Rose Ouahba, responsable de l'équipe obligations chez Carmignac Gestion, revient la situation de stress sur les marchés jeudi 10 juillet et sur le positionnement obligataire de Carmignac Patrimoine. L'entretien a été relu et amendé.
Comment analysez-vous la chute des marchés aujourd’hui et le fait que le 10 ans allemand est passé sous les 1,20% ?
Nous assistons à un mouvement classique de fuite vers la qualité face à un stress de marché. Banco Espirito Santo est au cœur d’un problème de gouvernance. Son titre a été suspendu et le secteur bancaire européen plonge de près de 3%.
En même temps, on a eu de nouveaux indicateurs macro-économiques (production industrielle en France et en Italie) qui pointent une décélération de l’activité en Europe, ce qui pourrait amener à la BCE à réagir.
Comment expliquez-vous la baisse des taux longs américains depuis le début de l’année, alors que le consensus fin 2013 pariait plutôt sur une remontée des taux ?
C’est une surprise. On pensait que le mouvement de baisse en début d’année était lié à des facteurs météorologiques. Mais depuis, se posent des questions sur la pérennité du cycle de croissance aux Etats-Unis : l’investissement ne montre pas de signes de reprise. La consommation pourrait s’essouffler car les revenus réels sont orientés à la baisse. Ce sont deux facteurs à surveiller pour savoir si la croissance parviendra à dépasser le potentiel.
Il y a un autre sujet d’inquiétude sur l’inflation. Elle devrait monter vers 2,8% aux Etats-Unis à l’automne, alors que le marché obligataire a une vue toujours très accommodante de la politique monétaire, sur la partie 2 ans de la courbe notamment.
Il y a donc une absence de prime de risque sur la partie courte qui nous gène au fur et à mesure que l’on s’approche de la fin du « tapering ». Si les indices d’inflation repassent au-dessus de 2%, je ne sais pas comment les marchés vont réagir en l’absence de prime de risque.
A cet égard, comment êtes-vous positionné dans les fonds Carmignac Patrimoine ?
En début d’année, nous avions une position agressive sur les taux américains, avec des couvertures sur les taux 10 ans et une sensibilité négative pour le fonds, stratégie qui avait été payante fin 2013. Nous avons depuis adopté une position plus modérée, nous pensons toujours que les taux remonteront, mais nous nous focalisons plus sur la partie courte de la courbe des taux. Par ailleurs, la sensibilité globale du fonds est désormais positive.
A 2,5% le 10 ans américain n’offre plus aucune protection contre le risque d’une inflation plus importante ou une croissance plus importante. De même, les taux courts reflètent toujours un scenario très accommodant pour la Fed. Ce n’est pas une situation normale selon nous.
Pensez-vous que l’action de la BCE est suffisante pour éviter une détérioration des anticipations d’inflation ? La perspective d’un QE vous semble-t-elle réaliste ?
La BCE prend plutôt une bonne direction. Son parti pris dans une économie fortement bancarisée, qui consiste à forcer les recapitalisations des banques, à nettoyer leurs bilans, nous semble intelligent.
Est-ce que cela suffira à relancer la croissance économique et à faire remonter l’inflation pour rendre soutenables les trajectoires de dette reste une question….
L’efficacité des mesures annoncées en juin ne sera pas connue tout de suite. Cela dépendra de la volonté des banques d’utiliser les opérations de LTRO ciblées et si elles se sentent suffisamment en confiance pour baisser leurs conditions de prêts à l’économie.
Pour le moment, selon les prévisions, on n’a pas encore vu les points bas d’inflation. Les indicateurs économiques pointent vers une décélération de l’économie. Le 5 ans dans 5 ans s’établit à 2,18% et baisse progressivement.
Concernant un « QE », nous pensons que la BCE n’a pas envie de se lancer tout de suite. Mais cette option n’est pas non plus écartée.
Quels sont les classes d’actifs où vous avez le sentiment d’une déconnexion entre les prix de marché et les fondamentaux ?
Le crédit américain, en particulier le haut rendement, nous semble dans une situation délicate. On observe une envolée massive des souscriptions vers les fonds de crédit alors que les banques réduisent leur capacité bilantielle à prendre du risque. Si demain les investisseurs décident de sortir de ce segment de marché, les fonds vont se tourner vers les banques, lesquelles ne peuvent plus prendre ce genre de risques.
En Europe, le crédit « investment grade » ne nous semble plus attractif et n’offre pas d’opportunités. Le seul compartiment auquel nous sommes exposés, ce sont les banques. En général, cela reste bien valorisé, avec une vraie dynamique en termes de régulation qui va être de nature à protéger le porteur obligataire. Nous gardons une exposition aux obligations privées, mais en arbitrant en faveur des financières.