Pouvez-vous expliquer ce qui se passe actuellement sur les marchés ?
Gross: En 1980, la Réserve fédérale, conduite par Paul Volcker, décida de resserrer sa politique monétaire pour lutter contre une inflation à deux chiffres, créant une bourrasque sans précédent sur les prix des obligations. 30 ans plus tard, nous sommes dans une autre situation extrême, les banques centrales créant des trillions de monnaie pour stimuler la croissance économique, et l'inflation est anormalement basse. Nous ne voyons pas comment un nouveau marché haussier peut survenir à court terme, nous ne pensons pas non plus que nous sommes au début d'un marché baissier pour les obligations. Au contraire, nous anticipons une poursuite - voire une accélération à certains égards - du mouvement de désendettement, qui semble avoir été un peu perdu de vue au cours des dernières semaines. La Fed, la Banque d'Angleterre, et maintenant la Banque du Japon se sont toutes engagées à maintenir leur politique accommodante jusqu'à ce que leurs objectifs de croissance soient atteints. Nous ne voyons pas la Fed relever ses taux d'intérêt de manière significative avant plusieurs années.
Cela étant, nous pensons que la prudence est de mise non seulement pour les investisseurs obligataires, mais pour tous les investisseurs dans des actifs risqués. Les banques centrales ont atteint un point d'inflexion critique où les aspects négatifs de leurs politiques pourraient surpasser leurs bénéfices et au final pénaliser la croissance. Là où leur politique de répression financière est un succès, cependant, réside dans le fait d'avoir forcé les investisseurs à prendre une proportion croissante de risque, mais pour des rendements toujours plus faibles et plus volatils.
Quand voyez-vous la Fed commencer à réduire son assouplissement quantitatif? La hausse des taux vous inquiète-t-elle?
Gross: La Réserve fédérale a cité un taux de chômage de 6,5% comme le seuil pour commencer à réduire son action. Au même moment, Ben Bernanke, son président, veut éviter l'erreur d'un resserrement prématuré, comme cela a été le cas dans les années 1930. Nous sommes d'accord avec son raisonnement, mais nous sommes inquiets des effets négatifs de la politique à taux zéro et de l'assouplissement quantitatif - parmi ces craintes, la distorsion provoquée sur le prix des actifs, la mauvaise allocation du capital et au final le découragement de la prise de risque par les entreprises et les investisseurs. La Fed partage ces craintes, ce qui explique pourquoi certains de ses membres envisagent une réduction des achats d'obligations.
D'un point de vue technique, la Fed pourrait aussi être forcée de réduire ses achats si le déficit public américain diminue. Mais il y a une différence entre une réduction modeste et une diminution plus importante des achats d'obligations. L'économie doit trouver sa vitesse de croisière et le taux de chômage est trop élevé et structurel. Si l'on peut s'attendre à une modération des achats d'obligations, d'ici la fin de cette année, nous ne pensons pas que la Fed retirera son programme avant un certain temps, à moins de ne provoquer une remontée spectaculaire des taux d'intérêt. Les taux vont fluctuer à court terme, bien sûr, et c'est notre métier de gérants actifs de prendre les positions adéquates pour le compte de nos clients. Ce que nous avons fait pour nos clients pendant des décennies.
Comment positionnez-vous votre fonds Total Return dans cet environnement?
Gross: S'il est naturel de rechercher des rendements élevés, le succès d'une stratégie d'investissement dépend de pondérer ces rendements potentiels avec les coûts de long-terme qui peuvent leur être associés, grâce à une analyse rigoureuse de la situation macro-économique. Aujourd'hui, compte tenu de l'incertitude économique et de valorisations élevées sur les marchés, nous pensons qu'il est plus pertinent d'attendre des opportunités plus attrayantes. L'objectif du fonds Total Return est d'améliorer notre puissance de feu, de rechercher un alpha de manière prudente et de réduire le risque - pas de manière radicale, mais à des niveaux proches ou légèrement inférieurs à la moyenne. Ainsi, parmi d'autres choses, nous évitons les durations longues, nous réduisons le risque de crédit présent dans les entreprises ou secteurs trop vulnérables sur le plan économique, nous gérons la volatilité et nous augmentons l'exposition aux pays qui ont des bilans solides comme les Etats-Unis, le Brésil, le Mexique ou l'Australie. Et nous recherchons et tirons parti des opportunités du marché. Par exemple, nous pensons que les bons du Trésor ont des valorisations attrayantes autour de 2%.
L'objectif primer de PIMCO est de préserver le capital de nos clients, et cela a été le cas pour Total Return depuis son lancement. Dans un environnement de marché comme le nôtre, la gestion du risque est une priorité. Nous pensons toutefois que nos portefeuilles sont bien positionnés pour des opportunités futures. Si le béta traditionnel des obligations est plus modéré, comme nous le prévoyons, il y a toujours des gérants expérimentés pour générer de l'alpha dans des secteurs moins traditionnels.
Avec des marchés obligataires aussi incertains, que doivent faire les investisseurs pour être sûrs d'atteindre prudemment leurs objectifs financiers?
Gross: Les investisseurs doivent se rappeler les raisons pour lesquelles ils détiennent des obligations - nommément la préservation du capital, le revenu et la croissance, une relative constance et une corrélation faible voire négative avec les actions. Ces besoins - qui ne seront que croissants avec les millions de baby boomers qui vont partir à la retraite au cours de la prochaine décennie et demi - sont de long terme, quelle que soit la situation des marchés aujourd'hui. Les produits de taux auront toujours une place dans les portefeuilles. Cependant, il y a différentes manières d'évoluer dans les marchés sans avoir le sentiment d'être coincé. L'un est d'élargir son univers d'investissement en devant global. Chez PIMCO, nous aimons dire qu'il n'y a pas un "marché obligataire", mais des "marchés d'obligations". Donc vous devriez saluer la flexibilité de vos gérants de portefeuilles ou des coeurs de portefeuilles obligataires.
Enfin, soyez patients. La période actuelle est délicate, et PIMCO a réussi à investir durant plus de quatre décennies, ce qui nous donne un peu de recul, ainsi que la confiance que nous serons encore là au cours des 40 prochaines années. Nous espérons que nos clients soient rassurés par cela.
Pour aller plus loin
Le texte original de l'entretien est disponible sur le site de PIMCO.