Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Patrick Schöwitz, membre de l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management. Le texte a été édité et un inter-titre a été ajouté par Morningstar.
Un scénario de deux (ou trois) cycles différents
Au moment où s’achève la saison des publications des résultats du quatrième trimestre aux Etats-Unis et alors que celle-ci bat son plein en Europe, il semble opportun de s’intéresser à ce que l’année 2015 pourrait nous réserver dans le domaine des bénéfices.
En prenant un peu de recul, les trois grands marchés d’actions des pays développés ont connu des cycles de bénéfices très différents au cours de ces dernières années (voir le graphique de la semaine).
Aux Etats-Unis, les bénéfices ont progressé de façon régulière depuis le rebond initial de 2010 postérieur à la récession, encore que leur croissance a connu un ralentissement prononcé au cours d’une partie de l’année 2013. Les bénéfices ont ainsi dépassé, dès mi-2011, leur pic antérieur à la récession.
Au Japon, la croissance des bénéfices a été tout simplement explosive dans la foulée des Abenomics et de la dépréciation du yen qui a débuté fin 2012. Les bénéfices japonais retrouvent actuellement leur pic antérieur à la crise.
A l’inverse, en Europe continentale, le rebond initial des bénéfices postérieur à la crise a connu un coup d’arrêt brutal en 2011/2012 lors de la crise de l’euro. Si le rebond initial postérieur à la crise n’a pas été très différent de ce qu’ont vécu les Etats-Unis, la croissance des bénéfices sur une période glissante de 12 mois est devenue de nouveau négative en février 2012 et elle est restée sur cette trajectoire pendant près de trois ans jusqu’en décembre 2014, date à laquelle la tendance est redevenue positive. Il convient néanmoins de rappeler qu’à ce stade les bénéfices en zone euro restent inférieurs de près de 37 % à leur pic de 2007.
Des signes de vitalité en Europe
Nous soutenons depuis un certain temps qu’un redressement réel et durable du cycle des bénéfices en Europe continentale serait une condition nécessaire pour susciter une vision positive à moyen terme sur les actions européennes.
Cela tient en partie au fait que celui-ci allait nécessairement de pair avec une reprise de l’économie mais aussi à la situation particulière des valorisations en Europe continentale.
En utilisant l’indice MSCI Europe ex UK, les ratios PE (cours/bénéfices) tendanciels sur 12 mois et PE anticipés sur 12 mois sont en ligne avec leurs moyennes de long terme, alors que le ratio PE corrigé des variations conjoncturelles (en utilisant la moyenne mobile des bénéfices sur 10 ans) reste inférieur de près de 33 % à sa moyenne.
Les bénéfices en Europe restent de façon évidente extraordinairement déprimés. S’ils pouvaient retrouver un niveau plus normal dans un futur prévisible, une telle évolution rendrait les valorisations des actions européennes très attractives.
Actuellement, le consensus bottom-up (fondé sur une analyse fondamentale) anticipe une croissance proche de 15 % pour les bénéfices en zone euro cette année, amplitude qui, pour la première année de rebond, ne serait pas inhabituelle.
Ceci pourrait prendre de court certains investisseurs dans la mesure où les anticipations top-down (macro-économiques) de bénéfices pour l’Europe semblent confuses.
De nombreux stratégistes sell-side concentrés sur leurs chiffres, sur une base pan-européenne, ne semblent pas avoir réalisé qu’une prévision de croissance européenne à un chiffre dans le milieu de la fourchette n’est pas très pertinente lorsqu’elle masque une croissance négative des bénéfices au Royaume-Uni, comprise entre 5 et 10%, mais une croissance positive proche de 15 % en Europe continentale.
Le problème de ce scénario positif est que nous l’avons déjà expérimenté antérieurement.
Tous les arguments positifs ci-dessus étaient également défendus début 2014 mais l’issue s’est révélée décevante. Pour être juste, il convient de rappeler que le redressement actuel du momentum macro-économique de la zone euro semble désormais plus convaincant que celui qui était attendu l’an dernier, en raison de la combinaison d’un assouplissement de la politique monétaire ainsi que des conditions de crédit (avant même que le programme de quantitative easing ait réellement débuté), du recul des prix du pétrole, de la fin du resserrement budgétaire et de la récente dépréciation de l’euro.
Le dernier des facteurs précités devrait aussi constituer un soutien de poids pour les bénéfices.
Cependant, le principal facteur qui a semblé faire dérailler la reprise économique naissante de l’an dernier a été le début du conflit ukrainien qui a gravement entamé la confiance des entreprises en Europe.
L’impact du conflit sur la confiance semble s’être atténué comme le montre l’amélioration régulière enregistrée par les indices de mesure de la confiance, mais le conflit pourrait encore s’aggraver. De même, à ce stade, une sortie de la Grèce de la zone euro ne peut être exclue.
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Le cas américain
Il est prématuré de se désintéresser des bénéfices américains (US). Pour ce qui concerne les Etats-Unis, une grande majorité des entreprises de l’indice S&P500 a déjà publié ses résultats du quatrième trimestre.
La croissance au cours de cette période devrait atteindre 6 à 7% en variation annuelle. Ce chiffre peut sembler décevant par rapport aux anticipations élaborées au début du trimestre, autour de 11 %, mais il s’explique largement (sans surprise) par la faiblesse des bénéfices du secteur de l’énergie.
Hors énergie, la croissance des bénéfices semble plus proche de 10 %, et en excluant en plus le secteur de la finance (marqué par des éléments exceptionnels de grande ampleur), celle-ci pourrait atteindre 13 %.
Sur cette base, leur croissance a en réalité encore accéléré, les marges continuant à atteindre de nouveaux records malgré le handicap que représente la force du dollar US.
Pour la suite, de nombreux commentateurs top-down sont devenus carrément baissiers sur les bénéfices 2015 aux Etats-Unis, en anticipant au mieux une croissance à un chiffre plutôt dans le bas de la fourchette.
Si cela est cohérent avec le consensus bottom-up qui table sur leur croissance à hauteur d’environ 2,5 %, nous souhaiterions attirer l’attention sur le fait qu’en excluant l’énergie, celle-ci ressort à 9,5 %.
Il est vrai qu’il existe un risque de baisse de ce chiffre dû au fait que les marges sont déjà élevées et que de nouveaux handicaps liés à la force du dollar pourraient apparaître, mais l’accès de faiblesse des bénéfices concerne principalement le secteur de l’énergie.
Pour le reste du marché, parvenir à une croissance à un chiffre des bénéfices qui se situerait entre le milieu et le haut de la fourchette, ne nous semble pas une mauvaise performance.
Clairement, la récente dynamique a tourné en faveur de l’Europe et elle devrait se poursuivre encore un certain temps mais nous estimons qu’il est trop tôt pour se désintéresser des bénéfices US.
La consistance de la croissance des bénéfices est importante et, sur ce point, le marché américain (US) demeure sans rival et les actions américaines (US) restent notre principale surpondération sur les actions.