Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Alan Cauberghs, directeur des investissements obligataires chez Schroders.
La pause estivale, et notamment le mois d’août, aura été une période particulièrement inquiétante sur les marchés : au mouvement de vente observé sur les marchés actions, et au net rebond de la volatilité sur les marchés obligataires, s’est ajouté un tableau mitigé de l’économie mondiale par région, au regard des récents indicateurs. Les investisseurs ont trouvé de quoi alimenter leurs craintes juste avant la rentrée scolaire !
D’une part, nous constatons une certaine amélioration des données économiques provenant des Etats-Unis et du Royaume-Uni, ainsi qu’une stabilisation continue de la situation en zone euro.
D’autre part, le gouvernement chinois, en coordination avec la banque centrale (la People’s Bank of China – ou PBoC), s’affairent à soutenir l’économie domestique, qui se ralentit, en opérant un important virage dans sa politique monétaire.
Tout cela se produit avec, en toile de fond, un prix du pétrole qui stagne à son plus bas niveau depuis plus de six ans. Pour couronner le tout, des manchettes alarmantes faisant allusion à une prétendue « guerre des monnaies » n’arrangent pas les choses : nous pensons toutefois que les investisseurs peuvent se permettre d’être relativement optimistes face à cette situation.
La guerre des monnaies : mythe ou réalité ?
Selon une définition simple, une guerre des monnaies est caractérisée par des déprécations dans la valeur de la devise d’un pays provoquées de manière volontaire par sa banque centrale dans le but de favoriser sa compétitivité et, par la même occasion, ses exportations.
Partant de ce constat simple, on pourrait même faire valoir que les mesures prises par la PBoC en août ne constituent pas, à strictement parler, un événement dans une « guerre des monnaies » au sens classique.
La valeur du yuan chinois a été, en effet, arrimée au dollar américain (sauf pendant un intervalle de trois ans entre 2005 et 2008, lorsque la devise a été autorisée à augmenter).
Cet été, la banque centrale chinoise a donc choisi d’aligner le taux de référence du yuan par rapport au taux du marché afin de donner un coup de pouce à l’économie (seul le temps nous dira s’il s’agit d’une réussite de ce point de vue là).
D’après notre analyse, la volonté de la Chine de réussir la transformation du yuan en monnaie de réserve internationale a été plus déterminante dans cette décision, dans la mesure où, pour ce faire, un des critères du Fonds Monétaire International (FMI) exige que la monnaie soit fixée au taux du marché, et pas par la PBoC.
En plus, la Chine, depuis plusieurs années déjà, passe d’un modèle économique exportateur centré sur l’industrie manufacturière à une économie tirée davantage par le secteur des services et la demande intérieure, une transition en cours depuis plus d’une décennie maintenant et qui devrait se prolonger encore un certain temps.
Dans ce contexte, il n’y a rien d’étonnant à ce que le yuan connaisse quelques fluctuations de temps à autre. La PBoC a d’ailleurs souligné que la décision prise en août visait aussi à faciliter cette transition. Au vu de cette analyse, il semblerait donc que les actions menées par la PBoC ne relèvent pas de la pure tactique concurrentielle dans « une guerre des monnaies ».
Les Etats-Unis toujours dominants
La force ou la faiblesse d’une devise par rapport à une autre reste, bien sûr, une considération importante pour tous les opérateurs des marchés financiers.
La décision de la Fed américaine de reporter sa première hausse des taux jusqu’à décembre (au plus tôt) a contribué à rasséréner les investisseurs vis-à-vis des certaines devises asiatiques.
Il est vrai que l’endettement en dollars US en Asie a pris de l’ampleur au cours des dernières années, et il faudrait d’importantes réserves de change en devise étrangère pour défendre des monnaies locales face à une augmentation du billet vert.
Lors de la réunion de la Fed du 17 septembre, sa présidente Janet Yellen a déclaré que les inquiétudes autour de la croissance chinoise et au sein d’autres économies émergentes avaient entrainé une hausse de la volatilité des marchés, mais que l’impact de cette vulnérabilité sur la politique de la banque centrale américaine ne devrait pas être surestimé pour autant. Une des raisons évoquées pour le report d’une hausse des taux était effectivement la faiblesse des exportations américaines, et on notera au passage que la Chine est le deuxième partenaire commercial des Etats-Unis, entre le Canada et le Mexique.
L’incertitude continue de planer sur les marchés à court terme, quelle que soit son origine (la hausse des taux de la Fed ou la mollesse de la croissance économique). Mais l’importance relative accordée à la notion d’une guerre des monnaies semble exagérée.
Les investisseurs devraient rester vigilants aux évolutions des devises dans le monde, et les monnaies émergentes vont probablement demeurer faibles et aux prises avec la volatilité.
Quelles que soient les raisons pour lesquelles la Chine a choisi de dévaluer sa monnaie, les Etats-Unis, de par leur vigueur économique, tiennent toujours le bon bout sur la scène mondiale.