Howard Marks : regardez du côté des actions

Pendant des années, les investisseurs ont focalisé leur attention sur les obligations, délaissant les actions. Ces dernières affichent désormais un potentiel de création de valeur attrayant, selon Howard Marks, d’Oaktree Capital.

Jason Stipp 29.07.2013
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Jason Stipp : Bonjour, je suis Jason Stipp de Morningstar. Howard Marks est le président d’Oaktree Capital et l’auteur des lettres aux investisseurs les plus éclairantes qu’il soit donné de lire. Il est également un observateur avisé des marchés financiers. Nous avons eu l’occasion de lui parler pour recueillir son avis sur les marchés et sur le sentiment des investisseurs. Merci de nous avoir joint par téléphone Howard.

Howard Marks : Avec plaisir.

Jason Stipp : Howard, votre process d’investissement inclut la « prise de température » du marché : vous observez l’attitude des investisseurs et des commentateurs, les gros titres des journaux, l’intérêt pour les nouvelles émissions ou le niveau d’effet de levier utilisé. Lorsque nous nous étions entretenu l’an dernier, vous disiez que l’humeur du marché était plutôt neutre. Ni trop pessimiste, ni trop optimiste, même s’il devait gérer la situation tendue de l’Europe. Qu’en est-il aujourd’hui après la hausse de la Bourse ?

Howard Marks : Lorsque nous nous étions parlé l’an dernier, la plupart des gens évoquaient « le marché » pour parler uniquement de la Bourse. Ce n’est pas mon cas, car notre cœur de métier, c’est le crédit. Et lorsque j’évoque le marché, je pense à l’ensemble des marchés, ce qui est difficile car ils sont tous différents.

Mais lors de notre entretien, je pensais que pour les actions, la température du marché était plutôt froide, l’intérêt pour cette classe d’actif était plutôt bas, et cela était le cas depuis une décennie. Les gens avaient perdu tout intérêt, et je pense que cette classe d’actifs était intéressante justement pour la raison que plus personne n’y prêtait attention et qu’elle était sous-représentée et sous-pondérée dans les portefeuilles. Bien sûr, cela a bien changé depuis, grâce au mouvement que vous avez décrit. Je pense que l’idée que les gens se font des actions est encore éloignée de la représentation qu’ils en avaient 12 ou 20 ans en arrière, et je ne vois pas beaucoup de commentaires très optimistes.

Dans l’univers de la dette, je pense que la température est relativement élevée, voire que l’on observe une certaine surchauffe, depuis 2012 et la première moitié de 2013. Pas tellement parce que les gens sont excessivement optimistes ou inconscient du risque, vous parliez du risque en Europe. Il y a beaucoup de risques aujourd’hui et tout le monde est plutôt conscient de leur nature. Pourquoi les marchés seraient-ils en surchauffe si la psychologie ne l’est pas ? A mon avis, comme je l’explique dans mes mémos, même si les gens ne pensent pas de manière optimiste, il agissent de manière optimiste. Ils ont pris des positions de plus en plus risquées avec l’espoir d’obtenir des rendements plus élevés, en particulier dans l’univers des taux car ils y ont été forcés.

Pourquoi ? Parce que la Fed et d’autres banques centrales ont amené les taux d’intérêt à zéro. Si vous voulez obtenir du rendement, vous devez monter l’échelle du risque. Bien sûr, le rôle des banques centrales en situation de risque est d’inciter à reprendre du risque. Je pense qu’elles ont fait un excellent travail de ce point de vue en éliminant tout rendement sur les actifs les moins risqués. Cela a obligé les gens à prendre du risque et cela a entraîné une hausse du cours des actifs, en l’absence d’humeur plus optimiste.

Jason Stipp : Il semble que l’on a commencé à voir le début d’une rotation, en particulier au moment où les taux longs ont pris un mouvement ascendant, avec des flux sur les obligations qui commençaient à corriger. Pensez-vous que l’attitude soit en train de changer ? Est-on à un point d’inflexion ?

Howard Marks : Je pense que l’attitude des investisseurs a quelque peu changé. Je ne sais pas si c’est permanent ou significatif, mais la plupart des gens n’ont pas de réponses aussi longues que les miennes. Les gens cherchent des réponses simples, ce que j’appelle des mantras. Entre 1960 et 2000, le mantra des investisseurs était la croissance et ils sont tombés amoureux des actions, je dirais jusqu’à l’excès, et les actions sont devenues bien trop chères en 2000. C’est la raison pour laquelle il y a eu une décennie perdu entre 2000 et 2011.

Pendant cette période, les actions n’ont guère rapporté. Les obligations se sont bien comportées et un nouveau mantra a pris le dessus, basé sur la sécurité et le rendement. Où trouvez-vous cela ? Dans les obligations. Si vous achetiez des obligations, et leur intérêt et leur exposition n’ont cessé de croître. Lorsque les gens s’en remettent à de simples mantras, ils oublient ou ne font plus confiance à quelque-chose. Dans ce cas, ce qu’ils ont ignoré est le fait que les obligations ne vous apportent ni sécurité ou rendement, sans tenir compte du prix que vous payez. L’une de mes règles d’or est qu’il n’y a pas de bonne idée que celle remise dans la perspective du prix payé.

Les gens surpaient les obligations, en particulier celles de qualité et les bons du Trésor et ne font que faire monter les prix. Je pense qu’il y a eu une vive correction après l’annonce par la Fed de son intention de réduire les achats d’actifs. Je pense que cela a provoqué un changement d’attitude. Je pense qu’actuellement, les investisseurs ne sont plus trop amoureux des obligations sans regarder leur prix.

Jason Stipp : Si le marché des taux sont en situation de surchauffe, où regardez-vous dans le marché à la recherche d’opportunités ?

Howard Marks : Je pense que cette histoire d’amour avec les obligations entre 2000 et 2012 a entraîné les obligations de qualité et les bons du Trésor à des niveaux de prix élevés par rapport aux actions, qui se languissaient depuis une décennie. Par se languir, je veux dire que ces actifs sont devenus meilleur marché. Donc les actions se languissent. Si le prix des actions reste à un niveau identique, ce qui a été grosso modo le cas depuis une décennie, et que les entreprises ont entre temps doublé leurs profits, ce qui a été le cas, alors les actions sont devenus deux fois moins cher en termes de P/E (ratio cours sur bénéfice) et c’est ce qui s’est produit. Je pense qu’une réponse brève à votre question, est que probablement, les actions sont relativement attrayantes à l’égard des obligations.

Une autre classe d’actifs devenue attrayante récemment, ce sont les marchés émergents. Il y a quatre ans, tout le monde pensait que le monde développé était terminé – Etats-Unis, Europe, Japon – mais que la Chine et les autres marchés émergents avaient un potentiel illimité. Encore une fois, les actions des pays développés ont langui et les actions chinoises ont bondi. Je pense que les actions chinoises – je ne parle pas des fondamentaux ou de l’économie à court terme et je ne parle pas d’elles dans le détail, mais je pense que les marchés émergents sont devenus relativement bon marché par rapport aux marchés développés et méritent qu’on y regarde de plus près.

Enfin, je mettrai en avant l’immobilier. Je ne parle pas des bâtiments de première qualité dans les villes de premier plan, mais les catégories secondaires ou tertiaires dans des cités périphériques sont relativement attractives. Maintenant, vous ne pouvez pas parler de l’immobilier en général ; vous devez tenir compte du prix. Un grand nombre de personnes se sont ruées sur les REITs, peut-être  pour parier sur la hausse des cours et peut-être que cette classe d’actifs n’est plus le meilleur moyen de jouer l’immobilier. Mais notre métier consiste à acheter des actifs immobiliers ; c’est relativement plus facile pour nous que pour les personnes qui nous écoutent. Et nous regardons différentes manières de jouer l’immobilier. Voilà quelques exemples.

Jason Stipp : Une dernière question d’ordre plus personnel. Vous observez les marchés depuis longtemps. Vous étudiez les mouvements du marché qui ne cessent d’aller et venir, mais à la fin nous sommes tous humains et nous sommes sujets aux émotions. En tant qu’investisseur, je voulais savoir comment il est possible de s’extraire de ces émotions. Il est facile de dire « acheter bas et vendre haut », mais lorsque c’est le moment c’est sans doute une chose particulièrement dur à faire.

Howard Marks : Vous avez raison. C’est très important, mais très difficile. Je pense qu’il est important de s’associer à d’autres personnes ayant la même vue et mes associés et moi-même nous nous soutenons les uns les autres. Nous nous aidons à rester calmes lorsque les marchés sont en phase de surchauffe tout comme nous le faisons lorsque les temps sont plus durs. En 2005, 2006, 2007, avant la crise, nous passions le plus clair de notre temps à nous voir les uns les autres dans nos bureaux respectifs et à nous dire : "regarde cette opportunité ; c’est incroyable. Comment est-ce possible ?" Lorsque vous voyez des opportunités qui ne sont pas raisonnables et que vous ne devriez même pas penser à les saisir, et c’est aussi cela prendre la température du marché. Donc nous tendons plutôt à nous calmer les uns les autres.

Lorsque le monde s’effondre et qu’il y a tendance à perdre le moral, nous nous rappelons les uns les autres qu’il y a un nombre incroyable d’opportunités à saisir. Bien sûr, je fais cela depuis 45 ans, et mon équipe et moi avant traversé des crises nombreuses, en 1990, 2002 ou 2008. Lorsque vous avez vécu plusieurs crises, vous commencez à vous dire que les choses ne s’effondrent pas pour rester à la cave. Il y a toujours une phase de sursaut, ce qui signifie que les prix bas sont plus un signal d’achat qu’un facteur de peur qui vous incite à sortir du marché. Je pense que l’expérience, la capacité d’appréhender un problème et la disponibilité d’un entourage.  

Jason Stipp : Howard, c’est toujours un moment très valorisant de vous parler. Merci d’avoir pris le temps de nous parler aujourd’hui.

Howard Marks : Merci pour ces questions de qualité, Jason.

Jason Stipp : Pour Morningstar, je suis Jason Stipp. Merci de nous avoir suivis.

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A propos de l'auteur

Jason Stipp  Jason Stipp is Site Editor for Morningstar.com