Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Yoshita Sakakibara, membre de l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management. Les premier et deuxième intertitres ont été ajoutés par Morningstar.
Nous avons connu quelques jours particulièrement agités sur les marchés européens et la fièvre devrait continuer à monter cette semaine, d’une part avec le lancement d’un “véritable” plan d’assouplissement quantitatif (QE) par la Banque centrale européenne (BCE) au cours de sa prochaine réunion de politique monétaire le 22 janvier, désormais largement considéré comme acquis après l’avis juridique favorable émis par l’avocat général auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), d’autre part avec la décision surprise de la Banque Nationale Suisse de renoncer à sa politique de taux de change plancher. Malgré cela, les perspectives de la zone euro restent, selon nous, incertaines.
Les attentes du marché
Si le QE est désormais fermement attendu cette semaine, l’incertitude demeure sur son ampleur et sur les détails, comme par exemple le type de dette qui sera achetée et la clé de répartition des pertes potentielles futures générées par un programme de QE entre les banques centrales nationales.
Concernant son ampleur, la BCE a fait part de son intention de porter de nouveau son bilan au niveau record atteint en 2012, ce qui implique une augmentation de celui-ci d’environ 1.000 milliards EUR. Le consensus de marché penche pour une annonce d’achats d’obligations de l’ordre de 500 milliards EUR mais, quelque peu paradoxalement, le risque est que la BCE se contente de faire ce que le consensus anticipe et que ceci soit jugé a posteriori insuffisant.
A quel niveau le plan sera-t-il jugé “suffisant” ? Les éléments ci-dessus posent clairement la question de la façon de déterminer si la BCE en fait assez et, par extension, de la probabilité de réussite ou d’échec de tout programme de QE de la BCE. Les principaux objectifs de la BCE sont de lutter contre les pressions déflationnistes dans la zone euro et de réanimer une croissance défaillante.
Les pressions déflationnistes se sont de nouveau manifestées la semaine dernière à travers le taux de swap d’inflation anticipé à cinq ans dans cinq ans, qui a chuté pour la première fois en dessous de 1,5 %, aidé en cela par la forte baisse des prix des matières premières.
Il existe peut-être deux moyens différents nous permettant de mesurer la réussite d’un QE de la BCE : 1) va-t-il casser définitivement les tendances déflationnistes en zone euro, ce qui serait certainement un élément positif pour les marchés financiers ; 2) parviendra-t-il à atteindre l’objectif minimal consistant une fois de plus à tout simplement acheter du temps et donner satisfaction aux marchés financiers pendant un moment. A notre avis, la BCE devrait être capable d’atteindre ce dernier objectif mais non le premier, même si elle décidait de surprendre les marchés et d’annoncer un programme d’achats d’obligations plus proche de l’objectif total de 1 000 milliards EUR de bilan.
Sans s’attarder sur les détails relatifs aux canaux par lesquels le QE est supposé fonctionner, nous souhaitons attirer l’attention sur le fait que ce n’était pas l’aspect monétaire de l’économie de la zone euro qui a constitué la principale source de déception en 2014.
Si, par exemple, la croissance de l’agrégat monétaire large M3 n’a certainement pas été optimale, elle a néanmoins connu un solide rebond à 3,1 % en variation annuelle en novembre, évolution plus ou moins en ligne avec les anticipations du début de l’année. C’est le recul de la confiance des entreprises qui a réellement créé la surprise, la plupart des économistes éprouvant les plus grandes difficultés à l’expliquer, si ce n’est par l’impact de la crise ukrainienne.
Risque politique
Des difficultés de nature politique. Il semble probable que le facteur complémentaire qui a joué un rôle important en 2014 ait été l’érosion de la confiance des entreprises dans les responsables politiques et dans leur capacité à trouver des solutions aux problèmes de la zone euro.
Le fait que le sentiment général économique en France ait été particulièrement anémique est certainement révélateur à cet égard mais le signe le plus visible alimentant cette évolution est la montée des partis antisystème dans un grand nombre de pays de la zone euro.
Avec les élections générales prévues en Espagne et au Portugal pour la fin de l’année et en Grèce la semaine prochaine, les risques liés à des évènements politiques vont rester importants. Tant en Grèce qu’en Espagne, les partis antisystème sont en tête dans les sondages d’opinion, en plaidant pour des formules de remise ou de renégociation de dette. L’économie grecque est d’une taille suffisamment réduite pour que chacun puisse espérer une contagion limitée, même dans l’éventualité d’un désaccord majeur entre un nouveau gouvernement grec et ses prêteurs officiels sur une remise de dette (nous estimons qu’un compromis reste envisageable, dans une certaine mesure).
Cependant, l’impact d’une discussion similaire dans le contexte espagnol serait d’une toute autre ampleur. Nous pensons également que le risque extrême d’une confrontation majeure entre la Cour constitutionnelle allemande (GCC) et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ne peut être exclu si la CJUE, qui doit se prononcer plus tard cette année, suit comme prévu l’avis juridique rendu la semaine dernière. L’incertitude générée par ces développements politiques devrait continuer à peser sur les entreprises et les consommateurs pendant un certain temps, même s’il convient d’admettre que le climat des affaires semble avoir atteint récemment un point bas.
Les perspectives des marchés d’actifs européens
Qu’est-ce que tout cela implique pour les actifs européens ? Sur le plan obligataire, nous anticipons un mouvement de convergence accrue des rendements des obligations périphériques vers ceux des pays du coeur de la zone, dans le sillage du QE et nous allons par conséquent surpondérer les obligations souveraines périphériques. Nous sommes neutres sur les obligations souveraines des pays du coeur de la zone pour lesquels nous prévoyons que les rendements resteront ancrés aux niveaux actuels très faibles grâce au QE, bien qu’un rebond initial des rendements, après l’annonce du plan, soit possible.
Pour ce qui concerne les actions, le scénario est plus difficile à dresser. D’un côté, certains fondamentaux plaident en faveur des actions de la zone euro : les valorisations sont bon marché en prenant en compte tout autre critère que le ratio cours comptants/bénéfices, alors que la contraction des bénéfices devrait amorcer un virage cette année et enregistrer une hausse d’environ 16 % (contre 8 % aux Etats-Unis).
La croissance des bénéfices devrait être favorisée par une reprise modérée de la croissance économique et par l’affaiblissement du taux de change de l’euro. Ce dernier est un domaine dans lequel le QE a été positif avant même d’avoir démarré, la parité de change EUR/USD ayant reculé de 17 % par rapport à son pic du mois de mai.
On peut également mentionner le fait que la sous-performance des actions de la zone euro par rapport à leurs homologues américaines (U.S.) a atteint des niveaux extrêmes qui, en de nombreuses occasions passées, auraient signalé un retournement. Cependant, beaucoup de ces arguments suscitent un sentiment de déjà-vu : à l’exception de l’affaiblissement de l’euro, ils étaient tous exacts, dans une large mesure, au début de l’an dernier.
Il existe une possibilité de déception pour les prévisions de bénéfices européens et l’affaiblissement de la monnaie européenne devrait maintenir à distance les investisseurs américains (U.S.) et d’autres continents. Nous allons certainement devoir surveiller attentivement tout signe de redressement plus significatif des bénéfices mais, pour le moment, nous restons neutres sur les actions européennes à l’exception du Royaume-Uni et miserions contre tout rebond qui suivrait une annonce de QE cette semaine.