Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Jonathan Lowe, stratégiste chez J.P.Morgan Asset Management.
Les obligations et prêts non notés investment grade ont bénéficié au cours de ces trois dernières années d’un environnement porteur et cohérent. Dans un contexte de croissance lente mais constante, de gestion prudente des bilans et d’amélioration de la rentabilité, les fondamentaux de ces deux segments de marché ont joué le rôle de puissants catalyseurs.
Depuis la restauration des marchés de capitaux après leur dislocation intervenue en 2008/2009, les émetteurs high yield (haut rendement) ont réussi à se refinancer à des taux toujours plus bas et, de ce fait, à allonger les maturités des dettes bien au-delà de 2016.
La volatilité de la croissance étant restée particulièrement faible et le comportement des entreprises étant demeuré prudent sur le plan financier, les taux de défaut se sont maintenus à des niveaux bien inférieurs à leurs moyennes historiques. Il en est résulté une période prolongée de fortes performances, les investisseurs se montrant sensibles à l’attractivité des taux de portage offerts, sans risque important visible. Si les spreads se sont contractés, ils restent plus élevés que lors de périodes comparables de taux de défaut inférieurs à la moyenne.
L’allocation de high yield a donc constitué une option d’investissement attractive et les flux de capitaux en direction des fonds spécialisés en obligations et prêts high yield ont progressé de façon spectaculaire depuis 2009. Dans un tel contexte, les émissions ont rapidement progressé, les investisseurs moins réticents au risque étant attirés par les coupons élevés proposés.
Il convient par conséquent de se demander si les conditions de souscription tendent à s’assouplir du fait de la “course au rendement”. Pour déterminer si le volume des émissions est globalement devenu trop agressif, nous nous intéressons particulièrement aux éléments suivants :
-Le produit des émissions : est-il utilisé pour refinancer une dette ou à d’autres fins (augmentation des dépenses d’équipement, renforcement de l’activité d’acquisitions, hausse des dividendes) ?
-La combinaison des notations : le bilan des émissions évolue-t-il en faveur d’émetteurs moins bien notés (split B, CCC ou sans notation)?
-Le type de coupon : constate-t-on un accroissement du volume des émissions dont les coupons ne sont pas nécessairement payés en cash ou bénéficiant de diverses possibilités de différés de remboursement ?
-Les covenants (engagements contractuels insérés dans les contrats de prêts) : y a-t-il plus de prêts institutionnels émis sans “maintenance covenants” (engagements contractuels de respecter des limites d’endettement ou des ratios de couverture pendant toute la durée de vie du prêt) ?
-Les prêts de second rang : leur volume augmente-il en pourcentage du total des émissions ?
A la limite, la réponse à toutes ces questions est positive, mais il s’agit en réalité d’un “oui conditionnel”. Les conditions de souscription sont certainement plus souples qu’il y a deux ou trois ans, mais ceci doit être apprécié dans le contexte du taux de croissance exponentiel de ces dernières années.
Nos collègues sell-side de J.P. Morgan estiment que les émissions totales d’obligations high yield et de prêts à effet de levier pour l’ensemble de l’année 2013 va dépasser 1.000 milliards de dollars pour la première fois de tous les temps. Ce chiffre excède de 50% celui de 2012 et représente le double de celui atteint en 2007.
Ceci dit, les conditions actuelles des émissions sont tout à fait comparables aux tendances observées au cours de ces trois dernières années et bien moins agressives qu’au cours du pic de 2007.
A savoir :
-Utilisation du produit des émissions obligataires : depuis le début de l’année 2013, celle-ci est affectée à 58% au refinancement contre 60% pour la moyenne de ces trois dernières années. En 2006/2007 ce taux ressortait à seulement 37%.
-Combinaison des notations : les émissions affectées de la notation la plus basse représentent 19% du total depuis le début de l’année contre 18% au cours de la période 2010/2012 et plus de 36% en 2007.
-Les émissions de titres “PIK/deferred/toggle” (c’est à dire de titres de dettes remboursables in fine et dont les coupons ne sont pas payés cash) représentent enviro3 % du total des nouvelles émissions depuis le début de l’année, contre 2% en 2011-2012 et plus de 12% en 2007.
-Enfin, si le volume des émissions de prêts de second rang se rapproche du montant record en dollar atteint en 2006-2007 (27 milliards de dollars), celui-ci ne représente que 4 % du total des émissions de prêts depuis le début de l’année. En 2007, celui-ci était proche de 8 % du total des émissions.
L’exemple d’assouplissement des conditions de souscription le plus largement mis en avant concerne le volume des prêts à covenants allégés. A 268 milliards de dollars, ils représentent 37% du total des émissions de prêts institutionnels depuis le début de l’année, contre 100 milliards de dollars en 2012 (18% du total) et 99 milliards (26% du total) lors du pic du marché en 2007.
Si l’on souhaite voir les choses sous un angle positif, J.P. Morgan Securities relève que, à 4,9 %, le rendement moyen des prêts à covenants allégés de son indice des prêts institutionnels se situe à 113 pb en dessous du rendement moyen de la partie résiduelle sans allègement des covenants, dans la mesure où le marché perçoit ces noms comme présentant une meilleure qualité de crédit par rapport à l’univers des prêts pris collectivement. Néanmoins, la croissance rapide des prêts à covenants allégés – à la fois en valeur absolue et en pourcentage du total des émissions – devrait faire réfléchir les optimistes.
En supposant que nous convergions avec le consensus sur la justification des conditions actuelles de souscription, où pourraient donc résider les fragilités futures ? Un aspect des marchés du crédit passé relativement inaperçu réside dans la faiblesse de l’appétit des contreparties pour prendre des risques de marché. La règlementation a réduit la capacité des contreparties à absorber les flux de marché, même si les investisseurs attirés par le rendement décidaient de sortir en masse.
Les recherches menées par Citi montrent que la croissance des actifs chez les OPCVM et ETF spécialisés dans le crédit aux Etats-Unis au cours du boom du crédit pendant les années 2003-2007 a largement suivi le rythme de la croissance de la capacité de tenue de marché, mais, depuis lors, les deux tendances ont fortement divergé. En 2008, on a assisté à une dislocation massive, les teneurs de marché ayant été contraints de se désendetter et de réduire leurs encours de crédit. Cette situation pourrait-elle se reproduire ?
L’élément clé est la prime que les investisseurs sont prêts à accepter pour détenir un actif potentiellement illiquide. En ce moment, du fait des conditions actuelles favorables, la liquidité sur les marchés du crédit est forte et les investisseurs ont réduit la prime qu’ils exigent. Mais arrivé à un certain point, le cycle de crédit va se retourner et les conditions paraîtront moins attractives. Cela se produira lorsque les investisseurs seront testés dans tout l’univers du crédit.
Par anticipation, les investisseurs auraient intérêt à intégrer dans leurs calculs de la performance requise une hausse de la prime d’illiquidité et non prendre les rendements et les spreads actuels uniquement à leur valeur faciale. Nous avons déjà vu ce qui arrive au marché de la dette souveraine européenne lorsque le cycle de crédit se retourne. Les investisseurs ne devraient pas présumer que les périodes favorables, caractérisées par une forte liquidité sous-jacente, dureront éternellement.