Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par David Shairp, membre de l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management.
La Grèce au bord du gouffre. Nous avons vécu la semaine dernière en Europe une situation supposée révolue, lorsque les négociations entre la Grèce et le reste de la zone euro ont semblé se fourvoyer dans une impasse.
Réclamées par le gouvernement grec fraîchement élu, les discussions sur un nouveau programme de réformes dans le cadre du sauvetage du pays ont tourné court: les autres Etats de la zone euro ne voyaient pas l’utilité de débattre d’un nouveau programme avant que celui actuellement en vigueur ait été mené à bien.
La réunion des ministres des finances de la zone euro a donc abouti à un échec aux premières heures de vendredi, bien qu’elle ait été très proche de l’acceptation d’un compromis. De nouveaux pourparlers ont débuté dans l’intention de trouver des points de convergence.
Le compte à rebours est désormais enclenché jusqu’à la fin du mois, date ultime fixée à la Grèce pour accepter les termes du programme de la Troïka, date prévisible également, selon certains investisseurs, de l’épuisement par la Grèce de ses liquidités disponibles et donc d’un probable défaut.
Issues possibles
Il semble que les marchés sont trop optimistes sur les perspectives de conclusion d’un accord avec la Grèce. Ceci malgré le fait que le marché des swaps de défaut de crédit ait intégré dans les prix une probabilité de défaut d’ici à 5 ans de l’Etat grec supérieure à 80 %.
Si plusieurs participants ont déclaré qu’une transaction interviendrait après une phase de simulacre de pugilat, il existe un courant d’opinion sous-jacent affirmant la nécessité d’une position ferme, ne serait-ce que parce que la Grèce semble n’avoir que peu ou pas de marge de manoeuvre.
Le gouvernement grec poursuit des objectifs incohérents : obtenir une remise de dette tout en restant dans l’euro. Les sondages d’opinion montrent que 75 à 80 % des grecs veulent rester dans l’Union européenne, bien que l’ampleur du vote Syriza aux élections indique également une claire préférence pour une remise de dette du fait du mandat reçu par ce parti. Le défi à relever est de trouver une issue acceptable par les gouvernements de la zone euro comme par le peuple grec.
Il est tentant d’assimiler cette situation à l’une des “inconnues connues” évoquées par Donald Rumsfeld lorsqu’il entendait par là qu’il convient d’être conscient que certaines choses existent que nous ne connaissons pas. Mais y-a-t-il des “inconnues inconnues” dont nous devrions nous méfier ? Certains ont établi des parallèles avec la faillite de Lehman en 2009, de telle sorte qu’il serait bien présomptueux de supposer que la rationalité finira toujours par l’emporter.
Prendre en compte le scénario du pire
La question transgressive méritant d’être posée est de déterminer si un défaut de la Grèce et sa sortie de la zone euro sont susceptibles de présenter des avantages.
A cet égard, les comparaisons historiques avec l’Argentine et le Brésil, qui ont abandonné leur système de change fixe, pourraient être pertinentes.
La première leçon (commune) des exemples latino-américains est qu’une volonté politique considérable est nécessaire. La leçon argentine montre que le processus de défaut, dévaluation puis récession, a été contre-productif parce qu’un énorme déséquilibre en devises est apparu dans le secteur privé et dans le système bancaire. Par contraste, le Brésil n’a pas été confronté à ce déséquilibre en devises : sa sortie d’un système de parité de change fixe s’est avérée positive pour la croissance de l’économie.
Actuellement, la Grèce se dirige vers un excédent budgétaire primaire (équilibre budgétaire hors service de la dette), alors que sa balance courante évolue vers une position excédentaire. Même si l’excédent primaire a vraisemblablement reculé du fait que la collecte des impôts a pâti de la récente incertitude politique, il confère au pays une certaine marge de manoeuvre par rapport à ses créanciers.
De plus, la majeure partie de la dette grecque est de nature publique, principalement détenue par des institutions étatiques, mais on ne sait pas avec certitude s’il existe un déséquilibre en devises important. Si un défaut constituerait la pire des issues – relativement peu probable – les investisseurs seraient bien avisés de ne pas le juger impossible pour autant.
Notre hypothèse centrale repose sur un accord comportant un allègement de la dette, assorti en contrepartie d’un nouveau plan de réformes internes.
Déflation et perturbations sur les parités monétaires
La Riksbank, banque centrale de Suède, a marqué les esprits la semaine dernière en étant la première, dans le cycle actuel, à faire évoluer son taux officiel de repo en territoire négatif. De plus, cette décision annonce le début d’une phase de quantitative easing (QE), s’élevant à 10 milliards SEK, soit 1 % du PIB. Après cette annonce, la couronne suédoise a reculé à son plus bas niveau contre le dollar US depuis avril 2009.
Cette décision semble étrange étant donné l’absence de difficultés du système bancaire suédois. Les prix des logements progressent fortement, soutenus par la forte croissance du crédit. L’inflation suédoise est cependant négative depuis deux ans, alors qu’il existe un danger de demande excessive de liquidités.
Cette situation contraste avec celle d’autres pays ayant également annoncé un QE, dans lesquels le cycle de crédit est généralement bien moins solide. La décision suédoise est probablement due à l’entrée en scène du programme de QE de la BCE (Banque centrale européenne) qui doit débuter en mars. A cet égard, la Riksbank n’est pas un cas isolé. Les banques centrales suisse et danoise ont également réagi : les danois ont abaissé leurs taux d’intérêt à quatre reprises au cours de ces trois dernières semaines alors que la Banque nationale suisse a laissé sa monnaie s’apprécier.
Ces épisodes reflètent la difficulté de gérer une politique monétaire (et le bilan d’une banque centrale) face à une devise d’ancrage de bien plus grande ampleur. Ces difficultés peuvent être aggravées lorsque la banque centrale de la devise d’ancrage modifie de façon agressive sa politique monétaire, comme l’a fait la BCE.
Une perturbation similaire peut se produire lorsque la banque centrale d’un important partenaire/concurrent commercial change brutalement de politique – par exemple la Banque du Japon qui a assoupli agressivement sa politique monétaire en exportant ses pressions déflationnistes, en particulier vers la Chine et la Corée.
Une question vient à l’esprit : dans quel domaine les investisseurs actifs peuvent-ils trouver des opportunités d’allocation d’actif au cours de ces prochains trimestres? La réponse semble résider dans les marchés des devises, sur lesquels les valorisations sont susceptibles d’atteindre des valeurs extrêmes.