Bridget Hughes : Bonjour, je suis Bridget Hughes, analyste chez Morningstar, et je suis à la Morningstar Investment Conference. Avec moi, Charles de Vaulx, directeur des investissements et gérant chez IVA, qui a participé à notre panel sur les opportunités sur les marchés internationaux. Merci Charles de nous joindre.
Charles de Vaulx : Avec plaisir.
Hughes : Je voulais commencer par le Japon, car vous faites partie des quelques investisseurs internationaux qui ont une exposition significative au marché japonais, et depuis un certain temps.
C’est l’un des marchés affichant la plus forte progression cette année. Quel est votre sentiment sur ce sujet ? Comment les titres que vous détenez se sont-ils comportés récemment ?
De Vaulx : Nous avions une assez forte exposition au Japon ces dernières années. Nous avons profité du rallye boursier depuis le mois de novembre pour prendre une partie de nos bénéfices sur certaines de nos positions. En fait, notre allocation a été ramenée à 8% dans notre fonds global, contre environ 16% dans notre fonds international.
Mais du fait de la forte correction au cours des dernières semaines – avec une chute de 20%-22% - nous sommes redevenus acheteurs nets de titres japonais ces derniers jours. Au bon prix, nous serions plus heureux de détenir plus de titres japonais que de devoir en vendre.
Ce qui nous intrigue au Japon, ce n’est pas tant l’Abenomics, les nouvelles politiques, la volonté d’inflater. Ce qui pique notre curiosité est le fait que l’entreprise Japon a finalement changé les termes de son allocation de capital. Les entreprises japonaises avaient l’habitude d’accumuler du cash. Désormais, nous voyons des entreprises qui sont prêtes à augmenter les dividendes, de plus en plus qui veulent racheter leurs propres actions, lorsque celles-ci sont sous-évaluées, et nous voyons des opérations entre entreprises (fusions amicales ou moins amicales).
Récemment, un investisseur américain, Dan Loeb, a pris une participation dans Sony, suggérant des changements radicaux, et de manière intéressante, l’entreprise semble être à l’écoute. Je pense donc qu’il y a une meilleure allocation du capital qui s’opère au Japon et cela attise notre curiosité. En outre, d’un point de vue de la valorisation boursière, malgré un beau rallye, le Japon, après 25 ans de bear market, reste bien meilleur marché que les Etats-Unis ou l'Europe.
Hughes : Si le Japon a très bien performén, les actions américaines ont connu un beau parcours et l’Europe n’a pas été aussi dynamique. Où trouvez-vous des opportunités en Europe ?
De Vaulx : L’Europe n’a pas été très solide cette année, ni depuis que le marché a rebondi en mars 2009. Vous pourriez penser que l’Europe, dans l’ensemble, offre de nombreuses opportunités. Malheureusement, ce n’est pas le cas, en tout cas pas pour nous. Nous pensons que c’est un marché à deux vitesses. D’un côté, vous avez les banques, les compagnies d’assurance, les utilities qui sont horriblement bon marché, mais pour une raison, puisqu’elles ne sont pas sûres ; les banques sont notoirement sous-capitalisées.
Si vous regardez les entreprises de grande qualité, celles auxquelles nous nous intéressons, elles sont chères, parfois davantage que leurs équivalents aux Etats-Unis. Malheureusement, nous avons été vendeurs nets en Europe au cours des derniers mois, et nous ne voyons rien de nouveau à acheter.
Hughes : Finalement, pour finir notre tour d’horizon, au moins dans le monde développé, vous avez un portefeuille global [au côté] de votre portefeuille international. Dans ce portefeuille global, avez-vous une forte exposition aux Etats-Unis ?
De Vaulx : Non. Nous avons aussi été vendeurs nets, car le marché a bien performé dans de nombreux secteurs d’activité. Nous avons réduit notre exposition au secteur de la technologie, par exemple. Nous avons commencé à réduire notre position sur Berkshire Hathaway, qui a eu un très bon rendement pour nous et était une grosse position, ce qu’elle reste.
Un secteur qui est en retard est le secteur de l’énergie. Nous avons intégré quelques titres dans le domaine de l’exploration-production. Mais il est difficile de trouver des opportunités vraiment intéressantes.
Hughes : En vous entendant, on en conclut que la part de cash dans vos portefeuilles est élevée ?
De Vaulx : Plus élevé que jamais. Nous ne sommes investis qu’à 52%-53% en actions, car d’un côté, nous pensons que les actions restent la meilleure maison dans un voisinage peu fréquentable. Les actions font plus de sens que le monétaire, qui affiche un rendement négatif après l’inflation. Les obligations de qualité après inflation n’offrent qu’un maigre rendement. Donc d’un côté, les actions sont très intéressantes, mais c’est un point de vue relatif.
Nous pensons que les actions pourraient continuer de monter, mais aussi longtemps que les taux d’intérêt seront très bas, et nous ne croyons pas aux contes de fée. A partir d’un certain moment, dans un, deux ou trois ans, les taux d’intérêt vont commencer à remonter et c’est à ce moment-là que les ennuis commenceront.
Nous observons que les investisseurs intelligents, qu’il s’agisse de Warren Buffett, Seth Klarman et bien d’autres, ont tendance à être plutôt pessimistes. Nous voyons beaucoup de personnes privilégiées (« insiders ») vendre qu’acheter dans de nombreuses sociétés, et ce n’est pas un signe très positif, non plus.
Hughes : Vos portefeuilles sont atypiques. Les titres que vous détenez sortent des sentiers battus. Pourriez-vous exposer votre stratégie d’investissement et les choses que vous regardez ? Lorsque vous dites que êtes un investisseur value, qu’est-ce que cela signifie à IVA ?
De Vaulx : Eh bien, nous sommes des investisseurs value au sens classique dans le sens où nous n’achetons que des titres qui se traitent avec une décote par rapport à ce que nous estimons être leur valeur réelle d’une entreprise.
Ce qui nous distingue, à mon avis, est que nous sommes très éclectiques. Nous cherchons à regarder du côté de petites sociétés. La plupart des sociétés dont nous sommes actionnaire au Japon sont des petites valeurs (« smallcaps »), car c’est là que nous voyons les meilleures opportunités actuellement. Là encore, nous sommes intéressés à détenir des titres comme Microsoft ou Google.
Nous nous intéressons parfois à des obligations à haut rendement losqu’elles offrent des rendements comparables aux actions. Nous l’avons déjà évoqué, si rien n’attise notre curiosité, nous préférons conserver notre cash et attendre patiemment. Nous détenons de l’or avec l’espoir que, plus souvent que ce n’est le cas, l’or tend à être inversement corrélé aux actions. Parfois, l’or monte, lorsque les actions descendent.
Le récent pic du marché date du 21-22 mai. Je crois que l’indice mondial a perdu 4%-5% depuis. Et surprise, l’or est en légère hausse depuis. L’or avait chuté avant cela, mais remonte. Il agit en corrélation inversée.
En tant qu’investisseurs value, nous privilégions les entreprises de qualité. Nous sommes plus du côté de Warren Buffett que l’approche net-net de Ben Graham ou des mégots de cigares. Nous avons aussi un biais en faveur des titres où les investisseurs/actionnaires privilégiés sont très présents. De par notre expérience, y compris au Japon, les entreprises ayant un actionnariat de contrôle fort, ce qui inclut Berkshire Hathaway au passage, ont tendance à être mieux gérées sur le long terme et offrent de meilleurs rendements aux actionnaires. Et bien sûr, nous croyons à l’idée qu’il faut manger notre propre cuisine, ce qui, en tant que gérants de portefeuilles, nous oblige à être très attentifs et, le plus souvent, produit des résultats satisfaisants pour nos actionnaires.
Hughes : Charles, merci beaucoup pour votre disponibilité et d’être venu à notre conférence.
De Vaulx : Je vous en prie, merci à vous.