importe quelle phase de marché que l’on puisse étudier sur longue période. Mais le prix n’est qu’un aspect du style value. En intégrant le risque, la rentabilité future d’une entreprise détermine sa valeur intrinsèque. Si les entreprises qui affichent constamment des niveaux de rentabilité élevés justifient une valorisation plus élevée que les titres traditionnellement considérés comme value, le marché a eu tendance à les sous-évaluer. Cette anomalie est d’ailleurs au cœur de la philosophie d’investissement de Warren Buffett et Charlie Munger, laquelle stipule qu’il vaut mieux acheter une très belle entreprise à un prix raisonnable qu’une entreprise raisonnable à un prix excessif.
La rentabilité mesure la manière dont une entreprise fait usage de l’argent de ses apporteurs de capitaux. Comparer le résultat net ou le bénéfice par action entre sociétés cotées n’est pas pertinent. Il est certes possible d’augmenter rapidement le résultat net d’une société en augmentant la taille de ses actifs mais cela n’améliore pas nécessairement sa productivité. La rentabilité marginale du capital investi tend même à décroître avec la taille : pour chaque dollar additionnel investi dans une entreprise, le résultat obtenu diminue. Pour tenir compte de cet impact, les analystes utilisent d’autres mesures, notamment la rentabilité du capital investi, le ratio marge brute/actifs totaux, ou le résultat opérationnel ajusté/la valeur des capitaux propres.
Alors que les analystes passent beaucoup de temps à prévoir les cash-flows futurs et les profits, plusieurs études ont récemment montré que l’une des meilleures estimations de la rentabilité future d’une entreprise est sa rentabilité courante. La rentabilité tend à persister. Ainsi, Dimensional Fund Advisors (DFA) a découvert que la rentabilité d’une année peut expliquer la rentabilité future, jusqu’à sept années à venir, en se basant sur des données sur les sociétés cotées américaines entre 1975 et 2012 (Dimensional Quarterly Institutional Review, first quarter 2013). Cela peut être dû au fait que la plupart des entreprises rentables sont celles qui disposent d’un avantage concurrentiel durable.
Valorisation et rentabilité
Les marchés ont tendance à bien intégrer ces informations dans les cours de Bourse. Les entreprises très rentables bénéficient d’une valorisation plus généreuse que celles qui le sont moins. Selon DFA, les entreprises les plus profitables ont surperformé les moins profitables d’un écart de 5% par an entre 1975 et 2012, avec une volatilité plus faible. La même relation est trouvée dans les marchés internationaux (1991-2012) et les marchés émergents (1995-2012), avec des écarts de performance de respectivement 5% et 6%.
Robert Novy-Marx a abouti à des conclusions similaires dans un papier de recherche (« The Other Side of Value : The Gross Profitability Premium »), en définissant la rentabilité comme le rapport entre la marge brute et l’actif total d’une entreprise. Selon ce chercheur, les entreprises les plus profitables ont surperformé leurs contreparties les moins rentables de 3,8% par an en moyenne, sur la période 1963-2010.
Ce résultat est particulièrement robuste si l’on tient compte de la valorisation d’un titre. A l’inverse, si l’on ne le considère pas, les résultats sont plus décevants. Dans une étude datée de 2007, intitulée « The Profitability Premium in Equity Returns », David Brown et Bradford Rowe ont découvert que la prime de rentabilité disparaît si l’on ne tient pas compte du critère value. Pourtant, cette prime existe aussi bien dans l’univers des titres value que growth. Du coup, les résultats d’une gestion value ou growth peuvent être grandement améliorés en tenant compte du critère de rentabilité. Novy-Marx confirme pour sa part qu’un investisseur tirera grand profit en sélectionnant des entreprises très rentables mais mal valorisées par le marché.
Explications
Les tenants des marchés efficients ont longtemps défendu l’idée que la prime de valorisation est une compensation du risque. Un argument difficile à tenir, en réalité. Alors que les titres value représentent souvent des entreprises en difficulté avec de sombres perspectives de croissance et des performances boursières décevantes, les entreprises très rentables sont souvent des entreprises de croissance durable bénéficiant d’avantages concurrentiels durables. Selon l’analyse de FDA, ces titres ont eu tendance à être moins volatiles. Est-ce que le risque augmente avec la rentabilité ? Pas vraiment.
Il est difficile de trouver une explication comportementale aux primes de valorisation ou de rentabilité. Les titres value surperforment parce que les investisseurs ont tendance à extrapoler la croissance passée trop loin dans le futur, poussant les cours loin de la valeur intrinsèque. Pourquoi les investisseurs feraient-ils la même erreur avec la profitabilité ? Une explication avancée est que ces entreprises n’inspirent guère les investisseurs autant que les valeurs de croissance.
Des entreprises très rentables comme Johnson & Johnson, McDonald’s ou Microsoft sont des titres ennuyeux, matures et de grande qualité. Il est plus facile d’être enthousiaste à l’égard de valeurs de croissance comme Salesforce.com ou Netflix, qui offrent des technologies de rupture et la possibilité de rendements élevés.
Les investisseurs se méprennent en pensant que la croissance se traduira automatiquement en rentabilité. Si cette croissance requiert des investissements significatifs financés par de la dette ou des fonds propres, elle peut peser sur la rentabilité du capital, du fait de rendements décroissants. Par ailleurs, il est plus facile de piloter la rentabilité que le taux de croissance. Investir dans de nouvelles activités ou industries, où les synergies sont difficiles à trouver, est le meilleur moyen de détruire de la valeur. A l’opposé, une entreprise qui bénéficie d’un avantage concurrentiel durable peut maintenir un niveau élevé de rentabilité pendant une longue période de temps. L’exemple emblématique est Coca-Cola, dont le réseau de distribution et la marque ont permis au groupe de générer des niveaux de rentabilité depuis des décennies. Si les années de forte croissance de Coca sont derrière lui, ses avantages concurrentiels demeurent.
Cela peut-il durer ?
La Bourse a souvent eu tendance à sous-évaluer les entreprises très rentables. Mais cela est en train de changer, car de plus en plus d’investisseurs sont conscients de cette anomalie. La prime de rentabilité peut être plus facile à arbitrer que les effets de valorisation ou de momentum. En conséquence, le risque de carrière est moindre pour un gérant professionnel qui chercherait à en tirer parti. Un gérant peut être considéré comme incompétent avec un portefeuille de titres bon marché qui sont de plus en plus bon marché (J.C. Penney), mais une performance décevante sera plus facilement excusée s’il détient en portefeuille des titres d’entreprises de qualité comme IBM. Même si le gérant n’intègre pas la prime de rentabilité dans sa stratégie, les entreprises très rentables continueront à être moins volatiles que celles qui sont peu profitables.
Bien sûr, cela ne justifie pas de payer n’importe quel prix pour une entreprise rentable. Au début des années 1970, les investisseurs se ruaient vers les valeurs de croissance de grande qualité, connu sous le nom de « Nifty Fifty », poussant leur cours de Bourse bien au-delà de leur valeur intrinsèque. Cela provoqua une contreperformance qui dura pendant plusieurs années.
Les investisseurs qui portent attention à la fois à la valorisation et à la rentabilité ont de bonnes chances d’enregistrer de meilleurs résultats que ceux qui ne se focalisent que sur l’un ou l’autre de ces critères.