Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management.
Les anticipations d’un assouplissement quantitatif (QE ou quantitative easing) à l’initiative de la Banque centrale européenne (BCE) ont pris de la consistance au cours de ces dernières semaines : un récent recensement des opinions des plus importantes équipes de recherche sell-side a révélé que 9 d’entre elles sur 13 prédisaient un QE dès cette année ou le début de l’an prochain.
La raison de cette évolution est la déception suscitée par la faiblesse du niveau de l’inflation en zone euro depuis désormais plusieurs mois consécutifs, même si la croissance économique a poursuivi sa progression : le chiffre de l’inflation headline en mars, 0,5 % en variation annuelle, a été le plus faible enregistré depuis la récession de 2009.
On peut se demander si les marchés (et les investisseurs) ont déjà réellement intégré dans les cours le QE attendu en zone euro : la monnaie unique reste ferme à environ 1,38 USD, soit près de 4 % au-dessus de la moyenne de 2013.
Dans le domaine des actions, si l’Europe continentale a été cette année l’une des régions les plus performantes, avec une progression d’environ 2,7 % depuis le 1er janvier, celle-ci n’a rien de spectaculaire.
Sur le plan des taux, le spread entre le rendement du bon du Trésor américain (US) à 10 ans et celui de son équivalent allemand n’a progressé que d’un peu plus de 10 points de base (pb) depuis le début de l’année.
Une zone dans laquelle le QE est sans doute intégré dans les cours – tout au moins dans une certaine mesure – est la périphérie de la zone euro pour ce qui concerne les obligations d’Etat puisque leur spread avec les pays core continue à tutoyer de nouveaux records de baisse depuis la crise, les rendements y étant proches de leur plus bas historiques.
Problème : le QE en zone euro est censé avoir pour objectif le traitement simultané de plusieurs défis, les trois plus importants étant de : 1) stimuler l’inflation (et les anticipations qui en découlent), 2) faire baisser le taux de change de l’euro, 3) dynamiser la croissance du crédit.
Du fait de cette diversité d’objectifs, un débat animé prend actuellement de l’ampleur quant au calendrier, à la forme et à l’importance du QE de la zone euro.
A notre humble avis, nous prévoyons un QE plutôt tardif que précoce, dans la mesure où les chiffres de la croissance au cours des mois qui viennent devraient se raffermir. Ce n’est qu’en cas de déceptions répétées sur le niveau de l’inflation réelle par rapport aux prévisions de la BCE – malgré l’amélioration de la croissance – que celle-ci serait incitée à faire démarrer son dispositif de QE.
Même dans cette hypothèse, il est probable qu’elle essayera d’abord une série d’autres mesures, telles que le désormais tristement célèbre taux de dépôt négatif. Ceci dit, à la lumière de récents effets de base défavorables et de plusieurs facteurs spécifiques affectant négativement les chiffres de mars, les prévisions d’inflation pour le mois d’avril publiés cette semaine évoquent un rebond de 0,8 % en variation annuelle – sachant que toute déception significative sur ce chiffre serait susceptible d’accroître la pression sur la BCE.
Ce qui n’a pas autant attiré l’attention est la raison pour laquelle la BCE se retrouve dans sa difficile situation actuelle. Pourquoi l’inflation s’obstinerait-elle à stagner, malgré la reprise de la croissance dans la zone euro ? Ce problème tient essentiellement à l’incertitude qui plane sur le niveau réel du slack (insuffisance du taux d’utilisation des capacités de production) dans l’économie de la zone euro.
Dans une certaine mesure, ceci fait pendant au débat sur le slack [détente, NDLR] du marché de l’emploi dans l’économie américaine, sur lequel nous nous sommes exprimés il y a quelques semaines. S’il existe un slack plus important dans l’économie que ne le pense la BCE, il est logique que celle-ci soit susceptible d’être surprise par le manque de réaction inflationniste alors que la croissance se redresse.
En termes pratiques, ceci peut être résumé en une question : la hausse du chômage de ces dernières années a-t-elle un caractère cyclique et donc réversible au moment où l’activité reprend, ou est-elle structurelle et par conséquent non réversible ? Pour illustrer cette interrogation avec quelques chiffres, on peut rappeler que la Commission européenne a estimé pour 2013 à -3 % l’écart de production de la zone euro (c’est à dire que le PIB est estimé inférieur de 3 % à son potentiel si le niveau de chômage était à son niveau normal). Ce genre de chiffre est notoirement difficile à calculer mais certaines estimations provenant d’économistes du secteur privé plus sceptiques le situent autour de 6 % et peut-être même 8 %.
Le risque est que les chiffres “officiels” soient fondés sur une vision plutôt étroite de la détérioration probable du potentiel économique. Par exemple, les chiffres de la Communauté européenne indiquent un taux de chômage naturel en Espagne de 23,2 % en 2013 (contre 11,7 % en 2007), et de 12,9 % en Irlande (contre 6,0 % en 2007), pour ne citer que deux exemples !
Quant à déterminer s’il s’agit d’une question de méthodologie ou si d’autres raisons justifient l’évident manque de réalisme de ces chiffres – nous ne souhaitons pas spéculer sur ce point.
Il est clair que, même sur la base des estimations relativement conservatrices du secteur “officiel”, le slack se situe à un niveau record depuis 20 ans, de telle sorte que le risque inflationniste semblerait orienté à la baisse.
Dans combien de temps les “mauvaises nouvelles” sur l’inflation en zone euro vont-elles devenir de bonnes nouvelles pour les marchés d’actions, puisqu’ils en sont à anticiper leur prochain positionnement monétaire ?