Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Yves Bonzon, directeur des investissements de Pictet.
Le moins que l’on puisse dire est que le redressement de l’euro et des marchés européens depuis l’été 2012 est d’autant plus spectaculaire qu’il a pour toile de fond un contexte conjoncturel toujours aussi maussade dans les pays de la région.
Emblématique du phénomène, le rendement des obligations souveraines italiennes à 10 ans s’affiche à un point bas absolu record de 3,09%, alors que l’encours de la dette de l’Etat vole de record en record.
Cette évolution récente, à laquelle s’ajoute la force de l’euro, plonge dans une profonde perplexité plus d’un observateur tant il semble difficile de réconcilier marchés et fondamentaux.
La baisse des rendements des emprunts d’Etat semble traduire une confiance de plus en plus forte dans la capacité des gouvernements européens à assurer le service de leur dette sans accident. Et ce malgré une trajectoire d’accroissement des passifs qui n’est pas soutenable à terme sans reprise durable de la croissance du PIB nominal.
Certes, l’impact de la baisse des rendements sur le coût de refinancement de la dette actuel n’est pas négligeable. En Italie, avec un ratio dette/PIB de plus de 130%, une baisse de 3% des taux de refinancement se traduit potentiellement par une réduction du coût du service de la dette de 4 points de PIB sur le refinancement total de l’encours des obligations de l’Etat. Les efforts budgétaires nécessaires, et surtout leurs effets récessifs sur la conjoncture correspondant à une diminution équivalente du déficit primaire, sont impensables.
Paradoxalement, malgré cette amélioration inespérée des conditions monétaires dans la périphérie européenne, les discussions autour de l’option pour la banque centrale de procéder à son tour à un programme d’assouplissement quantitatif (QE) se font de plus en plus pressantes.
Le motif de cette urgence croissante réside dans la forme olympique affichée par la devise européenne, qui flirte à nouveau avec la barre des 1,40 par rapport au dollar américain.
Dans un contexte de pressions sur les devises émergentes, où même la Chine a laissé glisser le yuan pour la première fois de près de 4% face au dollar, les craintes de déflation avérée dans la zone euro ne cessent de s’accroître. Récemment, le président du conseil de la BCE, Mario Draghi, évoquait ainsi pour la première fois le rôle du taux de change dans la politique monétaire et l’éventualité d’un QE européen pour y faire face.
Ce discours cache une attitude ambigüe. La banque centrale ne semble pas vraiment vouloir prendre des mesures de politique non conventionnelle, mais cherche à calmer la force de sa devise par des interventions verbales dans l’espoir que cela suffise - jusqu’à ce que la parité euro/dollar évolue plus favorablement, dès le moment où son homologue américaine aura terminé son propre QE et où les investisseurs commenceront à refléter dans la valeur du dollar la perspective des premières hausses de taux américaines.
La BCE est donc engagée dans une course contre la montre. Il se peut que la dépréciation souhaitée de l’euro se résolve par la politique de la Réserve fédérale, causant un renforcement du dollar.
Néanmoins, le timing de ce décollage est otage de la reprise américaine. Répéter le tour de force du Whatever it takes de 2012 par lequel Mario Draghi avait stabilisé l’euro sans devoir «dépenser» un seul risque paraît plus délicat cette fois.