Dette et croissance
Le premier chapitre du dernier rapport annuel de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), institution financière qui chapeaute les banques centrales du monde, dresse un constat sévère 7 ans après le début de la crise financière globale et les difficultés auxquelles de nombreux pays développés sont encore aujourd’hui confrontés.
« Les causes du malaise consécutif à la crise sont en grande partie celles de la crise elle-même : elles résident dans un manque général de maîtrise du cycle financier. Pour y remédier, il faut ajuster les cadres dans lesquels s’inscrivent les politiques budgétaires, monétaires et prudentielles, afin d’apporter une réponse plus symétrique dans les phases d’expansion et de contraction. Et il faut renoncer à faire de la dette le moteur principal de la croissance », relève l’institution.
Elle estime de surcroît qu’en se focalisant sur le cycle économique, d’une durée moyenne de 8 ans, plutôt que sur le cycle financier, qui évolue en moyenne sur une durée de 15-20 ans, les dirigeants politiques se trompent de cible.
Un cycle économique classique dure 8 ans environ. « C’est l’horizon de référence pour la majeure partie de la politique macroéconomique, et celui qui nourrit l’impatience des décideurs face à lenteur de la reprise économique, et celui qu’on examine attentivement pour savoir dans quel délai la production devrait retrouver son niveau normal ou combien de temps on pourrait dévier de cette tendance. »
Cycle financier et économique
Or, cet horizon de temps est trop court selon la BRI. « Les fluctuations financières qui peuvent déboucher sur des crises bancaires comme la dernière en date s’étalent sur des durées bien plus longues que les cycles économiques », soutient l’institution – elle évoque une période de 15 à 20 ans en moyenne.
C’est donc bien à la recherche d’une nouvelle boussole de la conduite des affaires économiques qu’appelle la BRI, sans toutefois aller jusqu’à demander une remise en question du cadre théorique sur lequel s’appuient les politiques économiques actuelles.
« L’économie mondiale a affiché de nombreux signes encourageants ces douze derniers mois, mais il serait imprudent de penser qu’elle a surmonté son désarroi consécutif à la crise. La perspective d’un retour à une croissance durable et équilibrée semble sans cesse repoussée », note la BRI.
« Les nouvelles sources de risque liés à la rapide expansion des marchés financiers méritent à ce titre une attention particulière », ajoute-t-elle. Un propos qui a précédé de quelques jours (le rapport a été mis en ligne le 29 juin) les commentaires de Janet Yellen (le 3 juillet) sur l’émergence de bulles financières.
Eléments de constat
La reprise est bien engagée depuis 12 mois, mais elle est « plus lente et poussive » par rapport aux cycles économiques normaux.
Les pays développés ont subi un fléchissement tendanciel de leurs gains de productivité sur le long terme. Les pays émergents sont confrontés à un problème démographique.
L’inflation pose encore problème dans plusieurs pays émergents ; elle est restée basse dans les pays développés, avec toutefois un risque de déflation marqué en particulier dans la zone euro.
Les marchés financiers ont été « exubérants (…) essentiellement en réaction aux mesures prises par les banques centrales. » « De toute évidence, les intervenants de marché n’intègrent pratiquement aucun risque dans les valorisations. »
La BRI s’inquiète également des niveaux d’endettement qui restent élevés dans certains pays, ainsi que de « l’étroitesse de la marge de manœuvre sur le front des politiques macroéconomiques. »
Récession de bilan
Si elle reconnaît que les mesures prises immédiatement après la faillite de Lehman Brothers et l’entrée en dépression de l’économie mondiale ont permis d’éviter le pire, la BRI note toutefois que la récession observée en 2008-2009 « n’était pas une récession typique de l’après-guerre (…) [mais] était une récession de bilan, associée à la phase de contraction du cycle financier démesuré. »
Une récession de bilan, un phénomène décrit dans le détail par l’économiste Richard Koo (auteur d’un livre référent sur le sujet), est « très couteuse » et réagit « moins aux mesures traditionnelles de gestion de la demande. » Mais le phénomène n’a pas affecté tous les pays de la même manière. Certains pays ont été affectés plus profondément que d’autres.
Mesures à prendre
Il n’en demeure pas moins que pour la BRI un certain nombre de risques demeurent, en particulier un niveau d’endettement élevé dans certains pays, une remontée du prix des actifs (dont l’immobilier) et une dépendance aux flux de capitaux mondiaux (cas des pays émergents).
L’institution estime que parmi les principales réponses en termes de politiques publiques, la poursuite de l’assainissement des bilans, notamment dans le secteur bancaire, doit se poursuivre. « Après une récession de bilan, l’allocation judicieuse du crédit compte davantage que son montant global », note-t-elle.
A cela s’ajoute la conduite de réformes structurelles « ciblées » : celles-ci doivent permettre de redresser les taux de croissance de la productivité, en particulier dans les pays où la démographie est chancelante, mais également s’attaquer à la « déréglementation des secteurs protégés », « l’amélioration de la flexibilité du marché du travail, l’augmentation des taux d’activité et la réduction de l’hypertrophie du secteur public. »
Dépendance à la politique monétaire
La BRI estime enfin que si des politiques monétaires accommodantes étaient justifiées depuis 2007, « on a beaucoup trop compté sur [elles] après la crise. »
Tout en relevant l’impact « certain » de politiques de taux proches de zéro sur le prix des actifs financiers, les politiques monétaires accommodantes « ont aussi des limites évidentes et une efficacité décroissante. »
« Le risque est que, à la longue, la politique monétaire perde en efficacité tandis que ses effets secondaires se multiplient. » Parmi ces effets, un retard des ajustements de bilans, voire une détérioration de la santé financières des établissements de crédit ou une incitation à mener une mauvaise allocation du capital vers des projets trop risqués.
Constat évident de ces limites : « la croissance a déçu alors même que les marchés financiers flambaient : la chaîne de transmission paraît gravement endommagée. » Depuis plusieurs années, l’espoir d’un redémarrage de l’investissement productif est contrecarré et les interrogations sur la solidité de la reprise économique reviennent de manière périodique.