Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe les contributions externes d'experts. Le texte suivant a été rédigé par Véronique Riches-Flores, de RFResearch.
Le scénario d’une réappréciation du dollar qui, depuis plus d’un an ressort des prévisions du consensus, a subi un nouveau revers ces dernières semaines. Non seulement la devise américaine est restée très affaiblie mais elle a recommencé à se déprécier à l’égard de la grande majorité des devises du reste du monde, y compris un certain nombre de devises émergentes ces derniers jours.
Selon l’indice ICE, le billet vert ne serait, ainsi, guère plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était durant la période du « shutdown » du mois d’octobre et donc guère éloigné de ses plus bas niveaux enregistrés depuis deux ans, ceci malgré les bonnes nouvelles récentes sur la situation conjoncturelle américaine et la montée des anticipations sur un possible « tapering » de la Fed.
Comment l’expliquer ? Nous voyons plusieurs raisons à cette situation.
La première concerne la réalité de la relation entre les écarts de croissance et le taux de change dans le cas présent.
En temps normal, le creusement d’un différentiel de croissance peut se révéler favorable à la devise du pays le mieux positionné, essentiellement par le jeu de deux mécanismes : une amélioration du différentiel de productivité, susceptible de drainer des capitaux étrangers sur les marchés locaux, et l’anticipation simultanée d’un différentiel de taux d’intérêt plus attractif, allant normalement de pair avec la première hypothèse.
Or, aucun de ces critères ne semble aujourd’hui en place dans le cas américain :
- la croissance de la productivité des entreprises américaines n’est toujours rétablie, -0,3 % en glissement annuel au deuxième trimestre,
- après une année de dopage aux injections de liquidités de la Fed, le marché des actions américaines est déjà très cher -à 19 fois les bénéfices- pour être attractif,
- enfin, l’éventualité d’un « tapering », sans perspective de hausse des taux directeurs de la Fed, ne permet pas de remplir la seconde hypothèse.
L’argument selon lequel l’amélioration des perspectives de croissance serait favorable au dollar est donc bancal et, en définitive, assez peu défendable, tout au moins tant que la Fed parviendra à empêcher la formation d’anticipations de hausse de ses taux directeurs, tâche sur laquelle elle semble concentrer toute son énergie ces dernières semaines.
La seconde raison vient de la déception relative à un possible assouplissement supplémentaire de la politique de la BCE. Après s’être quelque peu emballées ces dernières semaines, les anticipations sur une action possible de la BCE ont été déçues par le communiqué du dernier comité de politique monétaire. S’il ne fait que peu de doutes que la BCE devra faire davantage pour prévenir une nouvelle crise en zone euro, il est assez évident, en revanche, qu’une éventuelle action prendra du temps, sans doute beaucoup plus de temps que ne l’avait escompté le marché ces dernières semaines.
La complexité du processus de décision sur une éventuelle action supplémentaire de la BCE et l’incertitude quant à sa forme définitive ne permettent guère de « pricer » cette hypothèse avant d’en savoir plus. L’euro est donc livré à lui-même, ou plus exactement à la persistance du biais déflationniste de la politique économique en zone euro qui préside à son appréciation tendancielle.
La troisième raison vient des effets induits de la politique de la Fed sur la valeur de la devise. User de la planche à billets, comme elle l’a fait, c’est-à-dire à hauteur de trois trillions de dollars (15 % du PIB américain) depuis 2008, n’a aucune raison de soutenir le cours du dollar, bien au contraire. Alors que ces dollars ont jusqu’à présent faiblement circulé dans la sphère économique réelle, l’anticipation d’un « tapering » et celle, implicite, d’une normalisation des conditions de financement de l’économie, sont cohérentes avec le scénario d’une meilleure circulation de ce stock de dollars, en d’autres termes, d’une augmentation du risque de perte de pouvoir d’achat du billet vert auquel conduit naturellement la politique quantitative.
Au total, quoiqu’il en soit de la décision de la Fed la semaine prochaine, le dollar a probablement assez peu de chances de s’apprécier dans un avenir proche. Une telle situation est assurément critique pour le reste du monde, la zone euro en particulier. Les cycles du dollar ont souvent été une force de distribution de la croissance des États-Unis vers le reste du monde par le passé. En l’absence de réappréciation du billet vert c’est une partie de l’effet d’entrainement de la croissance américaine vers la zone euro qui disparaît. Il y a là une raison supplémentaire pour que la BCE trouve le moyen d’agir.