Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Thushka Maharaj, stratégiste Multi-Asset Solutions au sein de l'équipe de gestion de J.P.Morgan Asset Management.
Les inquiétudes sur les perspectives de croissance des pays émergents ont provoqué une hausse de la volatilité au sein des classes d’actifs, mais l’absence de réaction positive des marchés obligataires à la volatilité accrue des cours sur les marchés d’actions suscite la perplexité.
Parallèlement, la corrélation entre ces deux classes d’actifs se renforce. S’il est difficile d’attribuer ce phénomène à une cause unique, nous voyons un lien entre la baisse des réserves de change et la pression vendeuse s’exerçant sur les bons du Trésor américain.
Dans ce Bulletin, nous examinons la détention étrangère des bons du Trésor américain et étudions l’impact, s’il en existe un, de la baisse des réserves de change sur la duration. Nous analysons également les conséquences de la décision de la Réserve fédérale en septembre, dans une perspective multi-actifs.
Beaucoup se sont intéressés à la baisse des réserves de change et à la réaction en chaîne qu’elle est susceptible de provoquer sur les marchés obligataires. Son impact global est difficile à évaluer du fait des forces contraires qui sont en jeu : les forces désinflationnistes générées par la faiblesse des marchés émergents, opposées à la pression vendeuse provoquée par la défense de leurs devises. De plus, comme les grandes nations émergentes ont encore des excédents courants, les liquidités du secteur privé et les sorties de capitaux pourraient continuer à être recyclées dans les bons du Trésor américain. Cependant, à court terme, la pression vendeuse exercée par les banques centrales paraît constituer la force dominante.
A titre d’exemple empirique, on peut citer l’absence de réaction positive du marché obligataire au cours de la dernière déroute du marché des actions. Plus intéressante cependant, la sous-performance des obligations par rapport aux swaps sur taux d’intérêt (un indicateur habituel de tension sur les marchés), malgré un nouveau pic de volatilité (VIX).
Depuis 1998, on ne dénombre que 15 épisodes au cours desquels les actions américaines ont reculé de 10 % ou plus à un horizon de deux semaines, et au cours de tous ceux-ci, sauf un, les obligations ont surperformé par rapport aux swaps. L’exception antérieure à cette année s’est produite en 2008 et, fait intéressant, elle a coïncidé avec des sorties de réserves de change des marchés émergents. Nous analysons cela comme un signal suggérant la vente de bons du Trésor américain par les détenteurs publics étrangers. Mise à part la sous-performance des obligations par rapport aux swaps, d’autres signaux techniques émanant des marchés obligataires indiquent un mouvement vendeur étranger : la dépréciation de segments moins liquides (Segment à 20 ans par exemple), la progression des stocks des courtiers en bons du Trésor américain et la hausse des allocations des courtiers au cours des adjudications de bons du Trésor américain.
En réalité, les dernières statistiques du Treasury International Capital (TIC) émanant du Trésor américain pour le mois de juillet montrent que l’encours des bons du Trésor détenus par les chinois a reculé de 30 milliards de dollars au cours du mois alors que l’encours des bons du Trésor détenus par les belges a diminué de 53 milliards de dollars. Le secteur public étranger a été vendeur net de bons du Trésor américain depuis octobre 2014. Depuis lors, les positions chinoises (y compris celles de Hong Kong et de la Belgique) ont reculé de 180 milliards de dollars - soit une diminution de 10 % en l’espace de neuf mois.
Un autre signal technique intervenu au cours du mois dernier a été le renforcement des positions en obligations d’Etat américaines des courtiers spécialistes en valeurs du Trésor.
Selon les statistiques du Trésor américain, le stock des spécialistes en valeurs du Trésor a quasiment doublé depuis début juillet – un fait inhabituel, les banques ayant limité la taille de leurs bilans depuis 2013 à la suite de Bâle III et des autres nouvelles dispositions réglementaires. Le Trésor américain a également publié une répartition des détenteurs publics étrangers de titres américains par maturité (Graphique 1). Ces données sont publiées avec un retard considérable, les derniers chiffres disponibles remontant à juin 2014. Relativement stables dans le temps, ces chiffres donnent une approximation raisonnable de la répartition actuelle. Les positions détenues par les étrangers sont concentrées sur l’extrémité courte de la courbe, plus de 50 % étant détenues dans le segment de maturité résiduelle à moins de trois ans, à la fois par les secteurs privés et publics. Si quelques cas isolés montrent que les achats publics étrangers évoluent vers des maturités plus lointaines de la courbe (c’est à dire que le flux des achats s’est déplacé sur la courbe), le stock des positions reste concentré sur l’extrémité initiale de la courbe.
En supposant que cette répartition est représentative des positions détenues par le secteur public des marchés émergents et du bloc pétrolier, la baisse en cours des réserves de change pourrait affecter de manière disproportionnée l’extrémité courte de la courbe – au moins à court terme – toutes choses étant égales par ailleurs. La réaction des détenteurs privés étrangers face à la baisse des réserves de change doit également être prise en considération. Si ces éléments rendent l’impact à long terme incertain, l’impact à court terme est susceptible d’être important étant donné l’échelle de l’intervention des banques centrales émergentes. La conclusion qui peut en être tirée est que cette dynamique explique en partie les corrélations croissantes entre obligations et actions et la sous-performance des spreads sur swaps obligataires à deux ans malgré un nouveau pic de volatilité du marché.
Dans ce contexte, nous nous remémorons “l’énigme de Greenspan” de 2004, lorsque les rendements à long terme étaient maintenus bas, malgré le début d’un cycle de resserrement. Cette énigme va-t-elle se répéter ou s’inverser ? Au moment où nous sommes, nous estimons qu’il est dangereux de supposer que la courbe va se comporter de façon similaire à 2004, si le recul des réserves de change se poursuit à un rythme rapide.
FOMC : ATTENDRE UN PEU PLUS LONGTEMPS
La Réserve fédérale s’est montrée plus accommodante que nous l’anticipions, l’accent mis sur les inquiétudes au niveau mondial ayant dominé la déclaration et la conférence de presse. Tout compte fait, cette issue accommodante met davantage l’accent sur les prochaines statistiques économiques des États-Unis mais également sur la volatilité du marché mondial. Nous relevons cependant que, si le message manifestait la volonté du FOMC de patienter, la majorité du Comité continue à prévoir que la première hausse de taux se produira en 2015. Décembre est désormais résolument en ligne de mire.
Les points de la Réserve fédérale ont reculé de 25 pb sur 2017, les projections à long terme étant abaissées à 3,5 % contre 3,75 % précédemment. C’est une nouvelle phrase de la déclaration soulignant l’impact potentiel négatif émanant des récentes évolutions mondiales qui a dominé le mouvement des cours sur le marché. Le marché obligataire a réagi de façon modérée, l’extrémité initiale de la courbe progressant de plus de 10 pb et la courbe 2s10s se raidissant de 5pb. Les marchés d’actions ont d’abord réagi positivement au scénario à la tonalité accommodante mais, dès que les inquiétudes ont commencé à s’accumuler sur les perspectives économiques des États-Unis, les actions ont plongé dans le rouge.
Cette réunion n’a pas modifié notre opinion selon laquelle une hausse en 2015 reste d’actualité, mais une nouvelle condition nécessaire est apparue : la stabilisation de l’économie et du marché mondial.
IMPLICATIONS POUR LES CLASSES D’ACTIFS
La décision de la Réserve fédérale de retarder le resserrement de sa politique monétaire renforce notre conviction sur le carry gagnant sur les marchés du crédit. La faiblesse de la croissance et un environnement de faibles taux d’intérêt augmentent l’attractivité des actifs se prêtant au carry au détriment de la seule progression du capital. Étant donné que nous considérons comme faible le risque d’une récession aux États-Unis, les performances offertes par le crédit high yield de haute qualité sont désormais attractives par rapport aux actions.
Les corrélations croissantes entre obligations et actions, à la marge, réduisent l’attractivité des obligations au sein des portefeuilles multi-actifs. Elles réduisent également les avantages de la diversification que procurent habituellement les obligations, comme nous l’avons constaté au cours de la débâcle du mois d’août.
Nous restons optimistes sur les perspectives économiques des États-Unis et maintenons par conséquent notre surpondération sur les actions des marchés développés par rapport aux émergents et nous surpondérons le dollar US au détriment des devises émergentes. La dernière phase de sous-performance du dollar US provoquée par la Réserve fédérale offre une opportunité de consolider notre vision positive, particulièrement face aux devises émergentes et aux devises matières premières.