Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management.
Lorsque nous nous sommes intéressés aux obligations high yield (haut rendement) en novembre dernier, nous avions remarqué à quel point cette classe d’actif avait profité de la conjonction d’une croissance lente mais solide, d’une amélioration de la rentabilité des entreprises et d’une gestion prudente des bilans.
Depuis la restauration de l’accès aux marchés de capitaux, après leur dislocation en 2008/09, les émetteurs ont réussi à se refinancer à des taux toujours plus bas et à proroger leurs échéanciers d’amortissement bien au-delà de 2016.
La volatilité de la croissance étant faible, le comportement des entreprises est resté prudent et les défauts de paiement cantonnés à un niveau minimum. Il en est résulté une période prolongée de solides performances du fait que les investisseurs ont bénéficié des hauts niveaux de portage des intérêts et d’une compression importante des spreads, sans beaucoup de signes de risque visibles.
Au cours de ces trois dernières années, la volatilité annualisée est tombée à environ un quart de celle des actions, alors que les performances annualisées ne sont inférieures que d’environ un point de pourcentage (9,3% par an contre 10,4 %).
Investir dans les obligations high yield a été un choix naturel
Le courant porteur favorisant cette classe d’actif poursuit son cours en 2014, comme le montre l’évolution de l’indice JPMorgan Global High Yield Bond, en hausse de 2,7 % depuis le début de l’année.
Mais, dans le même temps, l’aspect valorisation s’est substantiellement érodé. Il y a quatre ans, le rendement actuariel moyen minimal et le spread moyen minimal sur l’indice JPMorgan étaient respectivement de 8,97 % et 683 pb. Aujourd’hui, les mêmes niveaux de rendement et de spread sont de 5,57 % et 443 pb.
Enfin, les investisseurs ne bénéficieront pas à l’avenir de performances comparables à celles dont ils ont bénéficié dans un passé récent.
Quid des risques ?
Le risque principal de tout instrument de crédit est celui du défaut de paiement et, sur ce plan, dans un avenir prévisible, les tendances sont encourageantes.
Si l’on remonte au milieu des années 1980, le taux de défaut moyen à long terme de cette classe d’actif ressort à 3,9 %. Fin février, le taux de défaut tendanciel à 12 mois était inférieur à 0,7 %. En intégrant une croissance encore raisonnable des bénéfices, des ratios de couverture des intérêts solides et une hausse modeste de l’endettement, nos collègues de J.P. Morgan Securities estiment que le taux de défaut ne devrait pas dépasser 2 % d’ici à fin 2015.
Etant donné l’optimisme actuel sur la faiblesse du niveau des défauts, il n’est pas surprenant que les spreads soient tombés sous leurs moyennes de long terme.
Les coupons high yield ont été trop attractifs pour laisser passer une telle opportunité dans un univers présentant un aussi faible niveau de risque de crédit.
Dans ce contexte d’accès facile aux marchés de capitaux, les investisseurs doivent également faire face au risque de dégradation des pratiques de souscription.
En novembre 2013, nous avions examiné trois critères de mesure de la qualité des souscriptions :
-Comment est utilisé le produit des émissions ? Pour refinancer de manière prudente les échéances de dette existante ? Ou pour une mener une activité plus agressive liée à une acquisition ?
-L’univers des émissions penche-t-il en faveur de titres moins bien notés ?
-Constate-t-on une croissance du volume des émissions sous la forme d’obligations PIK (remboursables autrement qu’en liquidités) ou d’autres titres à remboursements différés ?
Les enseignements à retirer de ces trois indicateurs restent mitigés. En premier lieu, en pourcentage du total des émissions lancées depuis le début de l’année, 44 % des émetteurs en ont utilisé le produit pour refinancer leur endettement, alors que 24 % ont levé des fonds pour financer des acquisitions et des opérations de LBO.
Au cours des trois dernières années, les moyennes respectives ont été proches de 57 % et 19 %. A première vue, ces chiffres suggèrent une plus grande agressivité dans l’utilisation du produit des émissions.
Mais en prenant un peu plus de recul, les moyennes équivalentes au cours des trois années antérieures à la crise financière mondiale de 2008 atteignaient respectivement 38 % et 45 %. Si le produit des émissions d’obligations high yield est peut-être utilisé de manière plus agressive, nous restons assez éloigné des niveaux antérieurs à la crise.
En second lieu, depuis le début de l’année, seules un peu plus de 18% des émissions ont été réalisées par des émetteurs de qualité inférieure (notés B ou CCC ou sans notation attribuée par une agence). La moyenne de long terme, établie depuis 1995, ressort à 16,1 %, de telle sorte que, de nouveau, on peut considérer ce chiffre comme un signal d’alerte.
Ceci dit, ce niveau est en ligne avec la moyenne des trois dernières années (légèrement supérieure à 17 %) et inférieure de cinq points de pourcentage à la moyenne des trois années antérieures à 2008.
Troisièmement, l’émission d’obligations PIK/cash deferred/toggle (avec possibilités de remboursement autrement qu’en liquidités/différé d’amortissement/report du paiement des intérêts) représente un modeste pourcentage de 0,7 % des émissions totales.
Au cours de ces trois dernières années, l’émission de ce type de titres s’est élevée en moyenne à environ 2,2 % du total des émissions. En 2007, lors du pic du cycle de crédit précédent, le pourcentage équivalent atteignait près de 13 % des émissions totales.
Au vu de ces indicateurs, les pratiques de souscription ne peuvent être considérées comme ayant subi une dégradation notable. La progression des émissions consacrées au financement d’activités autres que le refinancement de la dette suscite certainement quelques interrogations ; cependant, étant donné la persistance de flux encore solides vers les fonds high yield malgré les niveaux actuels de rendement/spread, il semble que les tendances des souscriptions actuelles en matière de qualité se maintiennent correctement.
Où pourraient se situer d’éventuelles fragilités ?
L’un des aspects des marchés du crédit qui a relativement peu attiré l’attention est la réduction de l’appétit des contreparties pour assumer un risque de marché.
Conçues pour réduire l’endettement des institutions financières de taille systémique, les réglementations ont réduit la capacité des contreparties à absorber les flux du marché, au cas où les investisseurs attirés par le rendement décideraient de sortir en masse.
La croissance des actifs au cours du boom du crédit de 2003/07 a largement suivi le rythme avec la croissance de la capacité des teneurs de marché, mais depuis, les deux tendances ont divergé.
En 2008 il s’est produit une dislocation massive : les teneurs de marché se sont retrouvés contraints de réduire leurs encours de crédit et de se focaliser sur la réduction de leur endettement.
Le même phénomène pourrait-il se reproduire ?
Une question clé émerge : celle de la prime de risque que les investisseurs sont disposés à accepter en contrepartie de la détention d’un actif potentiellement illiquide.
Pour le moment, en raison des conditions actuelles favorables, la liquidité des marchés du crédit est forte et les investisseurs ont réduit l’importance de la prime de risque exigée.
Mais il arrivera un moment où le cycle de crédit se retournera et où les conditions apparaitront moins attractives. Cela se produira lorsque la confiance dans l’univers du crédit sera testée.
Par anticipation, les investisseurs devraient chercher à intégrer une hausse de la prime d’illiquidité et non pas se contenter des rendements et des spreads actuels à leur valeur nominale.