Berkshire Hathaway fêtera cette année ses 50 ans. La société n’a mis en ligne ses rapports annuels que depuis 1977, aussi c’est à partir des lettres à ses actionnaires publiées depuis cette date que nous vous proposons de partager quelques commentaires de « l’oracle d’Omaha », tout en retraçant les jalons financiers de son entreprise.
Cette lettre est intéressante à plus d’un titre : elle montre tout d’abord l’inscription dans le long terme des investissements engagés par Buffett. Elle offre aussi au dirigeant l’occasion d’édicter les règles d’acquisition de titres et de sociétés mises en œuvre jusqu’à ce jour.
« La plupart de nos investissements seront détenus pour de nombreuses années et l’évaluation de ces investissements se fera à travers les résultats des sociétés acquises sur cette période, et non par les cours au quotidien. Tout comme il serait stupide de ne regarder que les perspectives de court terme lorsque l’on acquiert une entreprise, nous pensons qu’il est tout aussi déraisonnable de se focaliser sur les perspectives bénéficiaires de court terme lorsque l’on achète une participation dans une entreprise, c’est-à-dire des actions cotées. »
« Nous sélectionnons nos titres de la même manière que nous évaluons une entreprise que nous rachetons. Nous voulons que l’affaire soit (1) compréhensible, (2) qu’elle présente des perspectives de long terme favorables, (3) qu’elle soit gérée par des personnes honnêtes et compétentes, et (4) qu’elle soit disponible à un prix très raisonnable. Nous n’acquérons pas de titres cotés parce que les perspectives d’évolution de leur cours de Bourse à court terme sont favorables. En fait, si les perspectives d’activité nous satisfont, nous serons heureux de voir les cours baisser car ils nous offriront une opportunité d’acheter davantage d’une bonne chose à un prix encore plus bas. »
Cette année-là, Berkshire Hathaway reste largement une entreprise de textile, mais le gros des résultats sont générés dans l’assurance, notamment à travers le portefeuille d’investissements. Au plan opérationnel, le groupe génère un chiffre d’affaires de 500 millions de dollars et emploie 7.000 salariés. Il dégage un profit avant impôt de 66 millions de dollars, dont 3 environ dans l’activité textile.
Evoquant son programme de prises de participations minoritaires dans des entreprises cotées dans le cadre de son portefeuille d’investissement, Buffett écrit :
« Ce programme d’acquisition de portions d’entreprises (actions ordinaires) à des prix dépréciés, pour lequel il existe peu d’enthousiasme, contraste nettement avec l’activité de fusions-acquisitions, qui génère beaucoup d’enthousiasme. Il nous semble dès lors très clairement que soit les entreprises commettent d’énormes erreurs en achetant des affaires dans leur intégralité à des prix qui se négocient dans ce type de transactions ou offres de rachats, ou que nous allons gagner beaucoup d’argent en achetant des parts d’entreprises à des niveaux nettement dépréciés par rapport aux cours de Bourse. »
« Nous ne nous intéressons pas de savoir si le marché fera rapidement monter les prix des titres que nous achetons sur une base dépréciée. En fait, nous préférons l’inverse, la plupart du temps, nous espérons disposer des fonds nécessaires pour nous porter acquéreurs nets de titres. »
Buffett fait également ce commentaire sur les dividendes et le réinvestissement des bénéfices.
« Nous ne sommes pas mécontents si nos filiales conservent l’intégralité de leurs profits si elle utilisent ces fonds en interne avec des rendements attrayants. Pourquoi devrions-nous réagir différemment lorsque des entreprises dont nous ne sommes qu’actionnaires minoritaires décident également de conserver l’intégralité de leurs bénéfices, et où les perspectives de réinvestissement semblent encore plus profitables en matière d’emploi du capital. »
Les nouveautés de la lettre de 1979 portent notamment sur l’investissement obligataire et sur la communication financière.
Mais la lettre commence par une charge en bonne et due forme contre l’obsession des investisseurs pour la croissance du bénéfice par action (EPS pour « earnings per share » en anglais).
« Le principal test de la performance économique de dirigeants est la réalisation d’un niveau élevé de rentabilité du capital employé (sans endettement excessif, manipulation comptable, etc…) et non la réalisation d’une croissance continue du bénéfice par action. »
« A notre avis, de nombreuses affaires seraient plus facile à comprendre par leurs actionnaires (…) si le management et les analystes financiers se départaient de leur intérêt primaire pour le bénéfice par action et sur les variations annuelles de cette mesure. »
Buffett rappelle également un principe central de sa philosophie d’investissement :
« L’énergie et le talent sont bien mieux employés dans une bonne affaire achetée à un prix raisonnable que dans une affaire de moindre qualité achetée à un prix cassé. »
Concernant la communication financière et le degré de transparence du aux actionnaires, Buffett souligne là encore quelques principes de bon sens :
« Nous considérons que vous, les propriétaires, avaient droit au même niveau de reporting de la part de vos dirigeants que celui que nous considérons nous être dû par les dirigeants des activités contrôlées par Berkshire Hathaway. A l’évidence, le degré de détail n’est pas le même, en particulier si l’information peut être utile à des concurrents. Mais les vues d’ensemble, l’équité, le degré de sincérité devrait être similaire. Nous n’attendons pas un document de relations publiques lorsque nos managers nous rapportent l’état de nos affaires, et nous ne pensons pas que vous devez être traités différemment. »
« En grande partie, les entreprises obtiennent la base d’actionnaires qu’elles recherchent et qu’elles méritent. Si leur communication est centrée sur les résultats de court terme ou des réactions boursières de court terme, elles attireront des actionnaires qui se focalisent sur ces mêmes facteurs. Et si elles se montrent cyniques dans la façon dont elles traitent leurs actionnaires, ce cynisme finira par leur être retourné de la part de la communauté financière. »
Enfin, la lettre se clôture sur quelques commentaires sur le mode de fonctionnement de Berkshire Hathaway.
« Votre société est conduite sur le principe d’une centralisation au sommet des décisions financières et sur une délégation relativement extrême de la gestion opérationnelle à un ensemble de responsables au niveau de chaque entreprise. (…)
Cette approche produit occasionnellement des erreurs majeures qui auraient pu être éliminées ou minimisées avec un contrôle plus resserré au plan opérationnel. Mais cela élimine aussi d’importantes couches de coûts et accélère de manière radicale la prise de décision. (…) Cela nous permet aussi d’attirer et de garder des individus très talentueux – des personnes qui ne peuvent être embauchés selon un cours normal d’événements – et qui considèrent que travailler chez Berkshire est équivalent à avoir leur propre show. »