Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Yoshita Sakakibara, membre de l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management. Les intertitres ont été ajoutés par Morningstar.
Notre prévision de maintien d’une forte croissance aux Etats-Unis est au coeur de notre analyse économique et du marché. Il est donc pertinent de réévaluer en permanence cette hypothèse à la lumière des informations que nous recevons.
Dans l’ensemble, et malgré quelques notes discordantes, nous estimons que les récentes évolutions renforcent nos anticipations. Nous prévoyons par conséquent une progression d’environ 3 % du PIB des Etats-Unis au cours des prochains trimestres et estimons justifiée notre surpondération en actions des grandes capitalisations américaines, notre position acheteuse sur le dollar U.S., et notre positionnement positionnés en vue d’u aplatissement de la courbe des taux des bons du Trésor américain.
Le rapport sur le marché de l’emploi aux Etats-Unis en décembre est rassurant. L’emploi salarié a crû de 252 000, presque exactement la progression moyenne de l’an dernier. Le détail par type d’industrie ne fait apparaître de distorsions importantes par rapport au chiffre global, mais au contraire une robustesse d’ensemble (même l’emploi minier a progressé, sans apparemment souffrir particulièrement de la chute des prix du pétrole).
La combinaison de créations d’emplois et d’un léger allongement de la semaine de travail signifie que les heures travaillées au quatrième trimestre se sont accrues de 3,5 % (en variation annuelle) par rapport au troisième trimestre, annonçant une hausse satisfaisante du PIB même si la productivité reste faible.
Et, même si l’inflation salariale a en réalité récemment ralenti, les ménages bénéficient de cette tendance en matière de recrutement. L’augmentation implicite des salaires des ménages au cours du quatrième trimestre (combinant emplois, salaires et heures travaillées) a évolué à un rythme annualisé de 4,4 %.
Le pétrole, facteur de soutien
Pour ce qui concerne les fondamentaux, nous estimons que la chute des prix du pétrole est un facteur favorable pour l’économie américaine, en particulier pour les dépenses de consommation. Nous quantifions son effet de deux manières. Nous examinons d’abord l’élasticité des dépenses de consommation par rapport aux évolutions des prix du pétrole à la fin des années 1990, le plus récent choc de l’offre dans l’énergie.
Au cours de cette période, le recul de 10 % des prix du pétrole était associé à une accélération des dépenses de consommation réelles d’environ 0,3 points de pourcentage. En appliquant cette relation à la chute actuelle du Brent, la consommation pourrait avoir progressé en termes réels à un rythme d’environ 4 % fin 2014. En second lieu, nous examinons la croissance supérieure à 4% des revenus salariaux totaux ci-dessus mentionnée.
Nous prévoyons une tendance stable, voire en baisse, du taux d’épargne à court terme, étant donné son augmentation quelque peu surprenante au premier semestre de l’an dernier, impliquant un taux de croissance des dépenses nominales de consommation supérieur à 4%. Avec des prix de l’essence en forte baisse, l’inflation globale évolue probablement autour de zéro ou à un rythme négatif, comme le montre le chiffre de –0,3 % en variation mensuelle du CPI en novembre.
La consommation se tient
La progression nominale des dépenses devrait ainsi se traduire presque intégralement en croissance réelle de la consommation. Ces deux argumentations laissent entrevoir de rapides progressions des dépenses de consommation. Il convient d’admettre que l’appréciation du dollar U.S. compense partiellement la bouffée d’oxygène que représente la baisse des prix du pétrole. Mais nous estimons que la seconde l’emportera sur la première, particulièrement à court terme. Le modèle de la Réserve fédérale suggère une pénalisation pour le PIB d’environ 0,25 à 0,50% qui se fera sentir plus tard en 2015.
Ce facteur légèrement négatif survient cependant dans un contexte de solides bilans du secteur privé et d’un dosage macro-économique par ailleurs favorable : d’un côté, un resserrement de la politique de la Réserve fédérale mais de l’autre une évolution de la politique budgétaire s’éloignant de l’austérité pour se rapprocher de la neutralité. Les informations récentes suggèrent trois risques pesant sur notre vision positive de la croissance aux Etats-Unis.
Neutralité du "policy mix"
Tout d’abord, la chute des prix du pétrole a dépassé les prévisions et pourrait annoncer une soudaine diminution de la demande, soit aux Etats-Unis, soit ailleurs. Nous continuons à nous appuyer sur l’explication émanant du côté de l’offre, étayée par la relative stabilité des prix des autres matières premières sensibles au cycle, comme le cuivre (de même que la tendance sans éclat, globalement inchangée, des données macro-économiques de l’Asie émergente globalement inchangées).
En second lieu, la confiance des entreprises mesurée par les enquêtes réalisées aux Etats-Unis a reculé au cours de ces derniers mois. L’indice Markit des directeurs d’achats du secteur manufacturier a par exemple baissé de 57,9 en août à 53,9 en décembre. Au cours de ces derniers trimestres cependant, la relation entre ce type d’indicateurs et les données brutes sur la croissance, comme le PIB ou la production industrielle, s’est presque complètement délitée et nous n’attachons par conséquent désormais qu’une importance limitée aux enquêtes.
Troisièmement, les dépenses d’investissement des entreprises semblent s’être ralenties au quatrième trimestre. Les commandes et les ventes de biens d’équipement ont ainsi plongé en octobre/novembre par rapport au troisième trimestre. Nous interprétons cette décélération comme un rééquilibrage par rapport à des dépenses d’investissement des entreprises supérieures à la tendance au milieu de l’année 2014 et par conséquent comme un soubresaut normal des statistiques plutôt que comme un signe précurseur d’une réduction plus importante de l’activité des entreprises.
Indicateurs à surveiller
La poursuite d’un rythme soutenu des recrutements conforte à notre avis cette vision des choses. Du fait de ces incertitudes, nous allons étroitement surveiller trois catégories d’indicateurs au cours de ces prochaines semaines. Tout d’abord, nous allons surveiller l’environnement général des prix des matières premières en recherchant des signes montrant que d’autres articles de base souffrent de la baisse de la demande.
En second lieu, nous allons chercher des indices probants montrant que les entreprises deviennent moins expansionnistes. Sur le plan de l’investissement, si notre scénario s’avère exact, les commandes de biens durables devraient de nouveau progresser d’ici à la fin du premier trimestre. Plus important, une extension de la prudence des entreprises évoluant des investissements vers les recrutements constituerait une menace pour notre scénario global.
Les statistiques des nouvelles demandes d’allocation de chômage, traditionnellement un excellent signal des points de retournement, joueront le rôle de l’oiseau de mauvais augure. La persistance d’un faible niveau des nouvelles inscriptions début 2015 est plutôt rassurante.
Troisièmement, nous examinerons attentivement les indicateurs des dépenses de consommation, comme les ventes de détail et les statistiques de ventes de voitures pour confirmer la reprise attendue de la demande des ménages. Notre vision de l’économie américaine semble cohérente avec le resserrement de la politique de la Réserve fédérale mi-2015, étant donné le recul en cours du taux de chômage.
Courbe des taux plus aplatie
Cette perspective conforte deux de nos principales anticipations de marché : un aplatissement de la courbe des bons du Trésor américain et une nouvelle appréciation du dollar U.S. Les hausses de taux de la Réserve fédérale devraient pousser à la hausse les taux courts (stimulant à leur tour le dollar), l’extrémité longue de la courbe restant ancrée grâce à la faiblesse de l’inflation et à la chute des rendements internationaux.
Nous prévoyons que le bon du Trésor américain à 10 ans devrait évoluer dans une étroite fourchette d’environ 100 points de base, approximativement entre 1,6 % et 2,6 %. Une croissance relativement forte devrait également favoriser le maintien de notre politique de surpondération en actions des grandes capitalisations américaines.