L'annonce fin mai par la Réserve fédérale de son intention de réduire ses achats d'obligations, connus sous le nom de "Quantitative Easing" (ou "assouplissement quantitatif") a marqué un tournant dans la manière dont les banques centrales interviennent pour soutenir l'activité, entraînant les marchés financiers dans une nouvelle période de forte volatilité et obligeant les gérants à revoir leur allocation d'actif.
Semaine chargée
Dans les prochains jours, la BCE, la Banque d'Angleterre et les banques centrales d'Australie, de Suède, de Pologne et de Roumanie doivent tenir des réunions d'orientation de leur politique monétaire.
Les commentaires de la BCE seront sans doute très suivis, après la décision de ne pas abaisser ses taux directeurs lors de la précédente réunion. L'institution est confrontée à un problème central pour les marchés: la panne des canaux de transmission de sa politique à l'économie réelle. Jusqu'ici, les liquidités injectées dans l'économie et les déclarations d'intention de ses dirigeants n'ont pas conduit les banques à distribuer plus de crédit.
Une situation d'autant plus délicate que de plus en plus de banques, contraintes par la réglementation Bâle 3, sont incitées à se désendetter et à prendre moins de risques, laissant de plus en plus les entreprises aller se financer directement sur les marchés - une facilité qui n'est toutefois pas accessible aux entreprises de petite taille, et qui de fait ne permet pas de relancer l'économie.
Peu d'options
De fait, la BCE dispose de peu d'outils pour intervenir: les rachats d'obligations souveraines ne sont possibles que pour les pays qui font une demande d'aide formelle (avec mise sous tutelle de leurs finances publiques). Les tensions récentes sur les rendements de certains emprunts d'Etats (Portugal) et le mouvement plus général de remontée des taux longs - initié par la Fed - obligent la BCE à rester vigilante, à défaut d'intervenir.
Parmi les autres options à sa disposition, Mario Draghi peut envisager d'amener les taux de dépôts (rémunération reçue par les banques pour stocker leur argent à la BCE) en territoire négatif, même si avec des taux directeurs déjà nuls, les banques n'ont pour l'instant pas montré leur volonté de prêter davantage à l'économie.
Au Royaume-Uni, le canadien Mark Carney interviendra publiquement pour la première fois comme gouverneur de la Banque d'Angleterre. Le marché n'attend pas de décision particulière, si ce n'est le maintien des dispositifs actuels (taux directeurs nuls pour une période prolongée - au moins jusqu'en 2015).
Marchés émergents en berne
Dans les pays émergents, la situation de la Chine est toujours préoccupante. Après avoir laissé s'envoler les taux d'intérêt interbancaires pour inciter les banques "de l'ombre" à cesser d'alimenter des bulles sur le marché immobilier et en Bourse, la Banque Populaire de Chine (BPC) entend contribuer à la transition du modèle économique chinois vers une croissance plus autocentrée.
Les menaces de "credit crunch" ont néanmoins obligé les autorités chinoises à rassurer les marchés en indiquant que les réserves bancaire sont suffisantes pour éviter un tel krach et en confirmant la capacité du pays à tenir ses objectifs de croissance.
Les turbulences provoquées par les déclarations de la Fed depuis le mois de mai ont eu des conséquences fâcheuses dans de nombreux marchés émergents. Après avoir reçu des flux d'investissement très significatifs, certains pays, comme l'Indonésie, ont vu leur devise chuter du fait des rapatriements de capitaux opérés par les non-résidents. La banque centrale indonésienne a d'ailleurs récemment relevé son taux directeur à 6% pour tenter de mettre un terme à la chute de la roupie. L'Inde a elle cessé sa politique de baisse de taux (à 7,25%) et a souligné des risques de dérapage inflationniste alors que sa devise a sensiblement baissé ces dernières semaines.
Erreur de communication
Ce regain de volatilité provoqué par les banques centrales a conduit certains observateurs à se demander si la communication de certaines n'a pas été maladroite, voire si les mesures prises ne constituent pas des erreurs de politique monétaire.
Pour les économistes de Bank of America Merrill Lynch, les décisions de la Banque Populaire de Chine, de la Banque du Japon, de la BCE, et de la Fed ont contribué à saper la confiance des investisseurs. "Individuellement, il s'agit de faux pas mineurs, et dans un environnement moins fragile, cela n'aurait pas été bien grave. Malheureusement, les temps sont difficiles pour l'économie et les marchés", écrivent-ils dans une étude datée du 28 juin.
Les signaux d'inflation restent sous contrôle, mais l'activité tarde à rebondir au niveau mondial. Dans cet environnement, les indicateurs de stress financier repartent de plus belle à la hausse, tout comme la volatilité. La période de sevrage et de fin de l'argent pas cher a peut-être été annoncée trop tôt.