Pouvez-vous rappeler comment vous gérez votre fonds ?
Notre fonds est spécialisé sur l’univers des technologies de l’information. Nous y recherchons des sociétés qui sont capables de profiter d’événements comme l’émergence de nouvelles technologies ou des phases de rupture, qui sont généralement des moments où se crée beaucoup de valeur sur le plan industriel et boursier.
Pour trouver de telles histoires, nous analysons en permanence l’industrie dans son ensemble, à la recherche des inflexions technologiques majeures. La difficulté est de faire la distinction entre les « fausses ruptures », souvent vendues comme des phénomènes majeurs, et les ruptures plus profondes, souvent de dimension mondiale, puis d'analyser en profondeur la chaîne de la valeur pour déterminer où investir en priorité.
S'il faut bien comprendre ce que fait une technologie (et ce qu'elle ne fait pas), le plus important est de déterminer son degré tranformationnel, c'est à dire la capacité d'une nouvelle technologie à réinventer une industrie traditionnelle en apportant un service radicalement nouveau.
Par exemple, LinkedIn est une société qui a pour ambition de ré-imaginer un processus vieux comme le monde, le recrutement. LinkedIn peut être ainsi vue comme une énorme base de données, mise à jour gratuitement par les utilisateurs, dans laquelle les entreprises viennent piocher des profils pertinents, en payant ce service. Un potentiel de croissance considérable, très peu d'acteurs et une barrière à l'entrée qui ne fait qu'augmenter dans le temps.
Lorsque l’on a bien identifié les thèmes vraiment porteurs, nous nous focalisons sur la qualité des modèles économiques, du management, de la gouvernance et faisons plus un travail de sélection de titre.
Quels profils de sociétés recherchez-vous ?
Notre approche se concentre sur différents profils de sociétés, qui nous permettent de chercher une certaine diversification du fonds.
La première poche est constituée des sociétés d’hypercroissance, celles dont la croissance du chiffre d’affaires dépasse 25% par an. Généralement, on observe une corrélation importante entre la croissance des ventes et le cours de Bourse, avec des titres comme Amazon, Salesforce.com ou Tencent.
On observe au passage qu’il n’y a pas de bulle sur ces valeurs, car pour ces sociétés, l’envolée du cours de Bourse a été moins rapide que celle de l’activité. Cette situation se distingue du début des années 2000, quand les cours de Bourse progressaient bien plus vite que l’activité des sociétés.
Il est également important de ne pas se tromper du potentiel de certaines activités, car ces sociétés d’hypercroissance sont souvent très chères et il faut être prêt à payer pour cette croissance.
Les autres poches du fond sont constituées de sociétés dont la croissance est moins rapide, que nous pouvons valoriser par la méthode des « discounted cash flows ».
Pensez-vous malgré tout qu’il y a une bulle sur les valeurs Internet ?
Nous pensons qu’il ne faut pas appréhender ces valeurs de façon « classique » et que de notre point de vue, la valorisation de nombreuses valeurs Internet est en ligne avec l’évolution de leur chiffre d’affaires.
Certaines sociétés, comme Qualcomm ou TSMC (un fabricant de semi-conducteurs et un fondeur, NDLR), ont investi massivement ces dernières années pour occuper une position dominante dans l’univers du mobile. Un pari qui s’est avéré payant, puisque Qualcomm, parti de la technologie 2G CDMA (cantonnée à quelques pays), a pris 50% du marché des puces 3G pour téléphones mobiles, voire 90% pour la technologie LTE.
Amazon investit massivement certes mais le résultat est un chiffre d'affaires qui a été multiplié par 27 en treize ans. Son directeur général, Jeff Bezos, est tout à la fois un visionnaire, capable de réinventer la société en permanence, tout en faisant en sorte que l'exécution soit sans faille.
Que pensez-vous du rachat de WhatsApp par Facebook ?
Facebook dispose d’un important potentiel de monétisation de sa base installée (1,2 milliard d’utilisateurs), et commence à profiter d’une remontée des tarifs auprès des annonceurs.
En rachetant Instagram, le groupe a préempté l’émergence d’une application centrale des usagers de Facebook, qui était le partage de photos sur mobile.
Ils sont en train de faire la même chose dans le domaine de la messagerie. Mais à notre avis, le rachat de WhatsApp va plus loin, puisqu’il s’agit plus du rachat d’une plate-forme polyvalente – il ne s’agit pas uniquement d’une application de discussion instantanée (chat) sur mobile. A terme, il sera possible de téléphoner à un correspondant.
D’autres sociétés proposent des services similaires comme WeChat (Tencent), Line (Naver), Viber (Rakuten) ou Skype (Microsoft). Au-delà de la messagerie, WeChat est révélateur du potentiel de monétisation d'une plate-forme de messagerie sur mobile. WeChat se déploie ainsi massivement dans le paiement sur mobile en Chine.
Au final, le rachat de WhatsApp permet à Facebook de préempter l’émergence d’une technologie qui aurait pu être concurrente de leur plate-forme. Maintenant, le vrai défi est de parvenir à garder les personnes clefs de l’entreprise et à l’intégrer correctement.
On notera que cet opportunisme et cette capacité d'anticiper a profité à d’autres acteurs, comme Google qui a su au bon moment racheter Youtube, puis Android et rester incontournable, là où elle aurait pu se contenter de "gérer" son fonds de commerce de la recherche sur PC et, au final, finir marginalisée par l'explosion des réseaux sociaux et du mobile.
Quelles sont à votre avis les technologies/services les plus prometteurs aujourd’hui ?
Le thème de la mobilité reste très porteur à mon avis.
Celui du commerce électronique est également à surveiller de près. Internet change la donne dans de nombreux domaines d’activité. Son impact commence d'ailleurs à se faire véritablement ressentir sur le métier de bon nombre de commerçants, comme le montre les fermetures, massives dans certains cas, de boutiques: RadioShack, Staples aux Etats-Unis, Virgin en France.
L'économie de partage se développe aussi rapidement comme le montre la percée de sociétés telles que Blablacar (covoiturage), Uber, LeCab (voitures avec chauffeur), Airbnb (appartements)...
De manière générale, c'est toute l'économie qui devient numérique, un processus transformationnel d'une ampleur considérable et sans vraie limite. En clair, un thème d'investissement incontournable.