Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Jonathan Lowe, membre de l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management.
La performance décevante des actions des marchés émergents au cours de ces dernières années a été largement commentée. Depuis 2010, celles-ci ont fait l’objet de corrections progressives en raison de la combinaison du ralentissement des taux de croissance économique, de difficultés politiques croissantes, de la détérioration du rythme d’évolution des bénéfices et de valorisations trop optimistes. Depuis son pic de performance relative atteint début 2011, l’indice MSCI EM a sous-performé de 45% par rapport à l’indice MSCI World !
La performance peu reluisante des actions asiatiques (hors Japon) a par contre été moins remarquée. Les investisseurs asiatiques ont eu collectivement tendance à se plonger la tête dans le sable lorsqu’ils étaient confrontés à cette réalité, en préférant croire que la montée des difficultés sur les marchés émergents provenait en premier lieu, soit de l’Amérique latine, soit de la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique).
Les performances de marché semblent cependant suggérer que l’Asie n’était pas autant préservée de cette évolution que les thuriféraires de la région voulaient bien l’admettre. Au cours des cinq années qui se sont achevées fin 2014, l’indice S&P500 a enregistré une performance annuelle de 15,4% contre 10,9% par an pour l’indice MSCI World.
L’indice MSCI All Country Asia ex-Japan a par contre progressé plus modestement de 5,8% par an. Il convient de reconnaitre que c’est mieux que les 2,1% de l’indice MSCI EM. Mais il est difficile de ne pas en conclure que l’Asie hors Japon a plutôt joué les seconds rôles au cours de ces dernières années.
Pourquoi cette déception ? Dans une large mesure, les mêmes facteurs défavorables à l’investissement dans les marchés émergents étaient également à l’oeuvre en Asie hors Japon. Les taux de croissance dans toute la région ont fortement chuté au cours de ces trois dernières années, au moment où la dynamique suscitée par la croissance effrénée de la Chine dans le sillage de son accession à l’Organisation Mondiale du Commerce se dissipait. Au même moment, les difficultés politiques ont pris de l’ampleur.
Les taux d’intérêt au lendemain de la crise financière mondiale ont été maintenus à des niveaux extrêmement bas pour compenser le déséquilibre provoqué par les flux de capitaux entrants. Mais les économies asiatiques payent désormais la note d’années de politique monétaire laxiste, les taux d’intérêt ayant progressé pour mieux encadrer la croissance excessive du crédit.
Dans ce processus, la politique monétaire a évolué d’une gestion trop accommodante à une gestion trop rigoureuse, pour atténuer la montée des déséquilibres sous-jacents. Sans surprise, des conditions macro-économiques difficiles se sont traduites en performances micro-économiques décevantes.
La combinaison d’un ralentissement des taux de croissance nominaux, d’une hausse des coûts de production, de charges de dépréciation plus élevées et l’effet dilutif de l’émission d’actions nouvelles a entravé la croissance des bénéfices par action (BPA), même si les résultats nets ont légèrement progressé.
Depuis 2010, les prévisions optimistes de croissance des bénéfices de 12%-15% dévoilées au début de chaque année civile ont été progressivement révisées en baisse au fur et à mesure que chaque année concernée se déroulait. En 2012 Goldman Sachs utilisait le chiffre de 39,10 USD pour la prévision de BPA de l’indice MSCI Asia Pacific ex-Japan pour l’année civile 2013.
Dans sa note de novembre 2014 décrivant les perspectives 2015 de la zone Asie Pacifique, Goldman Sachs utilisait encore ce chiffre de 39 USD, mais cette fois pour l’année civile 2015.
Bien que douchés par la déception suscitée par cette récente performance, la plupart des prévisionnistes maintiennent pour cette année un positionnement haussier par défaut et voient de nombreuses raisons pour lesquelles l’atonie des performances de ces dernières années pourrait être arrivée à son terme.
En raison de l’intensité énergétique de la région et du fait que la plupart de ses économies sont plutôt consommatrices que productrices de pétrole, la chute des prix apparait comme un facteur nettement positif.
Les conséquences d’une baisse des prix du pétrole devraient contribuer à favoriser la consommation, réduire l’inflation, accroître la flexibilité de la politique monétaire et améliorer les termes de l’échange. Par comparaison avec l’Amérique latine et la zone EMEA, les avantages de la baisse des prix du pétrole devraient être nettement plus visibles en Asie.
Pourtant, curieusement, les marchés d’actions de la région n’ont pas réagi à ce stimulus comme l’avaient pourtant annoncé les tenants de la hausse. Depuis la fin du mois de septembre, les prix du Brent brut ont reculé de presque exactement 50%. Mais au cours de la même période, l’indice MSCI Asia ex-Japan a progressé de moins de 3%, alors que la Corée (-7% en US dollar) et les marchés de l’ASEAN (-4% en US dollar) ont réellement reculé en valeur.
La raison de cette performance décevante pourrait être structurelle. Au moment où le monde développé se débat avec les conséquences d’une demande en berne et une “stagnation à long terme”, les économies de l’Est asiatique sont également confrontées à un grand nombre de défis structurels dans lesquels leurs dirigeants politiques ne disposent que d’une faible expérience. La première difficulté concerne la hausse du niveau d’endettement.
Selon Morgan Stanley, l’endettement de la région est passé de 147% du PIB en 2007 à 203% du PIB en 2013. le principal coupable est la Chine (dont le ratio dette/PIB a progressé de 148% à 241%), mais six autres économies (Malaisie, Taiwan, Thaïlande, Hong Kong, Singapour et Corée) ont désormais des ratios dette/PIB supérieurs à 190%.
La seconde difficulté est la désinflation. Les dirigeants politiques régionaux ont, dans l’ensemble, une plus grande expérience de l’inflation, mais l’affaiblissement de la demande intérieure et le désendettement qui commence suscitent une désinflation qui s’enracine de façon surprenante.
Sept pays sur dix de la zone Asie hors Japon présentent des tendances négatives d’évolution de leurs indices des prix à la production, en territoire déflationniste pendant une longue période. L’affaiblissement du pouvoir de fixation des prix des entreprises semble constituer la principale cause de la montée de ces pressions déflationnistes.
Le troisième défi concerne le ralentissement rapide de la démographie régionale. La Chine, Hong Kong, Singapour, la Corée, Taiwan et la Thaïlande sont tous confrontés à une détérioration de leur profil démographique, dans lequel le ratio de dépendance (le ratio de la population active par rapport à la population totale) a déjà commencé à s’infléchir.
Selon les projections des Nations Unies, la population en âge de travailler (15-64 ans) va commencer à reculer en Chine, à Hong Kong, en Corée et en Thaïlande avant la fin de 2020. Cette détérioration des tendances démographiques va constituer une contrainte naturelle pour la croissance.
Si l’Asie émergente pourrait se trouver mieux positionnée sur le plan cyclique que les autres régions émergentes pour bénéficier de la baisse des prix du pétrole, la région est confrontée à un grand nombre de difficultés structurelles qui ne doivent pas être perdues de vue. Dans quel délai les banques centrales asiatiques vont t’elles rejoindre leurs homologues du monde développé sur la voie du quantitative easing ?