Charles Chuck de Lardemelle, CFA est l’un des cofondateurs de la société IVA Global Funds à New-York, qui gérait 20,3 milliards de dollars au 31 mars 2014. Il répond à quelques questions au sujet de son investissement dans Berkshire Hathaway. L’entretien par téléphone a été relu et amendé par l’interviewé.
Pourquoi êtes-vous investi dans Berkshire Hathaway ?
« Nous sommes actionnaires de Berkshire Hathaway (BRK) depuis l’origine d’IVA Global SICAV en août 2009, considérant que le titre présentait alors une décote importante par rapport à notre objectif de cours.
Bien que fortement réduite depuis, cette décote reste suffisante aujourd’hui, de l’ordre de 10 à 15%, pour conserver nos titres.
Nous estimons aujourd’hui la valeur intrinsèque de la société à 225.000 dollars environ, objectif qui reflète à la fois la capacité bénéficiaire des « Powerhouse 5 » (Lubrizol, Iscar, Marmon Group, la compagnie ferroviaire Burlington Northern Santa Fe et les utilities), des différentes activités industrielles, de service et de distribution, de l’activité d’assurance, et la contribution du float : ce que génère les portefeuilles de titres (obligations, actions préférentielles, warrants…) et notamment son portefeuille d’actions. »
Qu’est-ce qui distingue Berkshire Hathaway de vos autres investissements ?
« Plusieurs éléments surprenants dans le cas de Berkshire Hathaway. Tout d’abord, le titre présente toujours une décote par rapport à sa valeur intrinsèque, malgré sa grande liquidité et la qualité du management et des actifs. Nous considérons que BRK constitue un titre de fonds de portefeuille pour le long terme.
Ce qui est aussi surprenant, c’est que la plupart des sociétés de plus de 100 milliards de dollars de capitalisation boursière ont souvent une part significative de leur activité hors des Etats-Unis. Or, approximativement 85% de la valeur intrinsèque de BRK est aux Etats-Unis.
Si j’avais une critique à formuler, c’est que Warren Buffett n’a pas suffisamment cherché à trouver des sociétés de qualité en Europe ou en Asie, alors qu’il en existe de nombreuses.
Il y a en Europe des sociétés familiales, de qualité, qui ont une philosophie proche de celle de Buffett. Etonnamment, je ne suis pas sûr que beaucoup de ces familles aient le réflexe d’appeler Warren Buffett pour lui vendre des actifs.
Enfin, Warren Buffett place une grande foi dans les politiciens américains : une part importante des activités de BRK est dans le ferroviaire et les utilities, deux secteurs fortement réglementés. Il prend donc un risque qui pourrait poser problème si un jour l’inflation revenait. Dans ce cas, le régulateur pourrait intervenir pour empêcher des hausses de prix… »
Pensez-vous que la succession de Buffett et Munger pose un risque pour le titre ?
« La question de sa succession est centrale pour l’avenir du titre. Il semble que le sujet soit plutôt bien bordé, puis que le conseil d’administration a mis en place un process pour trouver un successeur et qu’une liste de noms est prête. »
Pourquoi si peu d’investisseurs partagent-ils la philosophie de Buffett ?
« Je pense que Buffett a des qualités que peu d’investisseurs ont. Même s’il est quelqu’un de très jovial, il est capable de contrôler ses émotions lorsqu’il réalise un investissement. Il fait preuve d’une grande capacité de synthèse et sait déterminer les quelques informations clefs qui sont les moteurs de la valeur d’une entreprise. Enfin, il jouit de l’absence d’une pression institutionnelle. Faire du value investing, c’est souvent prendre un risque de carrière : Buffett peut investir dans une entreprise qui est totalement délaissée et aller à l’encontre du marché. »
Pouvez-vous décrire brièvement votre process d’investissement chez IVA ?
« Nous cherchons à acheter des titres « cheap and safe », c’est-à-dire bon marché avec un bilan solide. Nous sommes très prudents dans notre allocation et nous nous focalisons sur la valeur absolue des actifs, pas sur leur valeur relative. Enfin, en matière de stock picking, nous cherchons à appliquer les principes de Warren Buffett avec une approche mondiale. »
On entend beaucoup parler de bulles sur un certain nombre de classes d’actifs, comme le haut rendement ou les obligations convertibles. Quelle est votre avis ?
« On ne voit pas de bulle pour l’instant. Pour qu’il y ait une bulle il faut une croissance importante du crédit. Ce n’est pas encore le cas aux Etats-Unis, au Japon ou en Europe. En revanche, il y a des excès dans certains marchés émergents, comme le Brésil, l’Indonésie, l’Inde. La Chine est confrontée à une bulle de crédit et une mauvaise allocation du capital très claire, mais le pays dispose des ressources de changes nécessaires pour gérer les problèmes de son système financier. »
Pourtant, vous détenez beaucoup de liquidités. Pourquoi ?
« Nous avons 35% de cash dans le fonds car nous estimons que les prix des actifs financiers sont manipulés par les banquiers centraux. Comme notre approche est centrée sur la valeur absolue des actifs, cette intrusion des banquiers centraux nous gêne et complique notre travail. S’exposer aux marchés aujourd’hui, c’est prendre des risques pour être assez peu rémunéré aujourd’hui. »