Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe les contributions externes d'experts. Le texte suivant a été rédigé par Véronique Riches-Flores, de RFResearch.
Depuis le début du tapering de la Fed en janvier, les taux de rendement des T-bonds américains à 10 ans ont baissé de 25 points de base, les taux espagnols de même échéance ont reflué de près de 80 pb, ceux de l'Italie de 65 pb et ceux de l'Allemagne de 30 pb.
Même la mauvaise surprise du dernier FOMC de mercredi n’a eu qu’un effet marginal sur les taux à 10 ans américains qui ont terminé la journée d’hier à 2,77 %, soit le même niveau qu’une dizaine de jours auparavant.
L'ensemble est bien éloigné du schéma généralement anticipé des conséquences du changement de politique de la Reserve Fédérale américaine dont le consensus attendait qu’il provoque une remontée significative des taux longs dans le monde occidental.
Comment expliquer que tel ne soit pas le cas et quel message en retenir ?
Des tentatives de justification le plus souvent avancées aucune ne parvient à véritablement convaincre, revenons sur les principales d’entre elles :
-Le tapering est déjà dans les prix des obligations car largement anticipé depuis le printemps 2013. De fait les taux à 10 ans se sont significativement tendus entre leur point bas à 1,70 % de début mai et le FOMC du mois de septembre de l’année dernière, quand le rendement était monté à quasiment 3 %. Si une partie de la correction est donc d’ores et déjà dans les cours présents celle-ci semble loin d’être suffisante au regard des prévisions sur la croissance économique américaine, anticipée par la Fed, comme par le consensus, aux alentours de 4,5% à horizon 2015 et 2016. Hors mesure exceptionnelle, en effet, les taux longs n’ont aucune raison de diverger significativement du taux de croissance de l’économie.
-Le tapering de la Fed rassure sur les perspectives américaines et induit de facto des entrées de capitaux favorables aux marchés obligataires. L'argument serait plus convaincant si le dollar s'appréciait. Or, celui-ci a tendance à faire tout l'inverse, notamment à l'égard des devises des pays les plus friands de Treasuries.
Par ailleurs, les données officielles de flux d'actifs entre les États-Unis et le reste du monde ne révèlent pas de mouvement particulier d'achats d'obligations ces derniers mois. Là encore, l'explication, sans doute valable pendant quelques jours, ne convainc guère sur la durée.
-Reste enfin l'argument selon lequel, à 35 milliards de dollars, les achats de T-bonds par la Fed restent très conséquents au regard de la baisse tendancielle du déficit fédéral et de celle des besoins de financement du Trésor américain. Si tel était le cas néanmoins, la détermination de la Fed dans son exercice de tapering devrait faire anticiper un changement plus radical du niveau des taux de financement que ne reflètent pas les tendances actuelles du marché.
L’explication est donc ailleurs, peut-être tout simplement dans le fait que les marchés n’achètent pas le scénario de la Fed.
C’est en tout cas, à notre sens, l’explication la plus convaincante et la seule susceptible d’expliquer la persistance de taux réels fortement négatifs à 2 et 5 ans, qui plus est déclinants depuis le début de l’année.
La Fed retire un certain confort de la situation. En l’absence de tensions sur les taux, l’exercice de tapering s’en trouve facilité. Une telle situation est toutefois source de risques significatifs.
Car de deux choses l’une :
-soit les doutes actuels sur l’état de santé de l’économie américaine sont effectivement levés avec le printemps, et la confirmation sera alors donnée que les intempéries étaient les seules explications aux déceptions récentes,
-soit ils ne le sont pas et la Fed sera en porte-à-faux, conduite à réviser ses annonces et anticipations.
Aucun de ces scénarios n’est véritablement rassurant. Le premier risque d’occasionner une correction brutale du niveau des taux d’intérêt et de fragiliser la stratégie de tapering de la Fed. Le second, que nous privilégions, signifie que la Fed ferait fausse route.
Bonne nouvelle pour les marchés obligataires qui ferait sans doute refluer le niveau des taux, il s’agirait d’un revers susceptible de nuire durablement à la crédibilité de la banque centrale américaine…