Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management.
Le début d’une nouvelle année est une bonne opportunité pour méditer, remettre les choses en perspective et réfléchir aux interrogations majeures que suscitent les marchés. C’est donc avec un grand intérêt que nous avons rencontré cette semaine l’un de nos collègues particulièrement avisé.
On ne s’étonnera pas d’un investisseur aussi aguerri qu’il formule trois des questions cruciales se posant cette année : les actions sont-elles devenues chères ; la reprise va-t-elle se poursuivre en Europe ; un réveil des marchés émergents est-il imminent.
On trouvera ci-dessous notre analyse sur l’Europe et sur les valorisations. Pour ce qui concerne les marchés émergents, nous estimons que s’ils constituent le moyen habituel pour miser sur la ré-accélération de la croissance mondiale, une combinaison d’expositions sur les Etats-Unis, l’Europe et le Japon offre une meilleure et plus sûre façon de miser sur le redémarrage mondial actuel — scénario que nous allons approfondir dans de futures éditions.
Le phénix européen renaît de ses cendres. L’une des évolutions récentes les plus marquantes est le resserrement spectaculaire des spreads des obligations périphériques par rapport au Bund allemand. Depuis Noël, les spreads italiens se sont resserrés de 30 points de base (pb) et les spreads espagnols de 40pb. L’obligation d’Etat italienne à 10 ans procure un rendement de 3,88 %, son niveau le plus faible depuis sept mois.
L’une des raisons de cette évolution provient probablement d’une inversion des opérations de window-dressing menées par les banques européennes sur leur bilan de fin d’année, pour s’assurer que leurs comptes au 31 décembre présentent une combinaison d’actifs pondérés du risque appropriée pour satisfaire au passage au crible de l’AQR (Asset Quality Review ou revue de la qualité des actifs des banques par la BCE).
Le début de la nouvelle année a provoqué un retournement de tendance, avec une brusque augmentation des achats de dette périphérique et une importante compression des spreads. Celui-ci a aussi contribué à la forte hausse des actions des pays périphériques.
Si les prises de position de fin d’année en prévision de l’AQR ne sont probablement qu’un facteur provisoire, d’autres raisons incitent à se montrer plus positifs sur les marchés d’actions européennes dans leur ensemble.
Les signes de reprise de l’activité économique se multiplient, les données PMI de la zone témoignant d’une nouvelle progression de l’activité. Les données PMI agrégées de la zone euro suggèrent une expansion modérée, alors que la croissance de la production industrielle s’est accélérée dans toute la zone euro – la France (jusqu’à présent retardataire) donnant elle-même des signes de fermeté. Les ventes de détail ont progressé, les indicateurs de confiance économique enregistrant une brusque augmentation. La confiance des dirigeants politiques a également progressé, le président de la Commission européenne Manuel Barroso déclarant que la crise était désormais derrière nous.
Espérons qu’il ne s’agit pas d’une simple fanfaronnade susceptible de se transformer en un défi insurmontable. Les estimations de bénéfices du consensus prévoient une croissance de 13,5 % pour 2014, contre -3,5 % en 2013, à comparer à des chiffres de respectivement 5,9 % et 9,9 % pour les Etats-Unis.
En effet, parmi les marchés d’actions mondiaux les plus importants, l’Europe hors Royaume-Uni enregistre le rythme de croissance des bénéfices le plus élevé pour les douze prochains mois. Ceci ne s’est pas encore reflété dans les révisions à la hausse, qui accusent un certain retard, mais un tournant se profile.
La particularité qui stimule le scénario européen est de nature politique. Il est clair que la BCE se trouve quelque peu en porte-à-faux, à en juger par la conférence de presse de son président Mario Draghi après la dernière réunion de politique monétaire ayant décidé de maintenir inchangés les taux d’intérêt.
La difficulté est que l’inflation, à 0,8 % en glissement annuel, est très largement inférieure à l’objectif de 2 % de la BCE. Contrairement à la position de Barroso, Draghi a indiqué que cette politique pourrait être assouplie, déclarant qu’il était trop tôt pour se prononcer sur la fin de la crise de l’euro et que la reprise de la zone euro était fragile. Ceci pourrait se traduire par l’annonce de la mise en place d’un nouveau LTRO (opération de refinancement à long terme) ou par une baisse du taux de rémunération des dépôts des banques.
Contrairement à ce que peuvent penser de la zone euro les prophètes de l’apocalypse, la combinaison entre une reprise fragile, des craintes de déflation et une banque centrale névralgique constitue un cocktail attractif pour les investisseurs en actions. Le déterminant de marché fondamental est la croissance nominale du PIB, actuellement facteur essentiel de la solvabilité budgétaire après la période de forte austérité de ces trois ou quatre dernières années.
Les craintes de déflation suscitent des inquiétudes sur la solvabilité budgétaire, incitant la BCE à envisager un nouvel assouplissement monétaire. Un tournant dans le cycle des bénéfices, un rapport de force peu favorable au monde du travail et une impulsion au niveau de la politique monétaire constituent des éléments favorables aux actions. Le scénario européen pour les marchés d’actions va probablement se refléter dans le cycle économique de la zone euro, même si la croissance du PIB de la zone présente une corrélation directe limitée avec les bénéfices des entreprises du fait de l’importante contribution des bénéfices réalisés à l’extérieur de la région.
Tout retournement du rythme de l’économie pourrait de nouveau raviver les inquiétudes sur la solvabilité budgétaire, mais jusqu’à présent l’Europe semble bien être un moyen attractif de miser sur la réaccélération de l’économie mondiale.
Pourquoi les actions pourraient encore ne pas être trop chères. Nous avons le sentiment que le désaccord sur une éventuelle surévaluation des actions tient en grande partie à l’instrument de mesure que l’on utilise. Ignorant jusqu’à présent les valorisations des actions par rapport aux obligations, ce qui préoccupe le plus vraisemblablement les investisseurs à l’heure actuelle est l’observation du seul ratio cours/bénéfices (PER) par rapport à son évolution historique.
En fonction de la durée de l’historique examiné, sur la base de cet instrument de mesure, la plupart des marchés d’actions semblent désormais se situer à des niveaux de valorisation correspondant à leurs moyennes historiques, voire légèrement supérieures. L’indice MSCI World Developed indique par exemple un PER de 17,9x actuellement, contre une moyenne de 17,7x depuis 1972 (et paraîtrait encore moins cher sur un historique plus court).
Nous estimons cependant que nous avons précisément atteint le point bas d’un cycle de croissance des bénéfices — l’un des moments au cours desquels les ratios simple P/E peuvent être moins significatifs. Quand on éprouve des doutes sur le “E” du PER, il est de bon aloi d’observer l’évolution des ratios P/B (price-to-book ou cours/valeur comptable) à titre de recoupement, dans la mesure où les valeurs comptables sont bien plus stables que les bénéfices.
Le résultat est tout à fait rassurant, les valorisations des actions aux Etats-Unis se situant approximativement à leur moyenne de long terme, tandis que les valorisations des marchés européens et émergents évoluent légèrement en dessous de leur moyenne, dans une fourchette de 10 à 15 points de pourcentage.
Globalement, on peut considérer que les valorisations des actions sont proche de leur moyenne, avec de possibles poches de décote, en Europe et sur les marchés émergents. Nous serions cependant en présence d’un marché d’actions haussier tout à fait atypique s’il devait se stabiliser à sa valorisation moyenne historique sans incursion marquée en territoire supérieur à la moyenne.
Ceci dit, avec la hausse des rendements obligataires, nous éprouvons une certaine réticence à endosser l’idée d’une nouvelle hausse des multiples de PER au-delà de leur niveau actuel. Néanmoins, avec un redressement du cycle des bénéfices qui devrait permettre de constater leur croissance dans une fourchette de 10 à 15 % dans la plupart des régions en 2014, il ne semble pas excessif d’envisager que les actions affichent de solides progressions même avec des multiples inchangés.