Jeremy Glaser : Je suisJeremy Glaser de Morningstar. L’une des questions que se posent les investisseurs est de savoir quel est le meilleur moment pour vendre un titre. Pour éclairer cette question, nous recevons Matt Coffina. Il est l’éditeur de Morningstar Stockinvestor. Matt, merci d’être avec nous.
Matt Coffina : Merci de m’avoir invité, Jeremy.
Glaser : A quoi les investisseurs doivent-ils penser avant de céder un titre ? Une phase de baisse prononcée sur les marchés constitue-t-elle un signal suffisamment fort pour vous inciter à vendre ? Quels autres facteurs peuvent jouer ?
Coffina : Je pense qu’il faut garder à l’esprit de toujours comparer le cours par rapport à la valeur intrinsèque d’un titre. Cela est vrai pour considérer un potentiel de hausse comme de baisse. Supposons qu’une nouvelle sur l’évolution des marges d’une société cotée indique que cette dernière sera bien supérieure à ce que le marché attendait, et le titre bondit de 20%. Est-ce le moment de vendre ? Peut-être que la juste valeur du titre est encore à un niveau 30% supérieur, auquel cas le titre reste toujours une bonne affaire même après un tel bond.
De la même manière, à la baisse, cela dépend du rapport entre le titre et sa juste valeur. Si la valeur intrinsèque ne change pas et que le titre baisse sans raison, cela pourrait être l’occasion d’envisager de se renforcer plutôt que de vendre uniquement par le cours a baissé.
Glaser : Que pensez-vous des techniques de type « stop-loss » qui consistent à couper une position si le cours baisse de 20% ?
Coffina : Je ne pense pas que ce soit une très bonne stratégie de manière générale. Peter Lynch affirmait : « Montrez-moi quelqu’un qui a un « stop-loss » de 10% sous son cours d’achat, et je vous montrer quelqu’un qui est sûr de perdre 10%. » Les prix des actions bougent pour de multiples raisons. On observe parfois des mini-krachs ou « flash krachs » dans lesquels les cours baissent sans raison. Les prix peuvent parfois remonter dans l’heure qui suit. Si vous aviez un ordre « stop-loss », il est possible que vos actions soient vendues à un faible prix, et vous perdez l’opportunité de racheter des titres.
De même, les actions bougent beaucoup après la publication de résultats ou d’autres nouvelles. Dans de telles circonstances, un ordre de type « stop-loss » ne vous aidera pas. Le titre peut chuter de 20% et un ordre « stop-loss » à 10% vous conduira à vendre avec une perte de 20%. Cela ne protègera pas très bien votre capital.
Glaser : Warren Buffett affirme que la première règle de tout investisseur devrait être de ne pas perdre d’argent. Comment les investisseurs peuvent-ils se protéger contre le risque de baisse et être sûrs qu’ils ne vont pas subir de regarder chuter le cours de Bourse d’un titre ?
Coffina : Je ne pense pas que Buffett suggère qu’il faut éviter toute perte temporaire sur un investissement, car cela est impossible même pour le plus grand investisseur de tous les temps. Je pense que Buffett a à l’esprit le risque de perte permanente de valeur, par exemple si vous achetez un titre 100$ et que la valeur intrinsèque de ce titre chute, disons, à 80$ et reste à ce niveau. Cela constitue une perte durable en capital, et c’est cela que l’on veut éviter.
Je pense que le meilleur moyen est de chercher des titres disposant d’avantages concurrentiels (« economic moat ») durables et qui s’améliorent. D’un autre côté, [essayez d’] éviter les sociétés dont les positions se détériorent, ce que l’on appelle des sociétés dont l’avantage recule (« negative moat trend ») ou subissent une baisse de leur valeur intrinsèque dans le temps. Comme Buffett le dit lui-même, le temps est l’ami d’une belle affaire et l’ennemi d’une mauvaise affaire.
Glaser : Si vous estimez que l’histoire d’une entreprise a profondément changé et que son action vous semble surévaluée, comment savoir quand il est opportun de vendre ? Comment le fait de disposer d’alternatives peut-il influer votre décision ?
Coffina : C’est peut-être l’une des choses les plus difficiles à faire pour un investisseur, c’est-à-dire de reconnaître quand on s’est trompé et qu’il faut passer à autre chose. Je pense qu’il faut être conscient d’un biais psychologique appelé « la peur de perdre », lorsque les investisseurs ont du mal à reconnaître leur perte et qu’ils ont tort. Cela peut être un choix douloureux pour un portefeuille si vous conservez les actions d’une société qui ne correspond plus à ce que vous cherchiez et que vous ne voulez pas prendre vos pertes. Vous prenez le risque de perdre bien plus que prévu.
Je pense que disposer d’alternatives peut jouer un rôle important. Chaque décision d’investissement est relative. Lorsque vous décidez de détenir un titre, vous décidez de ne pas acheter d’autres sociétés, et de ne pas considérer des options dans l’univers du monétaire, des obligations, des options… Si l’on a une meilleure opportunité, il est peut-être opportun de vendre et de faire travailler son capital autrement. Face à une société dont la position concurrentielle se détériore et qui pourrait valoir beaucoup moins dans le futur qu’elle ne vaut aujourd’hui, il est parfois raisonnable de prendre sa perte.
La bonne nouvelle est qu’il y a toujours des alternatives à votre disposition. Si vous pouvez identifier une bonne idée sur un titre qui se traite sensiblement sous sa valeur intrinsèque, vous pouvez trouver un titre se traitant avec une décote encore plus importante, ou une société de bien meilleure qualité susceptible d’accroître sa valeur au fil du temps. Cela peut faire sens.
Glaser : Nous avons parlé d’entreprises dont l’histoire ne fonctionne pas forcément. Il y a des sociétés qui performent bien, mais dont le cours a fortement progressé au point d’atteindre des niveaux de valorisation qui peuvent paraître excessifs. Comment savoir quand il faut vendre ?
Coffina : Ce sont des situations également délicates. Warren Buffett aime dire que sa période préférée de détention est « pour toujours ». Il préfère ne pas avoir à vendre ses titres, mais il peut y avoir des circonstances où une belle entreprise capable d’accroître sa valeur intrinsèque, de réinvestir son capital à niveau élevé de rentabilité, d’accroître ses résultats, ses dividendes… Cette société peut apparaître surévaluée parce que les investisseurs deviennent très optimistes à son sujet.
Je pense que dans cette situation, la note Morningstar se situe à 1 étoile. Si c’est le cas, cela peut être le bon moment pour chercher d’autres opportunités. Encore, cela se résume à un raisonnement relatif. Si vous avez une très belle affaire qui se traite 30% de sa juste valeur et l’autre qui se traite avec 10% de décote, et si ces deux titres sont de qualité égale, il y a une belle opportunité d’arbitrage à saisir.
Cela dit, je dirais que les investisseurs n’ont pas vraiment besoin de sentir le besoin de vendre. Vous n’avez pas besoin de vendre pour obtenir de bons résultats dans le marché. Et la raison cela est que la valeur intrinsèque d’un titre augmente avec le temps. Les entreprises font croître leurs résultats et leur dividende. Cela signifie qu’une entreprise de grande qualité peut valoir beaucoup plus dans 5 ou 10 ans que ce qu’elle vaut aujourd’hui.
Glaser : Matt, merci pour cet échange.
Coffina : Merci de m’avoir reçu.
Glaser : Pour Morningstar, je suis Jeremy Glaser.