Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management.
L’énigme des rendements obligataires
L’une des prises de position jusqu’à présent les plus pénalisantes cette année aura été d’opter pour une duration courte sur le marché obligataire des Etats-Unis.
Les rendements du bon du Trésor américain à 10 ans ont reculé de 50 points de base (pb) pour se replier à leur niveau actuel de 2,52%, alors que la courbe des taux des Etats-Unis (rendements des obligations de 2 à 10 ans) s’est aplatie dans des proportions comparables.
Il s’agit là d’une étrange chorégraphie si l’on garde en mémoire le fait qu’en règle générale l’aplatissement de la courbe des taux intervient au début d’une période de resserrement monétaire initié par la Réserve fédérale plutôt qu’avec 12 mois d’avance sur son calendrier prévisible.
Les obligations américaines ont été les dernières d’une série d’opérations du consensus à mordre la poussière, tout comme la surpondération des portefeuilles en actions japonaises et les positions longues sur le dollar US.
Mais cette évolution spectaculaire des rendements résulte-t-elle simplement de la liquidation de positions ou recèle-t-elle un phénomène plus inquiétant ?
Plusieurs explications peuvent être avancées pour l’expliquer :
• des craintes sur la croissance;
• des inquiétudes sur la déflation, comme le soulignent les commentaires suscités par la zone euro;
• le fait que la baisse des rendements aux Etats-Unis n’est qu’une évolution en ligne avec le recul général des rendements;
• le recul du rendement d’équilibre;
• l’explication par les flux (le marché était vendeur de bons du Trésor et a couvert ses positions).
La première observation qui s’impose est que les obligations sont très surachetées, avec des rendements à 10 ans qui atteignent un point extrême à 2,50%. Les valorisations semblent très optimistes : les rendements à 10 ans sont inférieurs d’environ 50 pb au niveau qu’implique la courbe des taux à terme.
En effet, le nombre de jours qui nous séparent du début du resserrement anticipé de la politique monétaire de la Réserve fédérale, pris en compte par les contrats à terme sur le marché monétaire, suggère que les rendements à 10 ans devraient être plus proches de 3,00% que de 2,50%.
On a constaté un découplage des marchés obligataires et des marchés d’actions au cours de ces dernières semaines, avec un transfert des valeurs de croissance vers les valeurs de rendement, accompagné par la surperformance des marchés émergents.
Dans le passé, il s’est révélé périlleux de miser contre les marchés obligataires lorsqu’il existait un décrochage par rapport aux autres classes d’actifs (l’exemple de l’année 2007 vient immédiatement à l’esprit).
La difficulté cette fois-ci est que les marchés semblent réagir aux données "headline" (affectées par les conditions climatiques) sur la croissance, plutôt que de prendre en considération la récente modération conjoncturelle.
L’accès de faiblesse des statistiques avait été signalé par notre indicateur de croissance mondiale, qui a fait état d’un fort recul de l’activité. Ailleurs, alors qu’un analyste sell-side a montré que son indicateur de croissance était en train de plafonner, son indicateur de momentum de la croissance a, quant à lui, fortement reculé.
Malgré ces avertissements, nous adhérons toujours à notre thèse d’une ré-accélération de l’activité aux Etats-Unis et au niveau mondial. Il est difficile de déceler les prémices d’une déflation mondiale à l’examen des statistiques récentes. Il est exact que l’inflation en zone euro s’est inscrite dans une tendance baissière depuis 2011, marquée seulement par une récente progression suggérant un tournant décisif possible, mais ce dernier est loin d’être établi.
Par contraste cependant, les statistiques américaines et japonaises suggèrent que l’inflation pourrait progresser. Dans une perspective de marché, notre instrument de mesure et d’alerte de la déflation, constitué de trois séries de données de marché, se positionne dans une zone normale.
Parmi les composants de ces séries statistiques, si les points morts d’inflation se sont quelque peu infléchis, les prix des matières premières ont fortement progressé, ce qui suggère un éloignement de la menace déflationniste.
L’explication, selon nous la plus plausible, est celle de l’évolution des flux. On remarque que le consensus était vendeur de bons du Trésor américain à 10 ans à la fin de l’année dernière. Ceci s’est reflété dans les chiffres de la CFTC sur les positions spéculatives nettes, qui ont été prorogées.
Rétrospectivement, il n’est donc pas surprenant que la solution de facilité pour les rendements ait été celle d’un recul, en raison de statistiques macro-économiques décevantes. Ce positionnement extrême a fait l’objet d’une correction, les positions courtes en duration ayant été liquidées pour laisser place à un marché plus sain. De plus, les statistiques de surprise économique ont atteint un plancher et ont commencé à remonter.
La périphérie de la zone euro
La semaine dernière, les marchés obligataires périphériques de la zone euro ont été mis sous pression, avec une progression de 40 pb des spreads italiens et de 30 pb des spreads espagnols.
Dans une certaine mesure, cette évolution reflète un mouvement de réduction des risques de la part des investisseurs obligataires, au cours duquel les opérations de carry trade impliquant des surpondérations sur la périphérie par rapport aux bons du Trésor américain ont été dénouées.
Ce brutal élargissement des spreads pourrait être dû à des facteurs techniques relatifs aux marchés obligataires américains, mais la raison fondamentale réside dans les mauvaises statistiques économiques concernant la croissance en zone euro ainsi que dans une rumeur (plus tard démentie) selon laquelle la Grèce aurait l’intention d’imposer une taxation des plus-values en capital sur la détention de ses obligations souveraines.
Les données sur le PIB réel ont été contrastées en zone euro, avec des chiffres allemands et espagnols solides, mais faibles pour l’Italie. Le PIB italien réel s’est contracté de 0,5 % en variation annuelle et, du fait du niveau très faible de l’inflation, ce chiffre traduit une probable stagnation du PIB nominal.
Cette situation contraste avec les prévisions les plus récentes du FMI pour l’Italie, qui tablaient sur une croissance du PIB nominal de 1,7 % en 2014 et sur un déficit budgétaire de 2,7 % du PIB, supposé porter le ratio dette/PIB à un pic de 134,5 % en 2014, avant de reculer jusqu’à 2019.
Ces éléments mettent en évidence le talon d’Achille de la zone euro : le risque que la périphérie évolue, soit vers la déflation, soit vers un calage de sa croissance. Un dérapage de l’un des facteurs moteur de la croissance du PIB nominal ferait peser une menace sur la solvabilité budgétaire et pourrait générer un nouvel élargissement des spreads.
Nous observons attentivement les indicateurs avancés, en restant à l’affût de tout signe de retournement. Mais, en attendant, nous continuons à considérer sous un jour favorable les marchés obligataires périphériques et pressentons une nouvelle contraction des rendements et des spreads.
Le temps est venu de faire une pause
Le célèbre investisseur macro-économique Jim Rogers a déclaré, au cours d’une de ses interventions qui ont marqué les esprits, que les investisseurs éprouvent trop souvent le besoin de réaliser des allers et retours sur les marchés.
Il précisait également que “la plupart du temps, les investisseurs feraient mieux de ne rien faire. Il serait plus judicieux pour eux de regarder par la fenêtre ou d’aller à la plage.”
De fait, votre honorable correspondant s’est retrouvé dans une situation similaire la semaine dernière lors d’un séjour au Moyen-Orient, agrémenté d’une vue panoramique sur la mer, mais en ne disposant malheureusement pas de temps libre à consacrer à la plage.
Il est bien trop facile de se montrer réactif sur les marchés, dans le contexte des mouvements brutaux au sein des classes d’actifs constatés jusqu’à présent cette année – entre les styles d’actions, entre les marchés émergents et les marchés développés ou au sein des marchés obligataires périphériques.
On observe que la volatilité a été considérable au sein même des marchés et l’on peut facilement perdre de vue le fait que la volatilité du niveau des indices a été très faible, les actions américaines parvenant à leurs plus hauts historiques.