Russie : quelles leçons pour les investisseurs ?

Les difficultés de la Russie illustrent les risques des fonds obligataires axés sur les marchés émergents.

Karin Anderson 12.01.2015
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Cet article est une version éditée d'une note en anglais publiée le 23 décembre 2014 par l'équipe de recherche sur les fonds de Morningstar.

Si la période des fêtes de fin d’année est en général relativement calme pour les investisseurs, les premières semaines de décembre 2014 ont été particulièrement mouvementées.

L’un des événements les plus marquants a été la dépréciation spectaculaire du rouble et de la dette russe, qui a pénalisé les grands indices d’obligations émergentes ainsi qu’un certain nombre de fonds investis dans cet univers.

Dans cet article, nous reviendrons sur les motifs de la baisse des prix de la dette russe et sur ce qu’elle signifie pour certains des principaux fonds obligataires axés sur les marchés émergents. Plus généralement, nous nous demanderons quelles leçons les investisseurs peuvent tirer de ces récentes turbulences.

La tempête parfaite

Des années de croissance atone ont laissé l’économie russe, qui repose sur le pétrole, particulièrement vulnérable aux sanctions annoncées courant 2014. Mais le facteur le plus déstabilisant, l’année dernière, a été la chute rapide des cours de l’or noir, qui a pesé sur le budget et la balance commerciale russes, ainsi que sur le rouble.

La situation s’est aggravée le 15 décembre, lorsque le rouble a perdu 10 % en une seule journée, conduisant la banque centrale russe à relever son taux directeur de 10,5 % à 17 %. Cette dépréciation soudaine a été principalement entraînée par une opération douteuse entre la banque centrale et la première compagnie pétrolière russe.

De fait, la banque centrale a apporté de manière indirecte 11 milliards de dollars à Rosneft afin que l’entreprise puisse honorer des échéances de remboursement sur sa dette extérieure avant la fin de l’année. Cette transaction a éveillé des inquiétudes quant à la capacité des entreprises russes en proie aux sanctions américaines et européennes à rembourser ou refinancer leur dette en devises, qui se chiffre en milliards, dans les deux prochaines années.

 

Exposition à la dette russe et performance des fonds

En décembre, la dette russe représentait environ 8 % de l’indice JPMorgan Emerging Market Bond Index Global Diversified (axé sur les monnaies fortes), 6 % de l’indice JPMorgan Government Bond Index-Emerging Markets Global Diversified (en monnaie locale) et 5 % de l’indice JPMorgan Corporate Emerging Markets Bond Index Broad Diversified, qui n’inclut que des obligations d’entreprise.

Dans l’univers de la dette émergente, les emprunts souverains et obligations d’entreprise russes comptaient déjà parmi les plus malmenés sur les onze premiers mois de 2014 lorsque les titres de créance russes et le rouble ont dévissé durant les premières semaines de décembre.

La dernière fois qu’ils ont publié leurs positions (en septembre ou en novembre), les cinq fonds de dette émergente qui ont accusé les plus fortes pertes sur un mois au 19 décembre étaient investis à hauteur de 10 à 22 % en dette russe.  

Les fonds d’obligations mondiales sont généralement beaucoup moins exposés à la Russie. L’indice Barclays Global Aggregate, qui fait communément office de référence pour ce type de produits, présente une exposition à la Russie inférieure à 1 %.

En décembre, les performances des fonds en obligations mondiales ont été essentiellement dictées par la nature de leur exposition aux marchés émergents et aux devises ; certains des fonds les moins performants dans cette catégorie détenaient 3 % ou moins d’actifs russes. Les plus performants ont enregistré de modestes gains sur le mois et étaient fortement exposés à l’appréciation du dollar.

L’opinion des gérants

L’impact sur le marché des récents événements en Russie a été troublant, notamment pour les détenteurs de dette émergente. Les analystes de Morningstar étudient ces chocs afin de déterminer s’ils sont sources d’inquiétude quant à la stratégie ou à la gestion d’un fonds noté.

Sur la base des informations recueillies auprès des gérants qui investissent dans la dette russe, le consensus est que les probabilités d’un défaut de la Russie sur sa dette sont très réduites. Cette opinion se fonde en grande partie sur la solidité des finances russes : le très faible endettement du pays (14 % du PIB), son excédent primaire et ses vastes réserves de change et d’or lui permettent de financer ses importations et de soutenir les entreprises frappées par les sanctions occidentales.

Autre argument en faveur de cette thèse : la politique monétaire des autorités russes. Nombreux sont ceux qui pensent que le choix de laisser le rouble agir comme amortisseur de la chute des prix du pétrole était le bon. Pour d’autres, le relèvement à 17 % de son taux directeur par la banque centrale le 15 décembre a constitué la preuve que le pays est décidé à faire le nécessaire pour éviter un défaut. Récemment, la banque centrale a également pris des mesures bienvenues pour apaiser les tensions sur les bilans des banques.

Dans ce contexte, une récession est probable, certains gérants anticipant une contraction de 2 à 4 % du PIB en 2015. Une partie d’entre eux indiquent qu’ils évaluent la capacité de résistance de leurs positions russes à un prix du pétrole de 45 dollars le baril. Si certains tablent sur un redressement du cours de l’or noir dès 2015, les moins optimistes restent eux-mêmes confiants dans la capacité de la Russie et des entités quasi-souveraines comme Gazprom à honorer leurs obligations au cours des prochaines années dans l’hypothèse où le baril descendrait à 45 dollars.  

Les gérants se montrent également très vigilants à l’égard des tensions entre la Russie et l’Ukraine, et des sanctions qui frappent l’économie russe. Malgré cet environnement des plus défavorables, plusieurs gérants estiment que les prix des obligations d’Etat et d’entreprise russes sont désormais excessivement faibles au regard des fondamentaux du pays.

Quels enseignements pour les investisseurs ?

La volatilité qui a caractérisé le mois de décembre pourrait s’inscrire dans la durée, dans un contexte de baisse continue des prix du pétrole et/ou de nouvelles tensions en Ukraine. Et pour beaucoup, la récente chute du rouble rappelle quelque peu la crise financière russe de 1998, lorsque la monnaie avait décroché et que le pays avait fait défaut sur sa dette. Cette crise avait atteint son pic entre la mi-juillet et la mi-septembre 1998, entraînant alors l’effondrement (-38 % en moyenne) des fonds de dette émergente.

Les derniers événements en date mettent en lumière les risques, que nous avons soulignés à maintes reprises, que comportent les fonds de dette émergente et l’exposition des fonds d’obligations mondiales aux marchés émergents (obligations, devises).

Les fondamentaux des marchés émergents sont susceptibles de changer rapidement au gré de l’évolution des régimes politiques, des cours des matières premières ou des risques géopolitiques. En outre, les variations de change peuvent avoir un impact soudain et prononcé sur l’évaluation des risques et des valorisations des obligations émergentes par les investisseurs. La Russie vient nous rappeler que du fait de ces risques, les flux de capitaux à destination des marchés émergents restent susceptibles de fluctuer brusquement et fortement.

L’interrelation de ces risques – notamment l’interdépendance des politiques, devises et flux de capitaux – est et demeurera très difficile à juguler. Le fait que les indices de référence couramment utilisés en matière de dette émergente soient relativement concentrés – notamment, les indices JPMorgan Emerging Market Bond Index pour les fonds en monnaie fortes, JPMorgan Government Bond Index-Emerging Markets pour la dette souveraine en monnaie locale, et JPMorgan Corporate Emerging Markets Bond Index pour les entreprises – signifie que les fonds de dette émergente sont souvent très exposés à certains secteurs, pays et devises, et que certains peuvent être plus sensibles à l’évolution des prix du pétrole.

Les données de Morningstar suggèrent qu’en raison de la récente volatilité, les investisseurs ont eu davantage de difficultés à faire un usage efficace des fonds de dette émergente.

En moyenne, les investisseurs dans les fonds d’obligations émergentes ont manqué environ 41 % des performances totales de ces fonds sur les 10 années passées parce qu’ils n’ont pas su acheter ou vendre leurs parts au bon moment.

C’est pourquoi nous invitons fortement tous ceux qui envisagent d’investir dans des fonds d’obligations émergentes à aborder ces produits dans le cadre d’une allocation stratégique de long terme – cet investissement dans la durée est nécessaire pour surmonter la volatilité à court terme et accroît les chances de capter une plus grande partie des gains d’un fonds dans le temps.

De ce point de vue, les investisseurs à long terme dans un fonds d’obligations émergentes devraient attendre que la volatilité retombe.

 

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A propos de l'auteur

Karin Anderson  est responsable de la recherche fonds sur les stratégies obligataires en Amérique du Nord chez Morningstar.