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Le « noble mensonge » de la gestion indicielle

Ou pourquoi les adeptes de l’investissement passif en exagèrent les mérites.

Don Phillips 22.10.2015
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Cet article est la traduction d'une publication sur le site Advisor de Morningstar, le 5 octobre 2015.

C’est au sein d’une institution respectée et plutôt austère – l’Université – qu’est née la gestion indicielle : un milieu qui, a priori, vénère plus que toute autre chose la vérité, la précision et la bonne foi.

Comment expliquer alors qu’un si grand nombre d’adeptes des fonds indiciels recourent en permanence à l’exagération pour faire valoir leur point de vue ?

Incapables de s’en tenir à l’énoncé d’un fait précis et avéré (la gestion indicielle est un moyen simple et efficace de produire des résultats supérieurs à la moyenne), ils profèrent la contre-vérité manifeste que toute autre forme d’investissement serait intrinsèquement pernicieuse, moralement suspecte, en somme, un acte de folie pure.

L’intérêt de la gestion indicielle est facile à comprendre. Ses coûts plus faibles garantissent, la plupart du temps, des performances supérieures à celles de la majorité des gérants.

Un fonds indiciel à bas coût surperformera généralement deux tiers environ de ses concurrents, et sous-performera le tiers restant.

Néanmoins, en respectant deux critères très simples dans le choix d’un gérant (sélectionner uniquement des fonds aux coûts inférieurs à la moyenne, et dans lesquels les gérants eux-mêmes investissent une part importante de leur capital), la surperformance des fonds indiciels par rapport à la gestion active n’est plus que de 50/50, voire moins.

On pourra toujours affirmer, naturellement, que la gestion indicielle demeure le meilleur choix pour des raisons fiscales ou de prévisibilité, mais comment expliquer que ces seules préférences ou ces avantages marginaux inspirent aux inconditionnels des fonds indiciels un tel mépris pour les gérants actifs ?

Le dénigrement de la gestion active n’a rien d’une réaction rationnelle à la réalité des faits.

Les cyniques l’expliqueront par l’arrogance ou la jalousie d’un milieu universitaire cherchant à assoir sa supériorité vis-à-vis de banquiers de Wall Street plus grassement payés.

D’autres invoqueront les fortunes considérables ou la renommée scientifique qu’ont acquises les premiers défenseurs de la gestion indicielle – de quoi gonfler l’égo et altérer quelque peu l’éthique des  professionnels les plus honnêtes.

Mais ces explications ne peuvent à elles seules justifier la mauvaise foi systématique des partisans de la gestion indicielle qui, pour un grand nombre d’entre eux – dont Jack Bogle – ne sont ni cupides, ni arrogants.

Pourquoi des individus intelligents, et faisant habituellement preuve d’honnêteté intellectuelle, s’emploient-t-ils à marteler une position à tel point excessive qu’elle en devient mensongère ?

Cette question m’a taraudé durant de nombreuses années et j’en suis venu à conclure que la réponse nous était fournie par Platon, dans La République. Dans un dialogue célèbre, Socrate, d’habitude un honnête homme, crée le concept de « noble mensonge ».

Les gouvernants de la république qu’il imagine doivent raconter aux citoyens qu’ils sont nés de la terre-mère et qu’ils sont faits de différents métaux, selon le rôle qu’ils tiennent dans la société.

Ce mensonge a pour but d’assurer la loyauté des citoyens envers la république et d’encourager les comportements nécessaires au bon fonctionnement de l’État.

Je pense que Bogle, qui est en quelque sorte le Socrate de la finance moderne, agit de la même manière avec la gestion indicielle. Comme Socrate, Bogle est fondamentalement un honnête homme, mais il choisit de perpétuer l’outrance dans l’idée de produire un meilleur résultat pour l’investisseur.

La gestion indicielle est très utile mais ne constitue en aucun cas le remède miracle à tous les problèmes d’investissement. Les fonds indiciels peuvent être facilement utilisés à mauvais escient, comme l’ont montré les QQQs dans les années 1990, ou encore l’afflux de capitaux spéculatifs à destination du fonds Vanguard axé sur les valeurs de croissance de grande capitalisation en 1999 (plusieurs fonds passifs investis sur les marchés émergents ont subi le même sort dernièrement). L’utilisation raisonnable de fonds indiciels requiert de l’investisseur qu’il soit extrêmement discipliné, ou particulièrement inattentif.

La tentation de « bricoler » porte souvent préjudice aux résultats. « Ne faites rien, attendez », recommande Bogle. Mais comme les conseillers financiers ne peuvent ignorer le marché, ils doivent apprendre la discipline, et l’un des moyens éprouvé d’y parvenir est de se persuader jusqu’à l’aveuglement de la justesse de la cause que l’on défend. Croire en la pureté morale de l’approche que l’on adopte permet de traverser les périodes de doute sans s’écarter du droit chemin.

Une telle discipline est naturellement utile à tous les investisseurs. Dans le cas des fonds actifs, elle peut s’exprimer par la dévotion envers un gérant « star » (qui incarne le noble mensonge de la gestion active), mais en matière de gestion passive, elle nécessite une foi totale dans la philosophie sous-jacente à l’approche d’investissement.

C’est, je pense, la seule manière d’expliquer de manière positive la tendance des adeptes de la gestion indicielle à exagérer les bienfaits de cette dernière.

Ce noble mensonge est particulièrement nécessaire aux utilisateurs des fonds indiciels pondérés par la capitalisation boursière, qui par définition sont exposés aux segments les plus prisés des marchés lorsque ceux-ci atteignent des sommets – un phénomène dont les investisseurs en fonds indiciels axés sur les marchés émergents ont pu faire l’expérience cet été, lorsque la bulle chinoise a éclaté. De fait, pour récolter les fruits d’une exposition à la Chine au travers de fonds actifs ou passifs sans se laisser déstabiliser par les obstacles rencontrés en chemin, il est nécessaire de faire preuve d’une discipline que seul un noble mensonge peut inspirer.

Ceux qui perdent la foi dans les moments de crise paieront un prix, sous forme de baisse de leurs résultats, qu’aucune économie en termes de frais ou de fiscalité ne pourra compenser. Dissociée de son noble mensonge, la gestion indicielle n’offre qu’une solution partielle aux défis fondamentaux qui se posent aux investisseurs.

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A propos de l'auteur

Don Phillips  Don Phillips is a managing director of Morningstar, Inc.