Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Yoshita Sakakibara, membre de l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management. Il a été édité par Morningstar.
Le Japon a adopté un nouvel ensemble de réformes économiques que les gérants de nos fonds actions japonais nomment Abenomics 2.0. Cette nouvelle version des Abenomics a consisté en une combinaison de la première flèche (politique monétaire) et de la seconde flèche (relance économique) du programme de réformes.
Le gouverneur de la Banque du Japon, Kuroda, a actionné son second bazooka en annonçant en octobre une politique d’assouplissement monétaire, alors que la décision du Premier ministre Abe de différer la seconde hausse de taxe sur la consommation (cause directe des élections générales de ce dimanche) a constitué une manifestation de détermination dans l’engagement du gouvernement en faveur d’une politique de relance.
Le gouverneur Kuroda a pu être déçu par cette décision de Abe, comme l’ont déclaré certains observateurs, mais cela n’a eu qu’une faible incidence sur le marché. Si Kuroda pouvait être préoccupé de la crédibilité de sa banque centrale qui achète un montant important de JGB (obligations d’Etat japonaises), le fait que ce marché ait à peine frémi, même après la dégradation de la notation souveraine du Japon, est révélatrice.
Le report de la hausse de cette taxe devrait aider la Banque du Japon dans ses efforts pour se rapprocher de sa cible d’inflation de 2 % plutôt que d’en retarder encore l’atteinte.
Avec le report de la seconde hausse de la taxe sur la consommation, initialement prévue pour octobre 2015, les perspectives de croissance de la consommation au Japon l’an prochain se sont nettement améliorées.
L’économie japonaise éprouve clairement des difficultés à compenser les effets négatifs de la première hausse de cette taxe, son PIB réel ayant enregistré un recul de 1,9 % (en taux annuel corrigé des variations saisonnières) au cours du troisième trimestre.
Si la rémunération totale des salariés a progressé de 2,4 % en glissement annuel en termes nominaux au cours du trimestre (taux de croissance le plus élevé jamais enregistré depuis 17 ans), elle a encore reculé de 0,8 % en glissement annuel en termes réels, essentiellement en raison de cette charge fiscale supplémentaire.
Depuis avril cependant, les effets de la taxe vont s’estomper dans les comparaisons en variation annuelle et l’érosion du revenu disponible va décroître d’environ deux points de pourcentage. La hausse des salaires et celle des revenus agrégés des ménages liée à l’augmentation du temps de travail et à l’amélioration du marché de l’emploi vont faire progresser le pouvoir d’achat réel.
Outre la perception par les entreprises d’une pénurie de main d’oeuvre au Japon, qui devrait se traduire par une pression accrue en faveur des hausses de salaires, Abe continue à encourager les entreprises à mieux rémunérer leurs salariés et à ne pas thésauriser des excédents de trésorerie excessifs dans leurs bilans. Les ménages vont probablement bénéficier durablement d’une croissance positive de leur revenu réel disponible au cours des années qui viennent.
Malgré les critiques émises sur la récente dépréciation du yen qui renchérit le coût des importations, l’effet positif net d’un affaiblissement du yen devrait être plus largement perceptible l’an prochain.
Nous estimons que l’affaiblissement de cette devise devrait être bénéfique à l’économie, sauf dans les trois cas suivants : 1) lorsque le rythme de dépréciation est trop rapide pour les capacités d’adaptation des entreprises ; (2) lorsque les taux d’inflation sont déjà élevés ; et (3) lorsqu’un pays a une importante dette souveraine libellée en devises étrangères.
Seul le cas (1) pourrait concerner actuellement le Japon, mais le rythme de dépréciation du yen n’est pas plus rapide qu’au cours de la période 1995-1998. Bien que la population ait exprimé une certaine insatisfaction devant le bilan jusqu’à présent généré par les Abenomics, le résultat des élections à la chambre basse a conféré un mandat sans équivoque à la coalition au pouvoir du LDP et du Komeito qui soutiennent Abe dans la poursuite de ses réformes.
Celle-ci a recueilli 326 sièges, soit un chiffre identique à celui de la précédente législature (le LDP en perd 4 mais le Komeito en gagne 4), ce qui lui assure le contrôle de plus des deux tiers des 475 sièges qui étaient à pourvoir dans la Chambre basse (contre 480 sièges aux précédentes élections). Il s’agit d’un statut de majorité renforcée (deux tiers des voix à la Chambre basse) qui permet à la coalition de neutraliser toute velléité d’opposition émanant de la Chambre haute en cas d’éventuels différends sur les textes législatifs.
Nous estimons que la persévérance du gouvernement sur la voie des Abenomics reste déterminante pour le sort de l’économie japonaise et son marché des actions, dans la mesure où l’objectif des Abenomics (une rupture totale avec la déflation) aura des effets profonds et positifs sur l’économie et sur les résultats des entreprises.
La tendance baissière du marché des actions japonais depuis le début des années 1990 a commencé avec l’éclatement de la bulle immobilière et a été suivie par l’avènement d’une ère de déflation, que les politiques macro-économiques n’ont pas traitée correctement jusqu’à la mise en place des Abenomics. La longévité du gouvernement Abe est par conséquent un facteur décisif aux yeux du marché.
D’une importance capitale, la solide victoire remportée par Abe aux élections de dimanche signifie un règne de longue durée possible pour le gouvernement Abe. Le résultat de l’élection accroît la probabilité d’une réélection de Abe en septembre comme président du LDP pour un nouveau mandat de trois ans.
Concomitamment à une nouvelle mandature de quatre années pour la chambre basse, il y a de fortes chances que Abe continue à diriger le Japon au cours des quatre prochaines années, ce qui lui permettra de mener à bien les Abenomics jusqu’à la rupture totale avec la déflation. Les fréquents changements de Premier ministre au Japon au cours de son histoire ont rendu difficile pour tout gouvernement la poursuite de politiques cohérentes à long terme.
La perspective de voir Abe rester Premier ministre pendant au moins six ans au total, soit plus longtemps que Koizumi (troisième Premier ministre d’après-guerre par la durée de son mandat), constitue une évolution très positive. Inversement, toute menace sur la popularité de M. Abe pourrait présenter un risque pour les actions japonaises. Une majorité renforcée ne garantit pas pour autant un mandat de tout repos.
Nous décelons une possibilité de retard dans l’approbation du budget 2015 ainsi que des polémiques véritablement houleuses sur la législation d’auto-défense collective, qui pourraient porter atteinte à la popularité de Abe au cours du printemps. Par ailleurs, ceux qui attendent un effort sur la troisième flèche des Abenomics (les réformes structurelles) pourraient être déçus.
Néanmoins, le marché des actions japonais sera l’an prochain vraisemblablement davantage placé sous l’influence des thèmes macro-économiques, en demeurant exposé à l’alternance de phases d’appétit puis d’aversion pour le risque, et il pourrait être confronté à une volatilité plus forte. En effet, après sa récente hausse, le marché pourrait enregistrer des prises de bénéfices post-électorales.
Les effets macro-économiques domestiques positifs devraient cependant se manifester par de nouveaux progrès dans la lutte contre la déflation (voir le graphique de la semaine), annonçant une performance forte et durable. Enfin, l’existence d’acheteurs d’actifs déterminés, tels que la Banque du Japon et le GPIF (le plus important fonds de pension mondial), devraient également apporter un soutien contre le risque de baisse. Les actions japonaises restent l’une des positions surpondérées majeures de GIMS-GMAG.