Vendre une affaire trop tôt est une erreur regrettable pour les investisseurs. Les plus belles entreprises sont capables d'augmenter de manière constante et régulière leur valeur intrinsèque au fil du temps, assurant une belle appréciation du capital investi. Pour ces raisons, il est difficile de se séparer d'entreprises dont l'avantage concurrentiel est large ou s'apprécie, même si leur valorisation semble conséquente à court terme.
Cela étant dit, que faire de ses titres Facebook ? Notre stratégie avait acheté le titre il y a un peu plus d'un an, à 20,31$, frais de courtage inclus. Le titre a eu un parcours remarquable depuis, clôturant dernièrement à 48,45$ (au 24 septembre). Chose plus importante, Facebook se traite 43% au-dessus de la juste valeur estimée par Morningstar (34$).
Le changement de statut de Facebook tient à une raison. Depuis 2012, le groupe affiche une croissance très soutenue de ses ventes mais affiche une marge opérationnelle ajustée en baisse plusieurs points de pourcentage trimestre après trimestre. Cela a conduit les investisseurs à se demander si le réseau social était en mesure de "monétiser" ses applications mobiles, et si la croissance des ventes justifiait réellement les multiples de valorisation déjà généreux de l'entreprise.
Au deuxième trimestre 2013, l'histoire a changé: l'activité a bondi de 53% (contre 30% environ auparavant) et la marge d'exploitation s'est améliorée, entraînant une envolée de 58% du bénéfice par action. Soudainement, Facebook est passé d'une entreprise assaillie par la concurrence et ayant du mal à faire sa conversion vers le mobile à un leader mondial de la publicité en ligne. Le consensus des analystes a embrayé ne cessant depuis de revoir en hausse ses attentes. En 2 mois, l'action a pris 83%, et les investisseurs qui ont acheté Facebook depuis la mise en Bourse et qui ont gardé leurs titres gagnent enfin de l'argent.
Que faire maintenant ? Le consensus table sur un bénéfice par action de 0,72$, entraînant un multiple (P/E) de 67x le résultat. Les analystes semblent toutefois exclure les rémunérations en actions, qui représentent un coût significatif. En ajustant de cet élément, qui représente environ 0,10$ par action, le réseau est probablement en ligne avec un résultat de 0,52$ par action, soit un multiple de résultat de 93x.
Une chute des multiples de Facebook semble inévitable. On ne sait pas quand cela se produira, et comment les résultats de l'entreprise évolueront d'ici là. Disons que si dans 10 ans l'action vaut 20x ses bénéfices, que le consensus à 0,72$ par action est correct, notre analyste table sur un résultat par action de 4,92$ en 2022 (soit une croissance annuelle moyenne de 24%). Sur la base d'un P/E de 20x, Facebook vaudrait 98$ à cet horizon, et en supposant que la société ne verse pas de dividende, cela représenterait un rendement moyen de 8% par an.
Si ses résultats progressaient de 34% par an, le bénéfice par action serait de 9,89$ en 2022, et le titre vaudrait 198$, soit un rendement annuel moyen de 17%. A l'inverse, avec une croissance de 14% par an, le BPA ne serait que de 2,31$ en 2022, valorisant l'action à 46$, soit son cours actuel.
Ces scénarios décrivent l'univers des possibles pour Facebook. L'histoire n'offre pas de point de comparaison, les réseaux sociaux étant un domaine d'activité récent. Un précédent comme Myspace a été un désastre. Google progressait à un rythme de croissance similaire à Facebook en 2007, et ses résultats ont augmenté de 20% par an depuis. L'avantage concurrentiel de Facebook réside dans la taille de son réseau d'utilisateurs - 1,15 milliard d'usagers actifs - lesquels passent une somme de temps conséquente sur ses sites et ses applications. L'entreprise sera-t-elle en mesure de maintenir un tel niveau d'activité et de générer de nouvelles sources de revenus publicitaires ce faisant ? Les annonceurs accepteront-ils de payer le prix pour se faire connaître auprès de ces utilisateurs ?
Mon incertitude porte sur différents aspects du modèle économique de Facebook. Sa croissance repose sur trois facteurs: 1) le gain de nouveaux utilisateurs; 2) la création de nouveaux produits publicitaires; 3) l'augmentation des prix sur les espaces publicitaires existants. La croissance des utilisateurs actifs est soutenue. Mais avec 16% de la population mondiale utilisant déjà régulièrement ce service, ce moteur devrait ralentir.
Le développement de nouveaux produits publicitaires est bien réel, en particulier dans l'univers du mobile. Parmi ces produits on trouve notamment les publicités vidéo, mais les opportunités les plus "faciles" ont déjà été exploitées. Facebook doit faire attention à ne pas trop envahir l'espace de ses utilisateurs avec de la publicité, au risque de les perdre.
Il est difficile de vendre une entreprise de grande qualité, en particulier lorsque son chemin de croissance semble assuré sur le long terme, uniquement au motif d'une valorisation élevée. Il est néanmoins important de faire attention aux différents risques qui peuvent remettre en question cette trajectoire de croissance et intégrer le fait que sur longue période, le multiple de valorisation de Facebook devrait se contracter.