Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management. Les inter-titres ont été rajoutés par Morningstar.
Au cours de ces dernières semaines, des signes de tension ont commencé à agiter le système financier chinois. Le symptôme le plus probant est la volatilité qui s’est emparée des marchés interbancaires, sur lesquels le taux de pension livrée à sept jours sur la bourse de Shanghai a dépassé 10 % à plusieurs reprises ce mois-ci (les taux des bons du Trésor à trois mois sont par contre actuellement autour de 4 % ; il n’existe pas de taux directeur officiel).
Cela peut en partie être mis sur le compte du resserrement habituel de la liquidité qui se produit chaque année à l’approche du Nouvel An Chinois. Mais c’est également symptomatique des difficultés croissantes de la Banque Populaire de Chine à contrôler un secteur financier qui connaît une croissance et une évolution rapides.
Des inquiétudes de nature systémique ont été alimentées par la crainte d’un risque croissant de défaut sur les produits fiduciaires élaborés par le shadow banking (système bancaire parallèle).
L’opacité du secteur suscite le doute sur la localisation des vrais risques et sur leur éventuelle interconnexion. La faiblesse du système financier chinois sera-t-elle le talon d’Achille de l’économie mondiale en 2014?
Retour en arrière
Revenons tout d’abord au contexte. Jusqu’en 2008, le risque du système financier en Chine n’avait pas suscité d’inquiétude particulière. Eu égard à la taille et à la complexité de son économie, l’endettement était faible et le crédit difficile à obtenir.
Malgré l’importance du taux de croissance du PIB nominal au cours de la période antérieure à la crise financière mondiale, les ratios dette/PIB avaient réellement reculé, le rythme de croissance de la production étant supérieur à celui du crédit.
Mais tout ceci a changé en 2008 lorsque les dirigeants politiques se sont tournés vers les sources de la demande intérieure (principalement l’investissement) pour compenser les effets de la crise du crédit au niveau mondial.
Pour faciliter cette évolution, le ratio dette/PIB de la Chine est passé de 150 % à 240 % du PIB dans les cinq années qui ont suivi 2008, avec une croissance annuelle moyenne du crédit supérieure à 30 % au cours de cette période.
Enseignements de l'histoire
L’histoire montre que les progressions fulgurantes du crédit d’une telle intensité ne se terminent jamais bien.
Morgan Stanley a identifié 33 périodes de croissance extrême du crédit au cours des 50 dernières années, au cours desquelles l’écart de crédit – c’est à dire l’augmentation du crédit au secteur privé exprimée en proportion de la production – sur une période de cinq ans a dépassé 40 points de pourcentage.
Sur ces 33 occurrences, 22 pays ont souffert d’une crise du crédit au cours des cinq années suivantes et tous ont enregistré un fort ralentissement de la croissance de leur PIB.
L’augmentation de 70 points de pourcentage du ratio dette/PIB de la Chine entre 2008 et 2012 (suivie d’une nouvelle progression de 8 points de pourcentage en 2013) se situe à l’extrémité haute de la fourchette de ces exemples. La gestion des conséquences d’une croissance aussi exceptionnelle du crédit ne sera pas chose facile.
"Shadow Banking"
Malheureusement, ce n’est pas seulement l’ampleur de la progression, la localisation de sa concentration qui va préoccuper les dirigeants politiques. Avant 2008, le shadow banking était quasiment inexistant en Chine.
Depuis fin 2010, Standard and Poor’s estime que le secteur a enregistré une croissance bien supérieure à 30 % par an, principalement du fait des arbitrages réglementaires. Les restrictions pesant sur le secteur bancaire traditionnel (du fait des augmentations successives des ratios de réserves obligatoires, du plafonnement des taux de dépôt, etc..) ont encouragé les acteurs du marché à rechercher des opportunités plus rentables en dehors du secteur bancaire officiel.
Cette évolution a été en partie bénéfique dans la mesure où elle a permis au crédit d’irriguer des secteurs (petites et moyennes entreprises par exemple) délaissés par les banques traditionnelles. Mais elle a aussi introduit une forte dose d’opacité dans le système, susceptible d’augmenter les risques systémiques.
Credit Equals Gold No. 1
Ceci nous amène au produit fiduciaire Credit Equals Gold No. 1. Pour les privilégiés invités à y souscrire en 2011 (et seuls les plus aisés pouvaient se le permettre – le montant minimum des souscriptions étant fixé à l’équivalent de 500 000 USD), le produit offrait un rendement annuel de 10 %.
A l’époque, le plafond officiel du taux de rémunération des dépôts ressortait à 3 %, de telle sorte que, sans surprise, le produit a suscité l’enthousiasme. Ce qui était moins clair était le niveau de risque que les investisseurs supportaient en investissant dans un tel produit.
Il n’existe pas actuellement en Chine de système officiel de garantie des dépôts bancaires, mais on suppose généralement que les dépôts – en fait, tous les produits financiers distribués par les banques réglementées – sont implicitement garantis.
Si un évènement de crédit survient, les investisseurs seront indemnisés. Par conséquent, les investisseurs finaux se sont montrés indifférents aux risques inhérents à ce type de produits. S’il est possible d’obtenir un rendement de 10 % sans risque, pourquoi ne pas y aller ?
Inquiétude des pouvoirs publics
Les pouvoirs publics reconnaissent que la quasi-absence de risque de défaut est devenue une source majeure de distorsion. En même temps, ils s’inquiètent de l’impact qu’aurait tout défaut sur la liquidité sous-jacente.
Les investisseurs sont-ils susceptibles de se retirer de tous les produits issus du shadow banking, quelle que soit leur qualité de crédit sous-jacente ? Ceci pourrait-il faire courir à tout le secteur un risque de crédit, lié à la liquidité ? Quelles sont les connections et conséquences possibles pour le reste du système financier ? Personne ne le sait réellement.
Mais dans le cas du produit Credit Equals Gold No. 1, les autorités ont hésité puis forcé la main des diverses parties prenantes (y compris la société fiduciaire qui a conçu le produit, la banque qui l’a distribué et les autorités provinciales) pour permettre aux porteurs de parts du fonds d’obtenir le remboursement de leurs parts au pair, évitant ainsi un défaut technique.
Risque de défaut
C’est évidemment rassurant à court terme, et les taux interbancaires se sont normalisés. Mais, en raison du volume des produits émanant de ce type de fonds, qui arrivent à échéance au cours du premier semestre 2014, les autorités chinoises se sont contentées de botter en touche. La question n’est pas de savoir si un défaut pourrait survenir sur un produit fiduciaire en 2014, mais quand.
Du fait de la rapide croissance du fardeau de la dette, de l’opacité du secteur du shadow banking et d’une avalanche de produits fiduciaires et de gestion d’actifs d’une origine incertaine qui arrivent à échéance cette année, tous les ingrédients sont réunis pour que perdure la tension qui pèse sur le système financier.
Tant qu’il ne sera pas clair qu’un désendettement organisé du système financier puisse s’accomplir, les marchés financiers chinois vont vraisemblablement osciller entre des niveaux plus ou moins élevés de tension. Nous estimons que les inquiétudes qu’a fait naître le système financier en Chine constituent l’un des risques potentiels majeurs de l’année 2014. Nous allons étroitement surveiller son évolution tout au long de l’année.