Sur le papier, les offres de reprise de SFR, la filiale de téléphonie mobile de Vivendi, par Bouygues et Numericable sont relativement proches.
Jeudi, le marché a toutefois montré qu’il avait l’air de préférer l’offre de Bouygues, mêmes si depuis le 24 février dernier, le parcours des différents opérateurs télécoms français est quelque peu irrégulier.
Source: Morningstar.
Les analystes financiers qui suivent le secteur sont plus perplexes que les investisseurs.
Risque anticoncurrentiel
La crainte qui revient de manière récurrente chez les courtiers est le degré de concentration lié à la réunion des numéros deux et trois de la téléphonie mobile en France.
« Le régulateur a déjà indiqué qu’il ne permettrait pas un rapprochement entre Iliad et l’un des trois autres opérateurs. S’il ne permet pas au plus petit des acteurs de fusionner avec l’un de ses rivaux, nous ne voyons pas comment il permettra que le deuxième et le troisième fusionnent », note Allan Nichols de Morningstar.
« Les investisseurs surestiment le poids du gouvernement dans la décision », estiment vendredi Vincent Maulay et Alexandre Iatrides d'Oddo Securities dans une note. « La baisse de Numericable nous semble sévère car l’offre de Numericable sur SFR garde ses chances selon nous : moins risqué pour Vivendi de retenir cette offre qui a l’avantage de recevoir beaucoup plus facilement le feu vert du régulateur », ajoutent-ils.
« En offrant à Vivendi une participation de 46% dans le nouvel ensemble, Bouygues tente de rendre son offre plus attrayante, estiment les analystes de Citi. Toutefois, compte tenu de la difficulté d’obtenir un feu vert des autorités de la concurrence sans des concessions qui limiteront les synergies attendues, nous avons du mal à avoir en quoi il serait tentant pour Vivendi de renoncer à l’offre de Numericable et de tenter sa chance avec Bouygues à la place. »
La question centrale des synergies
Peu après l’annonce par Bouygues d’un chiffre de 10 milliards d’euros de synergies, Numericable a réagi en en promettant 12 milliards (alors qu’initialement, c’est plutôt un chiffre de 8 milliards qui avait circulé).
Pour plusieurs brokers, l’expérience montre que le potentiel de création de valeur et de synergies est souvent en-deçà des espoirs des sociétés engagées dans de lourdes procédures de rapprochement.
« Industriellement crédible » selon Natixis, l’opération de rapprochement est « techniquement difficile ». « Si Bouygues Tel devait fusionner avec SFR, scénario auquel nous croyons peu, les synergies annoncées seraient créatrices de valeur. L’exemple de la fusion Orange UK avec T-Mobile UK invite à la prudence quant à la réalité des chiffres annoncés hier. »
« Les synergies représentent 11% de la base de coûts cash de l’ensemble. Cela se compare avec les 10% de la fusion Telefonica Deutschland-EPlus et nous semble ambitieux au regard des demandes du gouvernement de préserver l’emploi et les investissements », estime-t-on chez UBS.
Une opération risquée
Au final, ce rapprochement, s’il peut faire sens au plan industriel, est hautement risqué et pourrait même être peu créateur de valeur.
Kepler Cheuvreux qualifie de « deal défensif » et estime que le prix proposé par Bouygues est relativement cher payé. « Sur la base du chiffre de 10 milliards d’euros de synergies, le groupe dégagerait un maigre 7% de rentabilité du capital employé (7,6% en incluant la valeur des économies de coûts en matière d’investissement) », estime Josep Pujal dans une note.
Exane BNP Paribas juge « faible » la probabilité que Vivendi privilégie Bouygues Tel à Numericable. « Choisir Bouygues revient à prendre un énorme risque anticoncurrentiel. Numericable finira sans doute par relever son offre, mais dans l’ensemble, nous pensons qu’il l’emportera », estime Antoine Pradayrol dans une note.
La pire des options pour Bouygues n’est pas non plus à écarter : celle d’une sortie du marché des télécommunications dans de mauvaises conditions. Une hypothèse évoquée par CM-CIC Securities : « Nous estimons que ce projet a deux chances sur trois d’aboutir mais, en cas d’échec, Bouygues pourrait être contraint de céder Bouygues Telecom dans de mauvaises conditions », écrit Jean-Michel Köster dans une note.