Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Seamus Mac Gorain, gérant au sein du département obligataire de J.P.Morgan Asset Management.
Le Royaume-Uni a enregistré cette année le plus impressionnant redressement de sa croissance parmi les économies développées, tout comme le Japon. La différence est que le Japon a été clairement stimulé par les Abenomics, ce qui n’a pas été le cas du Royaume-Uni. Cette mini-renaissance repose-t-elle sur un soubassement solide ? La Banque d’Angleterre a parfois invoqué la prière bien connue de Saint-Augustin (“Seigneur, rends moi chaste, mais pas tout de suite”) pour décrire l’économie britannique, en espérant qu’un sursaut de la consommation ouvre la voie à une croissance plus pérenne ou plus “saine” grâce aux investissements des entreprises et aux exportations. Cette année a apporté ce rebond tant attendu des dépenses de consommation mais sa robustesse, reposant sur la transmission de la consommation vers les investissements, reste quelque part à l’horizon.
Malgré tout, les perspectives de croissance à court terme sont plutôt solides. Les enquêtes de conjoncture se rapprochent rapidement de leurs niveaux record. Les créations d’emploi progressent. Le marché du logement est porteur, à un point tel que les commentaires des analystes recommencent à évoquer l’idée d’une bulle et le prix des logements menace de nouveau de monopoliser les conversations dans les dîners en ville. Certes, la valorisation des logements est déjà tendue à Londres et tend à le devenir dans le reste du pays. Mais jusqu’à présent, les prix des logements sont soutenus par l’aide d’Etat aux primo-accédants et particulièrement par la faiblesse et le recul des taux des prêts hypothécaires, ce qui signifie que la charge d’intérêt des prêts immobiliers absorbe en réalité une part historiquement relativement basse du revenu des ménages.
C’est une indication du niveau de dépendance de l’économie envers le maintien des taux d’intérêt à un niveau faible pendant une longue période. Nous estimons que la Banque d’Angleterre est disposée à s’engager sur cette voie. Elle a défendu l’idée un certain temps que l’économie du Royaume-Uni fonctionne bien en dessous de sa capacité. La politique de “forward guidance” (pilotage des anticipations) lancée en grande pompe au cours de l’été a constitué une tentative pour définir ce message plus clairement, en indiquant que les taux courts resteraient à un niveau plancher aussi longtemps que le taux de chômage resterait supérieur à 7 %.
Mais ce message accommodant a rapidement porté à confusion du fait de la robustesse surprenante du marché du travail, le taux de chômage ayant désormais reculé à 7,6 %. A première vue, ceci pourrait se traduire par des hausses de taux d’intérêt dès l’an prochain. Mais il semble plus vraisemblable que la Banque d’Angleterre va essayer de remanier son message accommodant pour rester sur ses gardes, peut-être en se concentrant sur les mesures de sous-emploi comme le nombre de salariés à temps partiel ou même en réduisant le seuil de son taux de chômage cible, fixé à 7 %.
La récente modération de l’inflation lui confère une plus grande latitude pour le faire, du moins pour le moment. La Banque d’Angleterre a annoncé la semaine dernière qu’elle allait mettre fin l’an prochain à son dispositif de financement à bon marché des nouveaux prêts hypothécaires est un des premiers signes d’un resserrement de la politique monétaire par la voie de mesures réglementaires. Il s’agit d’un élément d’une évolution générale concordante de la politique monétaire et réglementaire, encore qu’il reste à vérifier avec quelle efficacité la régulation est en mesure de ralentir une économie en voie de raffermissement.
Tout comme aux Etats-Unis, la politique monétaire ultra-accommodante poursuivie au Royaume-Uni fait contrepoids à une austérité budgétaire pesante. A première vue, l’austérité budgétaire n’en n’est qu’à mi-parcours au Royaume-Uni et devrait constituer un frein pour l’économie au cours des années qui viennent. Mais, dans les faits, il est difficile d’imaginer ce que sera la politique budgétaire au-delà des élections de 2015. Et d’ici là, le gouvernement est susceptible d’utiliser l’amélioration de la situation budgétaire engendrée par le regain de croissance pour desserrer l’étau de l’austérité budgétaire, du moins dans une certain mesure. La présentation du budget la semaine dernière au cours de la session parlementaire automnale a pour l’essentiel été neutre, mais a inclus un certain nombre de modestes cadeaux bien ciblés, comme la gratuité des repas scolaires et des mesures pour réduire le poids des factures d’énergie. Le budget du printemps prochain offrira une bien plus grande latitude pour ce genre de mesures.
Ceci dit, le caractère expansionniste de la politique monétaire, la perspective d’une certaine modération de l’austérité, l’amélioration des conditions de financement des banques et le dynamisme du marché du logement sont autant de signaux annonçant le maintien d’une croissance soutenue à court terme. Les défis économiques à surmonter à moyen terme n’ont cependant pas disparu. Il s’agit de la faiblesse structurelle de l’investissement, même s’il n’est peut-être pas tout à fait aussi faible que les statistiques officielles le laissent supposer, la persistance du déficit de la balance courante et la faiblesse de la hausse des salaires qui suggère que la croissance de la consommation provient d’une réduction du taux d’épargne. Mais, pour le moment, ces problèmes n’occupent pas le devant de la scène.
Le sursaut de la croissance au Royaume-Uni n’a pas eu une forte répercussion sur le FTSE qui ne présente pas une forte sensibilité à l’évolution de l’économie domestique, mais plutôt sur les obligations et sur la monnaie. Le Sterling a réalisé un solide parcours depuis l’été en enregistrant une progression de près de 6 % en termes réels mais, depuis son recul de 30 % au tout début de la crise financière, il reste à un niveau historique relativement bas et dispose d’un potentiel de progression. Les Gilts (obligations d’Etat britanniques) ont sous-performé cette année à un point tel que leur rendement est désormais devenu historiquement attractif par rapport à des alternatives comme le Bund allemand. Mais il est difficile d’envisager un renversement prochain de cette tendance récente alors que l’économie du Royaume-Uni surperforme par rapport à la zone euro à un niveau record depuis une décennie, le très faible niveau de l’inflation mettant la pression sur une BCE réticente à accentuer sa politique d’assouplissement monétaire.