Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management.
Plus de deux années se sont écoulées depuis la dernière correction (définie comme une baisse de 10 % et plus) subie par les actions internationales.
Depuis 1989, au cours des périodes de hausse des actions, l’indice MSCI ACWI a enregistré 14 corrections à deux chiffres à la suite desquelles la tendance haussière a repris sa course – soit une tous les 17 mois en moyenne.
Trois autres corrections ont par la suite constitué le point de départ de tendances baissières généralisées : 1990, 2001, puis 2008. Ainsi, après 25 mois (à un mois près) de hausse, sommes-nous à la veille d’une correction supérieure à 10 % pour les actions internationales ? Pas nécessairement, mais il existe des facteurs à prendre en compte sur certains marchés, particulièrement en Europe.
Un marché haussier interrompu n’ayant pas subi de correction de 10 % et plus pendant plus de deux ans n’est pas sans précédent.
L’indice MSCI ACWI a progressé de novembre 2003 à août 2006, et d’août 1992 à juillet 1997, sans avoir enregistré de recul à deux chiffres, générant ainsi des performances de respectivement 40 % et 93 %.
La durée de la phase haussière ne constitue donc pas nécessairement un facteur décisif. L’orientation sous-jacente des données économiques et des bénéfices des entreprises ainsi que celle de la politique de la banque centrale sont par contre nettement plus cruciales.
Concernant ces facteurs, on constate une dichotomie entre les Etats-Unis et l’Europe. Aux Etats-Unis, les perspectives macro-économiques et celles des bénéfices s’améliorent mais cette évolution fournit à la Réserve fédérale (US) les arguments nécessaires pour adopter un biais plus rigoureux.
Avec un taux directeur de 25 pb depuis désormais 66 mois, contre de précédents planchers de sept mois seulement entre 1970 et 2007, les inquiétudes montent sur les conséquences possibles d’une politique monétaire plus rigoureuse.
L’enseignement du passé suggère que ces craintes pourraient s’avérer excessives. Au cours des huit cycles de hausse entamés par la Réserve fédérale depuis 1970, l’indice S&P500 a enregistré une performance moyenne sur 12 mois glissants de 10,7 % - contre une moyenne de 8,7 % pour la totalité de la période considérée.
Si, au cours des cycles haussiers, les ratios cours/bénéfices ont tendance à se contracter d’environ 3 pts en moyenne depuis 1970, la croissance du BPA atteint un taux moyen de variation annuelle de 16 % et plus, contre 5 % au cours de toutes les autres phases.
Par conséquent, s’il est exact que les meilleures performances annuelles de l’indice S&P ont été enregistrées juste après les creux des cycles, qui coïncident habituellement avec les points bas des taux directeurs de la Réserve fédérale, l’idée qu’une hausse des taux se traduit inévitablement par un recul des actions n’est pas corroborée par les données historiques.
Il en est de même pour l’idée très répandue selon laquelle la volatilité doit progresser lorsque la Réserve fédérale en vient à durcir sa politique monétaire. Depuis 1990, l’indice VIX est généralement resté faible et stable au cours des cycles de hausse des taux. En général, le VIX n’a progressé de façon significative qu’après le pic du cycle de hausse du taux directeur de la Réserve fédérale et après des signes de faiblesse de l’économie.
Si la Réserve fédérale se dirige vers un resserrement de sa politique monétaire en réponse à l’amélioration des bénéfices et à la croissance de l’économie, les craintes d’un effondrement imminent de l’indice S&P sont probablement infondées.
La poursuite de la politique de taux zéro dans un contexte de stagnation de l’économie serait bien plus préoccupante. Dans la mesure où les indicateurs avancés attirent l’attention sur une hausse progressive de la croissance de l’économie et des bénéfices aux Etats-Unis au cours du second semestre 2014, nous estimons que les actions américaines bénéficient de facteurs de soutien favorables.
A l’inverse, en Europe, les perspectives macro-économiques et celles des bénéfices restent atones, avec toutefois un facteur de soutien lié à l’espoir d’une annonce par la Banque centrale européenne (BCE) d’un plan d’assouplissement quantitatif (QE).
La première réaction à l’annonce d’opérations de refinancement à long terme (LTRO) par la BCE et à la promesse d’un QE “en cas de nécessité” a provoqué une hausse des actifs risqués. L’écart moyen entre les obligations à 10 ans grecques, irlandaises, portugaises, italiennes et espagnoles et le Bund à 10 ans s’est contracté de 30pb pour s’établir à 180pb immédiatement après la réunion de la BCE en juin. Mais les inquiétudes suscitées par les récentes statistiques sur l’activité économique en Europe et dans les pays émergents ont effacé cette amélioration et les spreads sont désormais redevenus plus élevés qu’avant la déclaration de la BCE.
Cette situation contraste avec celle des Etats-Unis où les marchés avaient anticipé le QE de la Réserve fédérale. Sur la voie du QE (US), l’atonie des statistiques économiques susceptible de précipiter le début de l’intervention de la Réserve fédérale avait provoqué un rallye des marchés.
Dans ces conditions, pourquoi ce phénomène ne se reproduit-il apparemment pas en Europe ? Il est pourtant quasiment certain que la faiblesse des données et la menace de la déflation vont forcer la main de la BCE.
Nous identifions quatre facteurs de divergence par rapport à la situation américaine (US) : le positionnement, la demande mondiale, le taux de change et la position politique de la Réserve fédérale.
Concernant le positionnement, les actifs européens à fort bêta, particulièrement la dette périphérique, sont déjà largement investis alors que le mouvement des flux de capitaux vers les actions européennes est en train de décliner par rapport aux actions des marchés américain (US) et émergents.
L’Europe est également davantage orientée vers l’exportation que les Etats-Unis et il lui manque une reprise de sa consommation domestique telle qu’elle est à l’oeuvre aux Etats-Unis, ce qui rend les actifs européens vulnérables à un nouvel accès de faiblesse de l’économie mondiale, même si les statistiques américaines (US) continuent de s’améliorer.
De même, le taux de change n’apporte pas un quelconque soutien. Alors que les QE mis en oeuvre par la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon ont contribué à affaiblir leurs devises respectives, l’euro reste obstinément fort malgré l’ampleur du QE de la BCE.
Les entreprises européennes donnent de plus en plus de la voix à propos du niveau excessif de leur monnaie et de ses conséquences sur les exportations – mais il existe ici un paradoxe. Les dispositifs d’intervention de la BCE sont considérés comme tout à fait crédibles au cours de la période de leur déploiement, mais on peut soutenir que des doutes subsistent à plus long terme.
Les obligations périphériques à court terme (moins de trois ans) se négocient comme instruments de taux, alors que la dette périphérique à plus long terme (10 ans) est davantage corrélée aux marchés du crédit et des actions.
Le QE de la BCE pourrait constituer la clé de voute de la démonstration de la crédibilité du message de Draghi en juillet 2012 “whatever it takes”. Mettre en place les soutiens promis, imposer la convergence de la périphérie, et pour l’essentiel faire en sorte que certaines obligations puissent être considérées pari passu avec le Bund, sont des mesures qui renforceraient certainement la crédibilité de l’euro comme monnaie de réserve.
Dans une telle hypothèse, on peut concevoir que l’afflux de capitaux généré par une politique de diversification des réserves de change pourrait handicaper l’effet du QE et renforcer la hausse de l’euro, donnant ainsi naissance à un scénario dans lequel, malgré la convergence des rendements de la périphérie, la force de la devise éroderait la compétitivité de l’Europe. Le risque que présente une telle fin de partie serait cependant atténué si la Réserve fédérale adoptait la voie du resserrement monétaire avant que ne débute le QE de la BCE.
Ce paradoxe rend probablement les actifs européens plus vulnérables que les actifs américains (US). L’Europe pourrait se retrouver davantage à la merci de la politique de la Réserve fédérale qu’on ne le pense généralement.
Un nouvel accès de faiblesse des statistiques européennes accentuerait la pression en faveur du QE de la BCE. Pourtant, jusqu’à ce que la Réserve fédérale ne s’engage dans son cycle haussier – conduisant potentiellement à des pressions à court terme sur les positions de carry (comme la dette de la périphérie) – on peut s’attendre à des conséquences indésirables sur l’euro.
Par conséquent, si nous n’avons pas identifié de précédent historique d’un cycle haussier des taux de la Réserve fédérale se traduisant par une baisse du cours des actions aux Etats-Unis, nous partageons le point de vue de ceux qui allègent leur risque européen au cas où la récente détérioration du sentiment général des investisseurs perdurerait.