Cet article fait partie de la série "Perspectives", écrite par des tierces parties. Ici, David Shairpe de J.P.Morgan Asset Management évoque la question des points de retournement sur les marchés financiers.
Points de retournement
Plusieurs points de retournement sont apparus sur les marchés d’actions cette année, la plupart étant susceptibles de signaler la fin de plusieurs tendances de long terme. Avec l’arrêt des rachats d’actifs qui se profile aux Etats-Unis dans le prolongement du débat sur le “tapering” (réduction progressive des rachats d’actifs par la Réserve fédérale), les rendements des obligations d’Etat ont commencé à progresser à partir de leurs niveaux les plus bas depuis plusieurs décennies – et les points de retournement des taux d’intérêt ont souvent été dans le passé des facteurs de rotation sectorielle et de style de gestion.
Un point pivot clé est apparu fin avril lorsque les rendements obligataires ont commencé à progresser sérieusement. Pour ce qui concerne le couple valeurs cycliques/valeurs défensives, depuis leurs niveaux extrêmes respectifs de mi-avril, les cycliques américaines et européennes ont surperformé les défensives de respectivement 12 % et 10 %. Tout se passe comme si la hausse des rendements obligataires était annonciatrice d’une amélioration des prévisions de croissance.
De la même manière, nous avons assisté au début d’un retournement de la surperformance de long terme du style de gestion focalisé sur les valeurs de haute qualité en Europe. Depuis mi-avril, l’indice MSCI Quality Europe a sous-performé de près de 7 % par rapport à l’ensemble du marché.Aux Etats-Unis, la faiblesse du style haute qualité a en fait déjà commencé au milieu de l’année dernière – lorsque l’indice MSCI US High Quality a sous-performé le marché de près de 6 %.
Dans les deux cas ce recul peut sembler peu important, mais il s’agit d’une évolution majeure pour une tendance de long terme sur les deux marchés : jusqu’à ces deux points de retournement respectifs, la qualité avait surperformé le marché élargi de près de 29 % aux Etats-Unis et du chiffre impressionnant de 49 % en Europe depuis 2007 (voir le graphique de la semaine).
Nous considérons que ce mouvement de rotation consistant à sortir de l’univers de la qualité devrait se poursuivre, les rendements obligataires continuant à se normaliser.
Le second point de retournement est intervenu fin juin et s’est poursuivi en juillet. A ce moment, les marchés ont atteint un plancher après leur mouvement initial qui a suivi le débat sur le “tapering” (la réaction d’hostilité initiale envers le “tapering”).
Depuis lors, les performances ont dérivé des Etats-Unis vers l’Europe et les marchés émergents. A partir de leurs points bas respectifs de juillet, l’indice MSCI Europe a surperformé par rapport à l’indice MSCI All Country World de près de 4,5 %, et l’indice MSCI EM a surperformé de près de 5,5 % ce même indice.
Une rotation des styles value/growth a également débuté approximativement à la même époque, évoluant curieusement dans des directions opposées aux Etats-Unis et en Europe.
En Europe, le style “value” a surperformé le style “growth” de près de 7 % depuis leurs points bas relatifs de début juillet. Ceci semble n’être que le point de départ d’un retournement de grande ampleur de la tendance à la sous-performance du style “value” qui remonte à fin 2006 et qui l’a vu perdre 35 % par rapport au style “growth”.
Aux Etats-Unis, la situation est un plus complexe dans la mesure où la rotation vers le style “value” a déjà commencé fin 2012, cette gestion surperformant le style “growth” de près de 8 % (à fin juin). De nouveau, cette évolution fait suite à une longue période de sous-performance : 31 % depuis début 2007. Depuis fin juin, cette surperformance du “value” s’est de nouveau inversée mais avec la reprise de la croissance économique, nous subodorons que ce retournement ne soit que temporaire.
Où tout ceci nous mène-t-il ?
Pour ce qui concerne les rotations de style, nous supposons qu’elles vont prendre de l’ampleur et que la croissance est dans une certaine mesure disponible dans l’univers des actions. De la même façon, la sous-performance des actions de haute qualité vient probablement seulement de débuter.
Pour ce qui concerne le couple cycliques/défensives, la situation n’est pas aussi claire dans la mesure où il n’y a pas une performance extrême à résorber, mais au cours de la reprise économique que nous attendons, les cycliques devraient encore progresser.
Notre position sur les zones géographiques pourrait peut-être s’avérer plus controversée : les arguments en faveur de la croissance avancés ci-dessus devraient normalement favoriser une période continue de surperformance des marchés d’actions européens et émergents hautement cycliques par rapport au reste du monde (le Japon ayant pour sa part déjà réalisé un beau parcours depuis le début de l’année).
Cependant, nous pensons que, pour les marchés émergents, ce parcours pourrait être de courte durée du fait des difficultés économiques auxquelles sont confrontées leurs économies – déjà abondamment commentées dans nos précédentes éditions. Pour le moment, concernant les actions, nous conservons une position neutre sur les marchés émergents et surpondérée sur les Etats-Unis, l’Europe et le Japon.
Croissance des bénéfices : sur le point de repartir à la hausse
Aux Etats-Unis, la saison des bénéfices du troisième trimestre vient de débuter, ce qui nous donne une bonne opportunité pour réviser nos perspectives sur les bénéfices.
Pour ce qui concerne le très court terme, cette saison des bénéfices devrait s’avérer plus intéressante que beaucoup d’autres (mais n’est-ce pas ce que l’on affirme régulièrement ?), dans la mesure où elle devrait représenter le point bas de la croissance des bénéfices aux Etats-Unis.
Le consensus prévoit une croissance annuelle du BPA de 4,1 % au T3 selon Thomson Reuters, suivie d’un chiffre bien plus robuste de 10,8 % au T4 et d’environ 11 % pour 2014.
L’écart entre le taux de croissance du T3 et celui du T4 2013 pourrait se résorber un peu, dans la mesure où nous pouvons nous attendre à ce que les entreprises battent les anticipations au cours de cette saison. Une éventuelle révision substantielle à la baisse des estimations du T4 ne fait pas partie de notre scénario, contrairement à certains commentaires déjà entendus.
Ceci nous amène à notre perspective plus large sur l’évolution des bénéfices : le fait que nous devrions atteindre le point bas de leur croissance dans quasiment la plupart des zones géographiques.
Et, de façon inhabituelle, les anticipations de bénéfices du consensus paraissent à peu près exactes pour 2014, et même un peu sous-estimées pour 2013. Pour en revenir aux Etats-Unis, nos modèles internes de prévisions de bénéfices suggèrent une croissance du BPA proche de 10 % cette année – légèrement supérieure aux 6 % anticipés par le consensus. Cet écart n’est pas insurmontable si le T3 et le T4 s’avèrent légèrement supérieurs aux anticipations.
Pour l’Europe, nos modèles prévoient une croissance d’environ 2 % cette année, légèrement révisée à la baisse mais encore supérieure au consensus, qui ressort désormais à 0 %. Même pour les actions émergentes, nos modèles suggèrent une croissance d’environ 8 %, assez proche des 9 % envisagés par le consensus.
De façon encourageante, le consensus prévoit pour 2014 un renforcement de la croissance dans les trois zones, comprise entre 11 % et 13 %, fourchette assez proche de nos propres estimations. Le facteur essentiel du renforcement de la croissance des bénéfices n’est autre que la reprise économique cyclique que nous attendons pour 2014, qui devrait stimuler les chiffres d’affaires, les marges et les profits.
La mise en perspective de tous ces éléments nous place dans la situation inhabituelle d’anticiper une progression importante de la croissance des bénéfices en 2014, tout en attendant dans le même temps peu de choses d’un cycle de révision à la hausse des bénéfices.
Les prévisions du consensus semblent déjà assez réalistes – intentionnellement ou non ! Il reste cependant nécessaire avant tout de pouvoir constater un arrêt du cycle de révisions à la baisse.
Jusqu’à présent, il n’y a qu’aux Etats-Unis que le ratio de révision des bénéfices (ERR ou ratio des révisions haussières comparées aux révisions baissières du BPA par les analystes) est revenu à un niveau neutre proche de 1, alors que l’ERR en Europe et sur les marchés émergents reste obstinément aux alentours de 0,5 (deux fois plus de révisions à la baisse qu’à la hausse).
Si nous avons raison, ce dernier devrait également progresser vers le seuil de 1,0 et ensuite rester proche de ce niveau, ce qui se produit rarement (sauf si nos prévisions de BPA devaient s’avérer prudentes...). Il sera intéressant d’observer comment évolue cette situation inhabituelle, mais nous estimons qu’elle devrait constituer un contexte positif pour la performance des actions.