RF Research: L’inconnue grecque

Après l'arrêt des négociations entre la Grèce et l'Eurogroupe, quels scénarios envisager ?

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Cet article fait partie de la série "Perspectives", qui regroupe des contributions externes à Morningstar. Le texte qui suit a été rédigé par Véronique Riches-Flores, Présidente de RF Research, un cabinet d'analyse et de conseil indépendant. 

Les chances que la Grèce honore son remboursement au FMI mardi sont très faibles

Il s’agit, à ce stade, du point le moins discutable : la Grèce ne pourra probablement pas rembourser le FMI de la somme de 1,6 milliards due d’ici mardi soir. Le pays sera-t-il de facto en situation de défaut de paiement et à ce titre privé de moyen de financement ? La réponse à cette première question est loin d’être actée.

La procédure du FMI pour déclarer un pays en défaut est faite de multiples étapes successives s’échelonnant sur de nombreux mois, voire années. À ce stade, seule l’information par la Présidente du FMI d’un arriéré de paiement de plus de trente jours (délai déjà utilisé par Athènes en début de mois) au conseil d’administration de l’Institution est obligatoire. Cette information sera, le cas échéant, suivie d’une plainte deux mois après.

Le non-paiement pourrait donc encore se transformer en « incident » de paiement que la tenue d’un référendum permettrait, éventuellement, de justifier. Que peut-il se passer durant cette période de carence ? Cela dépendra vraisemblablement dans une large mesure des résultats du référendum de dimanche prochain sur le contenu du programme proposé par les institutions internationales et publié par la Commission Européenne ce week-end.

1- Un « oui » majoritaire, permettrait la reprise de négociations sur la base des propositions arrêtées vendredi en fin de journée, incluant pour les points les plus litigieux : une nouvelle réforme des retraites, une nouvelle baisse des dépenses au FMI et les échéances à suivre, dont la prochaine de 3,5 milliards d’euros du 20 juillet à la BCE. Dans un tel cas de figure se pose toutefois la question de savoir qui poursuivrait les discussions avec les institutions internationales. A. Tsipras ayant appelé au rejet de ces propositions, le désaveu auquel il serait confronté signifierait sans doute sa démission et la convocation de nouvelles élections qui nécessiteraient de facto plusieurs semaines de préparation et d’incertitudes sur leur issue et, potentiellement, celle du dossier de la dette...

2- Un « non » au référendum renverrai la balle aux créanciers contraignant ces derniers, soit à revoir leurs propositions, soit à acter, sous une forme ou une autre, la sortie de la Grèce de la zone euro. Adjoindre aux propositions en présence un programme de renégociation de la dette, demandé par Athènes depuis le début des négociations, pourrait constituer une porte de sortie à l’heure où de nombreux spécialistes s’accordent sur la nécessité d’une telle décision. La tribune de l’ex-Président du FMI durant le week-end (ici) proposant l’arrêt de tout versement du FMI et de l’UE contre une renégociation du montant et de la durée de la dette pourrait ouvrir une nouvelle piste éventuelle de reconsidération de ce dossier. La probabilité de telles évolutions demeure toutefois très incertaine à en juger par l’opposition de plusieurs pays membres. La réunion que tiendra Madame Merkel avec les représentants des différents partis politiques allemands demain lundi, sera sans doute décisive. Sauf changement radical de la position allemande affichée avant dimanche prochain, un « non » majoritaire signifierait une augmentation très significative du risque d’échec définitif du processus de négociation, avec à la clé une sortie de la Grèce de la zone euro.

Les mesures pour prévenir un chaos financier sont en cours d’adoption

La BCE n’a pas le pouvoir de prendre sous sa responsabilité une interruption de l’approvisionnement en liquidités des banques grecques. Elle a de fait, dès samedi, annoncé la poursuite du mécanisme de financement ELA sans toutefois en modifier le montant. Les contraintes sur les banques grecques devraient donc s’amplifier face aux retraits massifs exercés par les résidents aux distributeurs. Après moult informations contradictoires dans la journée de dimanche, un contrôle des capitaux semble avoir été instauré dans la soirée. Les banques, fermées durant la journée de lundi, risquent de rester closes toute la semaine selon les recommandations du conseil de stabilité financière du pays, tandis que les retraits ne pourront excéder 60 euros par jour d’ici au référendum. 

Aucune autre disposition n’a pour l’instant filtrée, notamment pour ce qui concerne les actions envisagées en dehors du pays. Toutefois, des moyens supplémentaires pourraient être mobilisés par la BCE pour faire face au risque de tensions extrêmes sur les marchés, notamment en ce qui concerne les marchés souverains du sud de l’Europe. Les moyens d’action de la BCE existent et pourraient prendre l’allure de mesures spécifiques sous des formes diverses : extension ou modification des règles initiales du QE qui permettraient d’agir plus efficacement sur les marchés les plus exposés ou adoption d’un programme d’urgence spécifique pour contrer les tensions sur les pays du sud. Ces dispositifs, quels qu’ils soient in fine ne permettront pas d’éviter des réactions d’ampleur sur les marchés financiers dans les jours à venir.

Les scénarios de l’inconnue

L’accélération de la crise européenne, sur fond, par ailleurs de regain de volatilité des marchés financiers depuis la mi-avril, est source, c’est entendu, de regain de volatilité dont il est, à ce stade difficile de prévoir l’ampleur et la durée. À très brève échéance trois réponses immédiates à cette accentuation de la crise devraient s’imposer :

1- Une correction mondiale des marchés d’actions que nous indiquent déjà les marchés asiatiques, quand bien même ces derniers sont aussi affectés d’incertitudes locales (forte contraction de 2,2 % de la production japonaise au mois de mai ; nouvelle baisse des taux directeurs chinois annoncée ce week-end après une accélération de la chute des marchés locaux la semaine dernière). Le risque que ce regain de volatilité ouvre la voie à une correction d’ampleur au niveau mondial est élevé à en juger par la fragilité déjà en place soulignée lors de la mise à jour de notre scénario de juin, et aux effets boule de neige susceptibles notamment d’être alimentés par les évolution des marchés des changes. Notre scénario d’un net repli du DAX à même d’effacer la quasi-intégralité des gains de l’année s’en trouve incontestablement renforcé de même que notre prévision d’un repli de l’euro-stoxx 50 dans la région des 3000-3200 points.

2- D’importants mouvements sur les marchés obligataires beaucoup plus désordonnés toutefois que sur les marchés d’actions.

a. Les développements de ce week-end devraient avoir pour conséquence d’évacuer l’hypothèse d’une hausse des taux de la Fed d’ici la fin de l’année et, ce faisant, de faire refluer les taux longs américains dans des proportions qui dépendront de l’onde de choc internationale de la crise européenne et de la hausse du billet vert. À brève échéance, un retour des rendements des T-Bonds à dix ans aux environs de 2,20 % (contre 2,47 % vendredi) semble assez vraisemblable.

b. En Allemagne, le Bund devrait également bénéficier d’un effet de valeur refuge à même de faire sensiblement reculer le rendement des Bunds, sans doute vers le niveau de 60 points de base (contre 0,90 % vendredi). La France devrait profiter également de ce mouvement, au moins dans un premier temps, d’accroissement persistant d’un scénario de sortie de la Grèce de la zone euro risquant toutefois de rendre l’environnement de taux français plus délicat à terme.

c. L’ampleur des tensions susceptibles de prendre place sur les marchés de sud de l’Europe est difficilement prévisible, on peut toutefois redouter des hausses des taux à dix ans italiens, portugais et espagnols de plus de 50 points de base dès ce lundi qui, ajoutées aux mouvements enregistrés ces dernières semaines rehausseraient sensiblement les coûts de financement des États concernés.

3- La situation actuelle est fondamentalement négative pour le cours de l’euro et représente un risque non négligeable de repli précipité de la devise européenne, au contraire de ce que privilégie notre scénario central d’une hausse graduelle de l’euro en l’absence de hausse des taux directeurs américains.

En créant un précédent, une éventuelle sortie de la Grèce de l’union monétaire porterait un discrédit considérable sur l’avenir de la monnaie unique que sa valeur devrait in fine refléter. Si la chute de l’euro peut être limitée par les effets de carry-trade tant que des doutes subsistent sur l’éventualité d’une sortie de la Grèce de l’UEM, il ne fait aucun doute que le seul creusement des écarts de taux ne permettra guère de prévenir un effondrement de la devise dans le cas où cette hypothèse continuerait à s’accroître. Un nouvel effondrement de l’euro aurait des conséquences très néfastes sur les marchés des changes internationaux, recréant sans tarder les conditions d’un regain de tensions multiples à l’image de ce qui s’est passé en début d’année, notamment en Asie. Nous tablons à ce stade sur un repli du cours de l’euro-dollar dans la région de 1,08USD dans les tout prochains jours et rapidement vers/sous la parité en cas de montée des anticipations de sortie de la Grèce de l’UEM.

4- Repli des matières premières, remontée des métaux précieux. La tournure du dossier grec sur fond de fébrilité des marchés financiers internationaux suggère un nouveau repli généralisé des cours des matières premières que devrait en particulier illustrer le reflux des cours du pétrole dans les prochains jours. Les métaux précieux seront, en revanche, vraisemblablement plébiscités dans un contexte où la plupart des autres actifs sont largement exposés aux pressions baissières ou à une incertitude croissante.

 

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A propos de l'auteur

Véronique Riches-Flores

Véronique Riches-Flores  Présidente de RF Research, cabinet indépendant d'analyse économique et financière.