Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Yves Bonzon, directeur des investissements de Pictet.
Mi-janvier, nous entrerons dans l’ère Janet Yellen, qui sera à la tête de la Réserve fédérale.
Sa nomination a rassuré les investisseurs, qui voient en elle l’assurance d’une continuité dans la politique monétaire poursuivie par la première banque centrale de la planète. L’indice Dow Jones, au plus haut de tous les temps, à plus de 16 000 points au moment de la rédaction de ces lignes, reflète cette confiance dans le maintien d’une politique monétaire accommodante.
Dès ses débuts en 2009, nous avons soutenu dans ces colonnes les mesures de politique monétaire non conventionnelles, déployées aux Etats-Unis sous l’égide de Ben Bernanke. Les cassandres qui prévoyaient une explosion imminente de l’inflation ont d’ailleurs été déboutés par les faits.
Cinq ans et plusieurs volets de QE (Quantitative Easing ou assouplissement quantitatif) plus tard, l’inflation américaine a continué de baisser ces derniers trimestres, se situant actuellement nettement sous les 2%. Face à ce constat, certains relèvent dès lors que, malgré l’impression de près de 2000 milliards de dollars par l’institut d’émission, le chômage demeure élevé après cinq ans de reprise et par rapport aux cycles économiques d’Aprèsguerre.
Mais cette critique procède d’une logique incorrecte. Elle n’envisage pas les conséquences de l’alternative qui eût consisté à ne pas pratiquer l’assouplissement quantitatif. Dans ce scénario, le taux de chômage atteindrait sans doute deux chiffres et non 7,3% de la population active comme actuellement.
Contrairement aux investisseurs qui sont tranquillisés par la continuité assurée à la tête de la Réserve fédérale, nous pensons que nous entrons dans une nouvelle phase critique pour la politique monétaire américaine. Nous atteignons en effet le point à partir duquel les effets indésirables des achats de titres par la banque centrale pourraient commencer à l’emporter sur les effets positifs. A cela, nous voyons deux raisons. Premièrement, le fait de maintenir les taux d’intérêt proches de zéro trop longtemps pourrait conduire à une mauvaise allocation structurelle du capital, qui affaiblirait le potentiel de croissance à long terme de l’économie. On peut craindre que de nombreux projets d’investissement soient décidés, alors qu’ils ne seraient pas viables avec un coût du capital plus exigeant.
Deuxièmement, les primes de risque des actifs financiers se sont considérablement réduites sous l’effet de la hausse du prix des actifs mobiliers. C’était d’ailleurs intentionnel, la stimulation monétaire se transmettant notamment par la «réparation» des bilans privés, via la hausse du prix des actifs.
Une des conséquences de ce phénomène est que les investisseurs grimpent toujours plus haut sur la courbe de risque, en quête désespérée de rendements. Des signes de surchauffe et d’excès sont d’ailleurs déjà évidents sur les marchés des obligations d’entreprise (crédit). De plus, une poursuite de la hausse des actifs les plus risqués, actions en tête, va relativement vite nous amener à un point où les investisseurs ne seront plus récompensés par une rentabilité attendue suffisante pour assumer les risques encourus. Finalement, l’effet concret sur la demande intérieure américaine d’une hausse supplémentaire des marchés tend à ce stade vers zéro.
Madame Yellen prend donc les rênes de la Réserve fédérale à un moment charnière. Le QE a produit les effets escomptés, mais il va devenir rapidement inefficace. En sortir va exiger énormément de doigté pour ne pas affoler les marchés. Et plus cette sortie sera repoussée, plus son exécution s’avérera délicate. L’année 2014 s’annonce donc plus mouvementée que 2013.