Un “bond vigilante” est un investisseur obligataire qui proteste contre le caractère inflationniste de la politique monétaire ou fiscale du pays émetteur des titres qu’il détient, en vendant des obligations, provoquant ainsi une hausse des rendements. Cette expression était en vogue au début des années 1990 après une hausse des rendements du bon du Trésor américain à 10 ans, portés de 5,2 % en octobre 1993 à 8,0 % en novembre 1994, provoquée par les inquiétudes sur l’évolution des dépenses fédérales et de l’inflation.
Cette situation est à l’origine des propos ironiques tenus à ce sujet par le conseiller politique du Président Clinton, James Carville : “Jusqu’à présent, je pensais que si la réincarnation existait, j’aimerais revenir sur terre en qualité de président, de pape ou de batteur de baseball. Mais désormais, c’est sous la forme du marché obligataire que j’aimerais me réincarner. Vous pouvez intimider tout le monde.”
L'après crise de 2008
Plus récemment, depuis la crise financière de 2008, on a entendu beaucoup de commentaires sur les dépenses budgétaires et la taille du bilan de la Réserve fédérale (4.000 milliards USD), mais la perspective de se battre contre celle-ci s’est révélée en définitive être un pari perdant.
La combinaison du pilotage des anticipations de taux, de l’opération twist, et de trois phases successives d’assouplissement quantitatif a contribué à maintenir les taux d’intérêt à des niveaux historiquement faibles jusqu’au début du mois de mai.
Les taux atteignent désormais leurs plus hauts niveaux depuis 2011, l’indice Barclays Aggregate étant en voie de réaliser sa troisième perte sur une année civile depuis 1976. La question que l’on peut désormais se poser est la suivante : les banques centrales mondiales sont-elles désormais aux prises avec un nouveau type de “vigilante”, l’investisseur retail, devenu bien trop confiant pour ce qui concerne le risque de baisse et la volatilité des taux ?
Flux favorables aux obligations depuis 2007
Selon l’Investment Company Institute (ICI), on a assisté depuis 2007 à un mouvement sans précédent en faveur des OPCVM obligataires. Un total de 1 500 milliards USD a été placé en fonds obligataires, contre 332 millions USD en fonds actions jusqu’à fin mai. La divergence a commencé à se manifester sérieusement fin 2008 lorsque la Réserve fédérale s’est engagée sur la voie de l’assouplissement quantitatif.
L’année 2012 a enregistré le plus important flux de souscription obligataire imposable de ce cycle d’assouplissement malgré le niveau historiquement faible du taux moyen du bon du Trésor américain à 10 ans (1,83 % en 2012).
Au moment où le président de la Réserve fédérale Ben Bernanke tente de réintroduire la prime de terme dans les taux des bons du Trésor américain, avant l’expiration de son mandat début 2014, le léger mouvement des bons du Trésor américain à 10 ans vers le seuil de 3 % a constitué un brutal rappel à l’ordre pour les investisseurs obligataires, leur rappelant qu’ils étaient peut-être en réalité détenteurs d’un “actif risqué”.
Risque de panique
Celui-ci pose aussi la question de savoir s’ils céderont à la panique et vendront pour acquérir des titres à taux plus élevés, ce qui en conséquence exacerberait le mouvement en cours depuis mai. Un autre sujet d’inquiétude émerge désormais : la crédibilité des banques centrales mondiales.
La Réserve fédérale et désormais la Banque du Japon, la Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre, ont adopté le pilotage des anticipations comme moyen d’assurer aux investisseurs que, malgré la volatilité à court terme des taux, ceux-ci seront pour l’essentiel maintenus à leur niveau actuel jusqu’à la constatation d’améliorations fondamentales concernant le marché de l’emploi et les anticipations d’inflation.
Le but poursuivi est que, malgré les mouvements enregistrés par les taux d’intérêt à long terme (ou par leur structure par terme), l’ancrage des taux d’intérêt à court terme limite l’intensité du mouvement haussier des taux.
La Réserve fédérale a franchi un nouveau pas dans le pilotage des anticipations en communiquant, selon une périodicité trimestrielle, l’opinion du Comité de politique monétaire sur le rythme approprié du resserrement de la politique monétaire.
Actuellement, ce pilotage montre que 15 des 19 membres du FOMC n’anticipent pas une évolution du taux directeur de la Réserve fédérale avant 2015. Cette politique a réellement bien fonctionné depuis le milieu de 2011, les taux affichant une faiblesse record de la volatilité, conséquence de la politique d’assouplissement non conventionnelle et d’un sentiment général plus prudent sur les actions mondiales.
Ventes massives
Cependant, depuis début mai, la combinaison d’une amélioration du sentiment général sur les actions mondiales et d’incertitudes sur la réduction progressive du programme de rachat d’actifs de la Réserve fédérale a non seulement poussé à la hausse les taux d’intérêt à long terme mais aussi conduit à un mouvement de vente massive de l’extrémité initiale de la courbe des taux.
En d’autres termes, non seulement le taux des bons du Trésor américain à 10 ans se situe à ses niveaux les plus élevés depuis plusieurs années, mais de multiples resserrements du taux directeur de la Réserve fédérale en 2014 sont désormais intégrés dans les cours, même si 15 des 19 membres du FOMC estiment que le resserrement de la politique monétaire interviendra au plus tôt en 2015.
Malgré tous ses efforts pour convaincre que le “tapering” (réduction progressive de ses rachats d’actifs) n’est pas assimilable à un resserrement de sa politique monétaire, la Réserve fédérale n’a pas réussi à mettre en place une solution palliative pour empêcher la poussée subie par les taux d’intérêt à long terme de s’étendre à l’extrémité initiale de la courbe des taux.
Rotation vers les actions
Cette évolution est susceptible de prendre de nombreux investisseurs au dépourvu. Après des années de “don’t fight the fed” (“ne luttez pas contre la Réserve fédérale”), et l’afflux de capitaux qui s’en est suivi depuis 2007, la perception du début d’une stratégie de sortie de crise est-elle suffisante pour justifier une rotation d’actif consistant à sortir des obligations pour se positionner sur les actions ?
S’il en est ainsi, cela va-t-il inciter la Réserve fédérale à agir plus précocement que prévu initialement ou, à l’inverse, à revenir à sa stratégie d’apport de liquidités si les taux montent trop rapidement et pèsent trop fortement sur la fragile reprise ? Quelle que soit la voie adoptée, la crédibilité de toute banque centrale vis à vis du marché constitue un élément crucial et elle pourrait subir un test au cours des prochains mois ainsi qu’à travers la relève du prochain président de la Réserve fédérale en février.
Si l’on s’est beaucoup intéressé aux investisseurs “retail”, une autre catégorie d’acheteurs traditionnels de bons du Trésor américain a fait un pas en arrière brutal en 2013 : les investisseurs étrangers. Selon JPMSI et les récentes données TIC, après avoir atteint un pic fin 2010, les investisseurs étrangers sont devenus de petits vendeurs nets au cours des quatre premiers mois de 2013.
Si la Réserve fédérale profite du bénéfice du doute pour ce qui concerne l’efficacité de sa politique monétaire, le fait est qu’il s’agit de la plus importante expérience de toute l’histoire de la politique monétaire, qui comporte d’inévitables incertitudes pour l’avenir.