Joël Reuland, responsable de la gestion actions chez Banque de Luxembourg Investments partage ses vues sur la classe d'actifs. Il était invité à la table-ronde allocations d'actifs lors de la 5ème conférence annuelle de Morningstar France. L'entretien a été relu et amendé.
Quelle est votre vue sur la valorisation actuelle des marchés actions ?
Nous pensons que les marchés actions sont plutôt dans un régime de « bear market » [marché baissier, NDLR] ou, au mieux, dans un régime de marché qui stagne.
Entre 1966 et 1982, on était dans un tel régime à cause des crises pétrolières et de la stagflation. Entre 1982 et 2000, nous sommes passés dans un régime de marché haussier, suite à la remontée des taux d’intérêt décidée au début des années 80 par la Réserve fédérale américaine pour lutter contre l’inflation.
Depuis 2000 nous avons l’impression d’être à nouveau dans un régime plutôt de « bear market » ou de marché qui stagne, suite à l’éclatement des différentes bulles spéculatives et du surendettement qui en a résulté.
Un tel régime est synonyme d’une contraction progressive des multiples de valorisation jusqu’à ce que le problème de fonds, en l’occurrence le surendettement des pays industrialisés dans le cas présent, soit abordé.
Au sein de ces grandes phases de marché, il y a des régimes intermédiaires : chute des indices entre 2000 et 2002, rebond grâce aux politiques monétaires accommodantes entre 2003 et 2007, nouvelle chute avec la crise financière de 2008-2009, puis remontée relativement modérée jusqu’à l’été 2012 et le discours de Mario Draghi qui a enclenché une nette hausse des bourses.
Durant cette dernière phase, les multiples de valorisation se sont tendus. Nous pensons que les marchés actions sont relativement chers. Si l’on normalise le niveau des bénéfices et des taux d’intérêt, le P/E implicite du marché devient largement supérieur à ce qu’il est actuellement.
Le problème est que compte tenu de taux d’intérêt artificiellement bas, les investisseurs ont un coût d’opportunité élevé s’ils optent pour les placements monétaires. Les actions sont donc devenues une classe d’actifs par défaut, faute de rendements suffisamment attrayants dans le monétaire ou l’obligataire.
Que pensez-vous de la valorisation des actions américaines ?
Nous pensons que le niveau raisonnable du S&P 500 devrait plutôt se situer autour de 1.050-1.100 points. Ce niveau serait plus justifié au regard du P/E historique moyen de l’indice (15x) et de la part moyenne des résultats des entreprises américaines en pourcentage du revenu national.
Cela étant dit, notre travail de stock picking privilégie une approche bottom-up et donc à regarder chaque marché valeur par valeur.
Quel est votre avis sur l’Europe ?
En Europe, les valorisations sont un peu plus faibles qu’aux Etats-Unis car la crise de la zone euro a pesé et a conduit à une certaine décote de valorisation.
Toutefois, nous observons que la croissance des chiffres d’affaires n’est pas en ligne avec la progression des cours de Bourse, de même que pour les profits des entreprises. Il y a un découplage entre les fondamentaux et les marchés, ce qui réduit le potentiel de rendement futur de cette classe d’actifs.
Dans cet environnement on reste sur des entreprises qui nous semblent solides, et avec une valorisation plus raisonnable. On privilégie des grands noms de qualité comme Reckitt Benckiser, Air Liquide, ou Novo Nordisk. Pour ces entreprises de qualité, nous sommes prêts à payer un peu plus cher lorsque l’on est en présence d’un avantage concurrentiel durable.
Vous êtes surexposé au Japon par rapport aux fonds de votre catégorie ? Pourquoi et quels titres jouez-vous en particulier ?
Nous pensons que les actions japonaises sont structurellement sous-évaluées par rapport aux autres régions du monde. Or, nous pensons que ce marché devrait bénéficier d’une augmentation de la rentabilité. Les marges bénéficiaires ont encore du potentiel. La rentabilité des fonds propres est en train d’augmenter, ce qui présente un potentiel de rendement sur le long terme plus attrayant que dans d’autres régions.
Nous investissons sur ce marché à la fois à travers des sociétés exportatrices de qualité comme Fanuc ou Makita qui sont des entreprises internationales de qualité, dans la robotique et l’outillage. Nous avons aussi des valeurs plus domestiques, comme le fabricant de mobilier Nitori.
Les actions sont-elles encore attrayantes dans une optique de long terme dans une allocation stratégique ?
Les actions ont encore leur place, surtout du fait qu’il n’y a pas d’alternative. Il faut reconnaître que les multiples de valorisation sont élevés sur un plan normatif, mais pas encore au niveau du début des années 2000.
Toutefois, le potentiel de rendement à long terme commence à devenir relativement faible compte tenu d’un risque de volatilité élevé.