Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management. Il a été édité par Morningstar.
Un des positionnements les plus massivement adoptés
Le dollar U.S. est devenu un actif massivement traité par les acteurs des marchés. De récentes statistiques publiées par la CFTC montrent qu’il existe d’importantes positions longues sur cette devise, proches de leurs niveaux les plus élevés depuis 10 ans. Les chiffres de certaines enquêtes (comme Bank of America Merrill Lynch Fund Managers Survey ou notre propre enquête sell-side) mettent en évidence une importante surpondération des positions.
Enfin, l’indice DXY trade-weighted USD se négocie sur la base d’un ratio de Sharpe de 2,0 sur 52 semaines, suggérant des performances ajustées au risque à leur niveau le plus élevé depuis au moins 18 ans. Aucun de ces éléments ne laisse présager un retournement rapide du dollar ni une correction, mais ils suggèrent que celui-ci est davantage susceptible de réagir à des épisodes de mauvaises nouvelles, plutôt qu’aux bonnes nouvelles.
A plus long terme cependant, nous estimons que la tendance haussière du dollar va se poursuivre. Un analyste sell-side a observé que les deux dernières vagues de hausse de cette devise sur les marchés au cours des années 1970/80 puis au cours des années 1990 ont duré chacune six à sept ans, générant une appréciation pondérée en fonction des échanges commerciaux de respectivement 67 % et 40 %.
A l’inverse, la hausse actuelle qui a démarré en 2011, affiche une appréciation de 21 %. Ainsi, en se plaçant dans le contexte de ces 40 dernières années, ce marché haussier du dollar ne semble pas près de s’essouffler.
Les fondamentaux positifs à plus long terme
Malgré ces constatations à court terme, nous restons positifs sur le dollar. L’économie américaine (U.S.) continue à surperformer par rapport aux autres régions importantes. La croissance du PIB réel a été révisée en hausse au cours de la semaine dernière, portée de 3,5 % en variation annuelle à 3,9 %.
De plus, il existe des signes clairs d’un découplage mondial : selon notre équipe devises, en utilisant les différentiels de croissance à deux ans, on constate une nette accélération aux Etats-Unis par rapport à leurs partenaires commerciaux, facteur traditionnel d’appréciation du dollar pondéré par les échanges commerciaux.
A première vue, la normalisation de la politique monétaire devrait contribuer à renforcer encore le dollar et les Etats-Unis devraient prendre la tête du processus de normalisation des taux en 2015. Cependant, la justification d’un resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed), désormais intégré dans les cours en anticipant son démarrage au cours du troisième trimestre 2015, ne consiste pas simplement à actionner un interrupteur.
Les anticipations d’inflation se sont récemment inscrites dans une tendance baissière, le point mort d’inflation à 10 ans des Etats-Unis reculant à 1,83 % cette semaine, contre 2,27 % en juin. Nos instruments de mesure favoris pour évaluer le mouvement pendulaire inflation/déflation ont en effet reculé à des niveaux suscitant des inquiétudes déflationnistes.
Dans l’ensemble, il est possible que la baisse des anticipations d’inflation soit une raison majeure expliquant pourquoi la politique de resserrement de la Réserve fédérale a été différée au cours de l’année 2015. L’un des facteurs de baisse de l’inflation headline est le recul des prix du pétrole et des matières premières qui ont de nouveau diminué (bien que le resserrement du marché du travail aux Etats-Unis devrait soutenir l’inflation core).
Le pétrole affiche désormais un recul de 36 % depuis juin, ce qui équivaut à une baisse massive de taxes pour les pays développés importateurs de pétrole. La question centrale reste de déterminer si celui-ci pourrait s’avérer être déflationniste : la baisse des termes de l’échange comprime la croissance des revenus des pays producteurs de pétrole (particulièrement dans les marchés émergents) et provoque par conséquent une importante réduction de la demande adressée aux exportateurs de l’OCDE.
Étant donné que les marchés émergents dans leur ensemble (pays exportateurs et pays importateurs de pétrole inclus), ont représenté 57 % de la croissance du PIB mondial réel de 2010 à 2014 (contre une moyenne de seulement 36 % entre 1992 et 2007), ce choc des termes de l’échange (et il s’agit bien d’un choc) pourrait avoir des effets plus complexes. Il y aura clairement des gagnants et des perdants. Les gagnants devraient se trouver en Asie, alors que le Moyen Orient et une partie de l’Amérique Latine devraient être pénalisés.
Mais, si la baisse des prix du pétrole devait s’avérer bénéfique pour l’OCDE, ce qui devrait être le cas selon nous, l’un des risques à court terme pesant sur la poursuite de la fermeté du dollar pourrait venir d’une reprise en zone euro bien plus forte que celle qui est actuellement intégrée dans les cours.
On remarque que les statistiques de la zone euro restent faibles, bien que les chiffres publiés récemment se soient révélés légèrement meilleurs que les estimations (pessimistes) du consensus. Notre sentiment est que la faiblesse de la zone euro est due pour une large part à un excès de stocks, actuellement en voie d’ajustement.
Les chiffres de l’indice PMI font apparaître un recul des nouvelles commandes déduction faite des stocks, ce qui suggère une accumulation possible de stocks, qui est en voie de résorption grâce à une baisse soudaine de la production industrielle. Les cycles de stocks ont tendance à être courts et imprévisibles mais, si cette thèse est exacte, l’activité en zone euro pourrait ré-accélérer en 2015 avec, pour conséquence, une forte hausse des bénéfices. Une accélération de la croissance en Europe pourrait ainsi contribuer à ralentir la hausse du dollar – sous réserve naturellement que les dirigeants politiques européens, toujours versatiles, ne contribuent pas à alimenter un regain d’instabilité.
Guerre des monnaies ?
Un thème d’investissement possible pour 2015 pourrait être de miser sur l’utilisation de mesures politiques non conventionnelles comme moyen de désendettement budgétaire. Cette évolution pose la question de la monétisation de la dette (en particulier si l’on se réfère à la politique d’assouplissement menée par le Japon) et celle d’une éventuelle série de guerres des devises au sein de l’économie mondiale.
La faiblesse du yen, qui a reculé de 33 % selon les termes de l’échange depuis juillet 2012, a exporté les pressions déflationnistes vers les partenaires commerciaux du Japon, en Europe et en Asie — ce qui pourrait expliquer la raison pour laquelle les rendements du Bund à 10 ans ont convergé vers les niveaux des obligations souveraines japonaises. Mais les mesures politiques adoptées par le Japon soulèvent le problème d’éventuelles mesures de rétorsion.
Nous guettons attentivement tout signe d’irritation censé émaner des autorités chinoises, qui pourrait se traduire par un consentement à une dépréciation du renminbi afin de protéger les secteurs industriels et exportateurs de la Chine.
La BCE semble en voie de recourir à un dispositif d’assouplissement quantitatif intégral en achetant des obligations souveraines – ne serait-ce que pour parvenir à l’objectif qu’elle s’est fixée d’augmenter son bilan de 1.000 milliards EUR. L’expansion à grande échelle des bilans en Europe, au Japon et peut-être en Chine devrait générer de la volatilité sur les marchés des changes et des évolutions notables de compétitivité.
A ce stade, nous percevons l’univers des devises comme davantage enclin à une succession d’escarmouches qu’à des hostilités de très grande ampleur. Mais si la parité yen/dollar devait encore s’affaiblir significativement par rapport à son niveau actuel de 118 JPY, il est facile d’imaginer que les dirigeants politiques à Francfort, Pékin — et Washington — pourraient commencer à s’inquiéter sérieusement.
Ainsi, malgré son énorme succès, la période de l’argent facilement gagné en se contentant d’être acheteur sur le dollar et vendeur sur toute autre devise semble désormais révolue. Des arguments fondamentaux plaidant en faveur d’une poursuite de la fermeté du dollar subsistent mais les tenants de la hausse de cette devise pourraient désormais devoir se montrer plus inventifs et plus agiles pour éviter de possibles retours de flamme.