Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management.
Depuis le début 2014, l’indice S&P a atteint un nouveau record à 2 012,34 points, les actions mondiales (indice MSCI ACWI) ont progressé de 7,1 % et – ce qui est sans doute le plus surprenant – les obligations d’État (indice Barclays U.S. Treasury Bellwethers 10-Year) se sont adjugé 5,7 %.
Souvenons-nous du début de l’année, lorsque le consensus tablait sur une remontée des taux en 2014… À ce moment-là, les observateurs s’attendaient à ce que l’activité accrue des entreprises entraîne d’importants arbitrages d’obligations au profit des actions, et beaucoup anticipaient un accroissement de la volatilité.
Comment faut-il alors interpréter une situation dans laquelle les indices d’actions atteignent de nouveaux sommets, les rendements obligataires sont réduits et les statistiques de l’emploi et de l’inflation indiquent que nous nous orientons inexorablement vers un relèvement des taux des fonds fédéraux ?
Selon nous, l’économie américaine passe d’une phase de confiance dans la relance à une phase d’autonomie, et l’arrivée à maturité du cycle économique devrait en conséquence justifier un durcissement de la politique monétaire. On ne peut sans doute pas en dire autant de l’Europe et du Japon car il est probable que ces deux régions s’appuieront encore sur des politiques de relance pendant un certain temps. Parallèlement, bon nombre de marchés émergents traversent une période d’ajustement difficile liée au récent gonflement de leur endettement.
Ces divergences créent un environnement dans lequel une croissance mondiale incertaine est susceptible de favoriser le maintien d’une politique monétaire globalement accommodante et des rendements à long terme à de bas niveaux. Parallèlement, la solidité des bilans des entreprises, le faible coût des capitaux et l’accélération de la reprise américaine fournissent un contexte porteur pour les marchés du crédit et des actions.
On peut, bien entendu, s’interroger sur des questions structurelles à plus long terme, notamment sur la manière dont les déséquilibres induits par les politiques d’assouplissement quantitatif évolueront au final. Mais pour l’heure, la remise en état progressive de l’économie, associée aux soutiens apportés par la Banque centrale européenne et la Banque du Japon, permet d’anticiper une période d’expansion économique plus longue que la normale.
Les taux courts étant susceptibles de remonter lorsque la Réserve fédérale (Fed) commencera à normaliser sa politique – alors que les taux longs sont maintenus à des niveaux bas par une politique monétaire accommodante en dehors des États-Unis –, nous tablons sur une poursuite de l’aplatissement de la courbe des taux américaine. Nous pensons également que les actions progresseront d’un peu moins de 10 % et que les obligations d’entreprises restent attractives comme instruments de carry trade.
Bien qu’anticipant une hausse du dollar et un léger durcissement de discours lorsque la Fed préparera le terrain pour un relèvement des taux courts, nous ne pensons pas que cela se traduira par un accroissement significatif de la volatilité de la plupart des catégories d’actifs.
Bien entendu, cette perspective n’est pas sans risques – un risque politique ou une consommation plus faible que prévu aux États-Unis pourraient déclencher moins d’engouement pour la prise de risque. À l’inverse, une accélération rapide de la croissance serait susceptible d’entraîner au final une reprise de l’inflation.
Cela étant, nous considérons que le positionnement limité de beaucoup d’investisseurs sur bon nombre de catégories d’actifs, parallèlement à leur attitude généralement prudente, compense ces risques. Globalement, bien que conscients des incertitudes structurelles à long terme, nous pensons que la reprise s’accélérera – créant à son tour un contexte porteur pour les actifs à risque.
L’Écosse reste, et les incertitudes aussi...
Au lendemain du référendum sur l’indépendance de l’Écosse, un sentiment évident de soulagement était perceptible au Royaume-Uni à la suite du « Non » majoritaire, et ce même si les marchés financiers ont relativement peu réagi. En fait, la livre sterling a légèrement baissé vendredi, après avoir rebondi de 1,8 % sur son récent point bas plus tôt dans la semaine, les marchés anticipant davantage que l’Écosse voterait contre l’indépendance. Les actions britanniques ont enregistré un léger rebond d’apaisement et l’indice FTSE 100 avait pris 0,6 % au moment où nous écrivons, mais ce mouvement ne corrige pas l’ampleur de sa récente sous-performance. En effet, l’indice FTSE 100 n’a progressé que de 1,7 % depuis le début de l’année, alors que l’indice S&P 500 s’adjugeait 8,8 % et l’Eurostoxx 4,3 %.
Bien que le « Non » supprime à l’évidence bon nombre d’incertitudes concernant l’économie britannique, beaucoup de questions restent toujours sans réponse – dont aucune ne pourra sans doute être réglée facilement. Outre les questions constitutionnelles plus larges soulevées par une poursuite de la dévolution de pouvoirs à l’Écosse, les prochaines élections générales se dérouleront dans huit mois seulement.
Avec le début de la campagne, il ne fait aucun doute que la question de l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne va revenir sur le devant de la scène – ne serait-ce que parce que le parti conservateur a promis un référendum sur la question en 2017 (dans le cas où il serait au pouvoir à cette date). Ce débat pourrait susciter tout autant d’incertitudes que le référendum écossais.
Dans le cadre de notre allocation d’actifs, nous entendons sous-pondérer les actions britanniques pendant un certain temps, mais surpondérons parallèlement les obligations d’État du Royaume-Uni. L’issue du référendum ne nous incite pas à modifier ce positionnement.
Il est probable que les incertitudes vont continuer de peser sur les actions britanniques, qui ne sont par ailleurs pas très bon marché, et le soutien que la livre sterling aurait pu apporter se réduit du fait de sa stabilisation. À l’inverse, les Gilts nous semblent toujours afficher des valorisations attractives par rapport aux obligations d’État du G4 et nous continuons de les surpondérer.
Il ne faut pas craindre la Fed
L’autre événement très redouté qui n’a pas eu lieu la semaine dernière concerne le retrait de l’expression « pendant très longtemps » de la déclaration de politique de la Fed. Cette expression fait référence au laps de temps qui s’écoulera entre la fin des rachats d’actifs (qui interviendra très probablement en octobre) et le premier relèvement des taux d’intérêt.
Compte tenu, à la fois, du ton sans doute légèrement plus conciliant de la déclaration de politique monétaire, du nombre accru d’opposants à la politique actuelle, du relèvement des prévisions concernant les taux d’intérêt et des commentaires de Mme Janet Yellen, Présidente de la Fed, à la presse, le marché a globalement interprété le message de la Fed comme légèrement plus « restrictif » que lors de ses réunions précédentes. Au final, nous serions enclins à partager cet avis, mais pour nous, le principal message réside dans l’insistance de Mme Yellen – ce n’est pas la première fois qu’elle en parle – sur le fait que la Fed continuera de fonder sa politique sur les statistiques économiques.
En d’autres termes, la Fed ne commencera pas à relever les taux d’intérêt tant que l’économie ne sera pas suffisamment robuste pour y faire face. Selon nous, les actifs à risque ne devraient pas avoir grand-chose à craindre lorsque les taux d’intérêt américains commenceront à être relevés – évolution qu’il conviendrait plutôt de considérer comme la confirmation de la reprise économique.
Si le message de la Fed de la semaine dernière avait réellement été annonciateur d’une politique plus restrictive, nous aurions alors assisté à une réaction épidermique des actifs à risque. Le fait que les actions américaines atteignent des niveaux record semble confirmer notre point de vue.